Sommaire du Crex n° 2, 1997

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Aspect de la biologie du Râle des genêts Crex crex
dans les Basses Vallées Angevines en 1993 et 1994

par Gilles MOURGAUD et Olivier LOIR

Introduction

Depuis 1991, la LPO Anjou est l'acteur local pour la gestion d'un programme ACNAT-LIFE1 pour la préservation des Basses Vallées Angevines (BVA).
Durant la période 1993-1994, la LPO s'est rendue propriétaire de plus de 96 hectares (330 hectares à la fin du programme en 1996).
Outre la gestion directe de nos parcelles, la sensibilisation du monde agricole, la participation au comité de gestion des BVA, nous avons été amenés à apprécier l'impact des fauches sur les oiseaux nicheurs et notamment sur le Râle des genêts.
Le bilan de deux années de suivi est présenté et discuté dans cette note.
Les prairies des BVA sont exploitées tradi-tionnellement par une fauche tardive (après la mi-juin) suivie ou non d'un pâturage du regain.
Ce système d'exploitation est lié au caractère inondable des prairies, la submersion périodique des prairies par les eaux de crue, soit des affluents, soit de la Loire qui refoule alors dans la Maine, pouvant intervenir à n'importe quel moment de l'année. Certains secteurs peuvent être inondés près de 200 jours par an.
De ce fait lors d'une année humide, la fauche ne peut intervenir que tardivement, voire pas du tout certaines années sur les secteurs les plus bas.
Le caractère tardif de ces pratiques peut expliquer la stabilité des effectifs nicheurs de Râle des genêts - autour de 330 couples.

1. Chronologie des fauches

Comme nous venons de le dire, les périodes de fauches vont dépendre de l'état de maturité du foin, caractère intimement lié à la durée de submersion de la prairie et à la météorologie.
Ainsi en 1993, la durée de submersion des prairies a été de courte durée au début du printemps. Ensuite, des petites crues se sont succédé début mai et fin mai inondant les sites les plus en aval comme les prairies de la Baumette/Sainte-Gemmes-sur-Loire ou de Cantenay-Épinard et de façon plus importante vers la mi-juin, où, là, l'ensemble des prairies situées au sud de la route Soulaire-et-Bourg - Briollay ont été submergées à l'exception toutefois d'une bonne partie de l'île Saint-Aubin protégée par un ouvrage hydraulique. De plus, la succession d'épisodes orageux a perturbé le déroulement des fauches.
En 1994, les niveaux d'eau ont été exceptionnellement élevés durant tout le printemps. Un assèchement très bref des prairies a été suivi d'une nouvelle submersion importante à la mi-avril puis de façon moindre fin mai. Ensuite la baisse des niveaux d'eau a été régulière jusqu'à la fin de juin.
Il faut mentionner ici une autre cause de modifications des dates de fauche en 1993 puis les années suivantes : il s'agit de la mise en place d'une mesure OGAF-Environnement2. Dans ce cadre, les agriculteurs reçoivent une indemnité variable en fonction de la perte de revenus occasionnée par les retards de fauche à des fins de protection de l'avifaune nicheuse.
Ainsi, trois contrats sont définis :
• contrat 1 : pâturage en première exploitation ;
• contrat 2 : fauche à partir du 20 juin ;
• contrat 3 : fauche à partir du 10 juillet.
En 1993, 1 970 hectares sont sous contrat (contrat 1 : 648 ha, contrat 2 : 681 ha, contrat 3 : 641 ha) et 2 395 hectares en 1994 (contrat 1 : 682 ha, contrat 2 : 815 ha, contrat 3 : 898 ha).
Cette mesure va donc modifier les pratiques (voir discussion), l'essentiel des fauches se déroulant après le 20 juin.
En 1994, un suivi régulier et cohérent des prairies a été réalisé. Le graphique global présenté ci-dessus (fig. 1) ne permet pas de visualiser les différences entre sites.
Ainsi, le suivi a permis de mettre en évidence en 1994 la précocité et surtout la rapidité des fauches sur les sites de l'amont (Tiercé, Cheffes, Étriché, Soucelles) où 65 % à 100 % de la superficie est exploitée entre le 20 juin et la fin du mois. En aval, les fauches vont dépendre beaucoup plus des conditions hydro-logiques et avoir lieu en juillet et en août.

