Bilan d'herborisation en Maine-et-Loire
oriental en 1997
par Marie-Claire MARZIO
Résumé : Le Baugeois présente
encore de nombreux biotopes riches en espèces
végétales rares pour le département de
Maine-et-Loire. Une succession de saisons sèches et
chaudes ont permis l'installation de taxons nouveaux sur les
sols nus tels les sables de Loire.
Introduction
Pour le groupe botanique, l'année 1997 a
été riche en observations, voire en
découvertes. Les conditions
météorologiques - chaleur au printemps, forte
pluviosité en mai et juin - ont permis à la
végétation de présenter une luxuriance
et une longévité exceptionnelles sur certains
milieux.
Nous retiendrons ici trois zones de prospection active en
Maine-et-Loire oriental :
le Baugeois à des fins d'inventaire pour
réactualiser les ZNIEFF ;
la plaine de Méron dans le cadre d'un
suivi des messicoles (voir MARZIO & JOLIVET
1997) ;
les vases exondées de la Loire et les
boires de Saint-Rémy-la-Varenne, site choisi pour une
sortie pour le grand public en septembre.
1. Végétation spontanée du
nord-est du département de Maine-et-Loire
Le Baugeois est bien connu des orchidophiles et a
été sillonné en tous sens lors de
l'inventaire des Ptéridophytes (BRAUD et al.
1995). Il existe peu de données récentes sur
l'ensemble des Phanérogames en dehors de celles de
Marcel PIRON (la flore du Saumurois publiée
en 1977 mais relatant peu d'observations
postérieures à 1960). Depuis
l'élaboration des fiches ZNIEFF de première
génération, beaucoup de milieux, comme
partout, ont été victimes de la pression
anthropique : aménagement de la vallée
des Cartes, de la vallée du Couasnon, transformation
d'une prairie humide riche en orchidées, piste de
chevaux dans la forêt de Chambiers, aéroport de
Marcé, etc.
Néanmoins cette région possède encore
de remarquables stations botaniques qu'il convient de
préserver d'urgence !
Géologiquement le Baugeois appartient au Bassin
parisien. Le sous-sol est donc constitué de couches
de roches sédimentaires superposées, les plus
anciennes affleurant après érosion des plus
récentes. D'avril à juillet, nous avons
exploré en priorité les milieux humides et les
bois de l'angle nord-est du département (voir carte).
Le sous-sol de cette zone est occupé essentiellement
par des calcaires lacustres datés de
l'Éocène, ainsi que des faluns du
Miocène, accueillant une superbe flore calcicole
agrémentée de nombreuses espèces
d'orchidées. Des sables et des grès,
d'époque sénonienne ou éocène,
coiffent les buttes sur lesquelles se sont installés
des bois de pins et d'arbres à feuilles caduques
abritant une flore silicicole plus banale hormis celle des
vallons humides et de petites tourbières.
Nous relatons dans un tableau, par milieux, quelques
sites contenant certains des taxons les plus rares, inscrits
sur la liste des plantes d'habitats et de biocénoses
déterminants en Pays de la Loire
élaborée par la DIREN (ANONYME 1997), ou
encore portant les mentions « R » ou
« RR » ou « à
rechercher » dans la flore de CORILLION
(1981).

Pour le botaniste en voiture les sous-sols
calcaires sont aisément repérables sur les
bords de route grâce aux belles plaques roses de la
Gesse tubéreuse Lathyrus tuberosus,
mauves du Mélampyre des champs Melampyrum
arvense, ou bleues du Grémil pourpre
Buglossoides purpureocaerulea espèce typique des
ourlets forestiers et qui doit son nom à la couleur
changeante des fleurs, pourpres puis bleues. Ce dernier,
répandu en France, sauf au nord d'une ligne
Nantes-Lille, est ici à sa limite nord. Il craint les
couverts forestiers denses d'où son abondance
plutôt sur les bermes des routes.
Les nombreux petits bois installés sur le calcaire
lacustre de la plaine de Noyant appartiennent à la
chênaie mixte à Chênes
pédonculé et pubescent : bois des
Bellangères, du Perchard, de Parnay, du Bareil, etc.
Beaucoup des taxons liés à la chênaie
pubescente y sont présents.
La plupart des orchidées, aux stations connues lors
de l'élaboration de la cartographie des
orchidées de Maine-et-Loire (BRAUD & CORILLION
1994), sont plus abondantes que prévu. Mais il
convient d'ajouter une station de Limodore abortif
Limodorum abortivum, espèce parasite
entièrement violette. Cette découverte, par
Gilles MOURGAUD, dans un bois proche de Chigné
permet de remonter la limite nord de cette espèce
connue pour le département de Maine-et-Loire en
forêt de Fontevrault.
Une trentaine de hampes florales du très rare
Céphalantère à grandes fleurs
Cephalantera damasonium est dénombrée dans
une station signalée près de
Chalonnes-sous-le-Lude. Ces deux orchidées sont
protégées en Pays de la Loire.
Parmi les Fabacées, le Réglisse
sauvage Astragalus glycyphyllos, le Lotier
pois Tetragonolobus maritimus, la Gesse de
Nissole Lathyrus nissolia, la Gesse des
bois Lathyrus sylvestris et la Gesse
hérissée Lathyrus hirsutus
agrémentent de nombreuses coupes
forestières.
La Gesse noire Lathyrus niger, appelée
ainsi car la plante noircit de façon spectaculaire
à la dessiccation, est assez rare et dispersée
en France : présente en lisière du bois
des Bellangères, nous l'avons aussi observée
en forêt de Milly en mai.
Parmi les Apiacées, le Sanicle d'Europe
Sanicula europea est assez commun. Le Peucedan de
France Peucedanum gallicum, protégé
en Pays de la Loire croît sur une coupe en forêt
de Chambiers. Le Peucedan officinal (ou Queue de
porc !) Peucedanum officinale forme de
spectaculaires colonies à Genneteil et
Chigné.
Les boisements siliceux - forêts de Chambiers,
Chandelais, Monnaie, Bareilles, du Pugle, etc. - couvrent de
plus grandes surfaces. Certains taxons absents du secteur
armoricain du département telles la Sabline des
montagnes Arenaria montana ou la gracieuse
Simaethis planifolia y sont bien
représentés.
Certains de leurs vallons humides et ombragés
abritent encore la curieuse Parisette Paris
quadrifolia protégée en Pays de la Loire
et la Primevère élevée
Primula elatior qui atteint là sa limite ouest.
Cette dernière est observée en colonies
importantes le long de ruisseaux (biotope qu'elle
affectionne en plaine) de la forêt de Bareilles et
près de Mouliherne, ainsi que le long du Couasnon aux
alentours du moulin de Choiselier.
La région de Vaulandry conserve quelques prairies
tourbeuses relictuelles basiques, où se
côtoient la Gentiane pneumonanthe Gentiana
pneumonantha, de belles orchidées, la
Valériane dioïque Valeriana dioica
mais aussi la Parnassie des marais Parnassia
palustris et la Pédiculaire des marais
Pedicularis palustris, plantes répandues dans les
massifs montagneux de France mais rares dans les plaines.
Ces deux taxons sont protégés en Pays de la
Loire.
Le Cyperus eragrostis, adventice d'origine
sud-américaine est en extension dans le
département, sept stations de 20 à
50 m2 ont été observées
dans le Baugeois (vallée des Cartes, Couasnon,
Montpollin, etc.) ainsi que dans le Saumurois et à
Saint-Rémy-la-Varenne sur les vases exondées
de la Loire.
2. Les adventices des friches et des cultures
Dans le Baugeois les compagnes des moissons calcicoles se
sont réinstallées dans une ferme biologique
près de Lassé (auparavant les cultures furent
soumises pendant 15 ans à des techniques
agricoles chimiques) ; la plus remarquable est
l'Adonis d'automne Adonis annua très
abondant en 1996 dans deux champs cultivés. Les
deux Spéculaires, la Renoncule des
champs, le Peigne de Vénus et la
Falcaire l'accompagnent. La remarquable
résistance et la grande longévité des
graines de messicoles sont vérifiées ici.
Plus au sud, le long de la D244 au nord de
Mazé, d'autres messicoles, préférant
les sols sablonneux, ont envahi plusieurs champs
travaillés, voire cultivés. Les plus
abondantes sont la Maroute Anthemis cotula et
le Miroir de Vénus Legousia speculum
veneris. Le Bleuet Centaurea cyanus et la
Nigelle de Damas Nigella damascena sont
présents aussi. En 1996 on put même
photographier un superbe Pied d'alouette Consolida
ambigua au milieu du seigle.
La toxique Nielle des blés Agrostemma
githago a envahi une culture de céréales
près de Brain-sur-Allonnes (GUENESCHEAU, comm.
pers.).
Enfin près de Montreuil-Bellay, la flore de la plaine
de Méron a été suivie (MARZIO &
JOLIVET 1997). La Nigelle des champs Nigella
arvensis connut un développement extraordinaire,
tant au sein des cultures de céréales que sur
une friche de plusieurs hectares qu'elle occupa en culture
presque monospécifique, comme l'Adonis d'automne
en 1996. C'est la plus grosse station française
de ce taxon presque disparu en France (Colloque sur les
plantes menacées, Brest 1997). Le Buplèvre
en lanières* Bupleurum lancifolium a pu
effectuer son cycle de développement entier
après son éclipse en 1996.
L'Orobanche violette très abondante certaines
années appartiendrait à l'espèce
Orobancha ramosa (FIGUREAU, comm. pers.).
Enfin deux nouveaux taxons viennent allonger l'important
inventaire de ce site : la Germandrée
bothryde* Teucrium bothrys et le
Buplèvre du mont Baldo* Bupleurum
baldense, tous deux notés
« RR » par CORILLION (op. cit.).
La Germandrée bothryde est une messicole de sol
calcaire caillouteux ; le Buplèvre du mont Baldo
est une plante de pelouses xérophiles calcaires
d'exposition méridionale déjà
signalée en Maine-et-Loire par PIRON (1977) aux
Fourneux. Il occupait ici 30 m2 sur la
friche des Nigelles.
3. Bord de Loire et boires à
Saint-Rémy-la-Varenne
La préparation de la sortie grand public de
septembre a été l'occasion de plusieurs
découvertes sur les vases exondées de part et
d'autre du pont reliant Saint-Rémy-la-Varenne et
Saint-Mathurin. Hélas les stations aval furent
irrémédiablement détruites par les
bulldozers niveleurs de sable
la veille de la
sortie.
Plusieurs individus de la Potentille
couchée Potentilla supina étalent
sur les vases leurs tiges portant de petites fleurs jaunes
dotées de pétales plus courts que les
sépales. Surtout présente dans l'est et le
centre de la France, elle est protégée en Pays
de la Loire. C'est une pionnière des vases
exondées tout comme le Bident radié*
Bidens radiata dont nous découvrons trois pieds.
Ce taxon a été vu dans des secteurs où
il n'était pas connu jusqu'alors, dont le lit de la
Loire en Bourgogne (BUGNON et al. in
ARNAL 1996), probablement à cause d'une
séquence d'années chaudes et sèches
(ARNAL 1996). Pour CORILLION (op. cit.) sa
limite occidentale est le département de
Loir-et-Cher.

C'est peut-être la même hypothèse qui
expliquerait la découverte à Renazé
(Mayenne) de l'Anarrhinum à feuilles de
Pâquerettes* Anarrhinum bellidifolium
mentionnée par D. MOREAU à l'occasion
d'une sortie de la Société d'études
scientifiques de l'Anjou. Absente de la Bretagne (BONNIER
1990) et de la flore du Massif armoricain
(DES ABBAYES 1971), elle est l'hôte des
endroits secs et chauds surtout granitiques du centre et du
midi de la France ; JAUZEIN (1995) l'indique comme
adventice rare des milieux sablonneux plutôt
méditerranéens ; enfin, CORILLION (op.
cit.) la note « RR » sur les lieux
sablonneux incultes en Touraine et Blésois. Les
échantillons d'herbier du musée botanique
proviennent de Loir-et-Cher. C'est une plante bisannuelle ou
vivace. Les individus observés sur les schistes
à Renazé atteignent quatre-vingts
centimètres et sont très robustes.
Enfin une Solanacée nouvelle pour l'Anjou a pu
être suivie par J.-M. BLANCHARD : la
Morelle fausse Saracha* Solanum sarachoides
est une plante velue glanduleuse dont la baie jaune ou
verdâtre contient 45-50 graines et
6 granules scléreux qui sont
entraînés avec la première goutte de
pulpe si l'on pique celle-ci exactement au sommet.
Originaire du Brésil, TUTIN et al.
(1993) la signalent en voie d'extension dans le Sud-Ouest.
C'est une adventice.
Les bordures supérieures des boires des
Groseilliers et du Passage sont habitées par de
nombreuses plantes protégées au niveau
national - Gratiole officinale, Pulicaire
commune - ou régional - Scutellaire
hastée, Inule des fleuves.
La Germandrée des marais* Teucrium
scordium, quoique très rare en Anjou, n'est
protégée que dans le Centre et la
région Rhône-Alpes pour le sillon
ligérien (CORNIER 1997). Abondante près des
dépressions encore partiellement en eau, elle semble
dédaignée du bétail. Elle a
été observée également dans les
Basses Vallées Angevines à Écouflant et
Soulaire-et-Bourg.
Enfin le très beau Faux Nénuphar
Nymphoides peltata colonise une dépression de la
boire du Passage, où sa multiplication
végétative par fragmentation est
assurée par les vaches. Protégée en
Pays de la Loire, cette espèce eurasiatique est
très envahissante dans d'autres contrées
où elle doit être combattue !
Conclusion
La campagne botanique de 1997 a donc vu se confirmer
les mutations permanentes subies par la flore locale. Aux
destructions dues à l'Homme s'oppose la
conquête des sols nus, nouveaux ou travaillés,
par de nouvelles espèces, ou des plantes dont les
graines sont en dormance (messicoles notamment). La
progression vers le Nord d'espèces
méridionales est également signalée par
les mycologues de Maine-et-Loire.
Bibliographie
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déterminants en Pays de la Loire.
2e version après passage en CSRPN.
DIREN.
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collection Pénélope.
BONNIER G., 1990. - La Grande Flore en
couleurs. France, Suisse, Belgique et pays voisins.
Éd. Belin.
BRAUD S., CHARRIER M., MOURGAUD G.,
1995. - Les Ptéridophytes de Maine-et-Loire.
Bull. synthèse Mauges-Nature, 4 :
1-80.
-, CORILLION R., 1994. - Cartographie des
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suppl. au n° 111. 36 p.
CORNIER Th., 1997. - Les plantes
protégées du lit majeur de la Loire du
département de la Loire à l'estuaire.
Équipe pluridisciplinaire plan Loire grandeur nature,
Orléans & IMACOF. Centre universitaire
Chinon.
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végétation de la vallée de la
Loire. Éd. Jouve. 736 p.
COSTE H., 1987. - Flore descriptive et
illustrée de la France, de la Corse,
4e supplément. Éd.
librairie scientifique et technique A. Blanchard.
DES ABBAYES H., 1971. - Flore et
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universitaires de Bretagne.
JAUZEIN P., 1995. - Flore des champs
cultivés. INRA.
MARZIO M. -Cl., JOLIVET Chr., 1997. - À
Méron, l'Outarde volera-t-elle au secours des
messicoles ? Crex, 2 : 63-73.
PIRON M., 1977. - La Flore du Saumurois.
CDDP Angers.
TUTIN, 1993. - Flora europaea. Cambridge
University Press. 2e édition.
  
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Crex
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