Fig. 1. Surfaces fauchées en 1994

2. Abondance du Râle des genêts et chronologie de reproduction

En 1992, les décomptes réalisés dans le cadre de l'enquête nationale permettait d'estimer la population des BVA à 330 chanteurs (268 chanteurs dénombrés).
En 1993, seuls les secteurs hébergeant une fraction importante de la population sont prospectés (tableau 1) et totalisent 181 chanteurs.
En 1994, la prospection s'étend sur 2 500 ha de prairies favorables et permet de dénombrer 224&endash;235 chanteurs. Cinq sites manquent par rapport à 1992, année où ils totalisaient 57 chanteurs. Le site de Soucelles est recensé dans de mauvaises conditions et le site des Quinoras à Briollay est inondé aux deux tiers. Ils totalisent 9 chanteurs en 1994 contre 33 en 1992. Les oiseaux se sont sans doute reportés sur d'autres sites ce qui expliquerait les variations d'effectifs sur un même site d'une année à l'autre.
Sur les sites suivis durant ces trois années, l'effectif total reste très stable.

Sites

1992

1993

1994

Recensés les 3 années

151

150

156

Prairies de la Baumette

33

29

36

Pr. de l'île Saint-Aubin

60

57

55

Baillies de Noyant/C.-Épinard, Écouflant et Soulaire-et-Bourg

19

30

28

Pr. des communaux de S.-et-Bourg et de Briollay au S de la D 109

15

21

13

Communal de Tiercé au S de la D 74

24

13

24

Autres sites recensés

98

31

68-79

Pr. de Châtillon à Vaux Cantenay-Épinard

NP

NP

20-25

Pr. de S.-et-Bourg et de Briollay au N de la D 109 et jusqu'à Cheffes en rive droite

15

16

NP

Pr. de Tiercé et Cheffes au N de la D 74

20

15

NP

Pr. du Davier à Étriché

3

0

NP

Les Quinoras/Briollay

18

NP

5

Pr. de Villevêque

21

NP

29-35

Pr. de Soucelles et boire du Brochon

15

NP

4

Pr. de Corzé

6

NP

3

Boire de la Cartraie à C.-Épinard

NP

NP

7

Total

249

181

224-235

3. Suivi des opérations de fauche et analyse de la chronologie de reproduction.

En 1993, il n'y a pas eu de suivi.
En 1994, le suivi des opérations de fauche s'est déroulé sur 4 sites et sur une superficie de 168,5 ha : communal de Tiercé, prairies des Baillies, prairies de Cantenay-Épinard et prairies de la Baumette.
Ces suivis sont réalisés soit depuis les tracteurs, soit du sol en observant la progression des faucheuses. La recherche d'indices après la fauche dans ou entre les andains n'a pu être réalisée de façon systématique faute de personnel.
119 observations de râles ont eu lieu et peuvent être détaillées de la façon suivante (tableau 2).

Adultes*

Poussins

Total

Échappés

n

63

28

91

%

91,3%

59,6%

78,4%

Sauvés

n

3

11

14

%

4,3%

23,4%

12,1%

Tués**

n

3

8

40,4%

11

21,6%

%

4,3%

17,0%

 

9,5%

Total

n

69

47

116

%

100,0%

100,0%

100,0%

* nombre minimal d'adultes : peut concerner aussi des grands juvéniles volants, âgés de 35 jours et plus.
** oiseaux tués : il s'agit d'oiseaux observés dans la partie non fauchée de la parcelle et non revus lors du passage de la faucheuse. Cela concerne 3 individus de taille adulte et 8 jeunes dont 1 retrouvé mort.

 

47 oiseaux au minimum sont identifiés comme étant des juvéniles. Leur âge oscille entre 10 jours et 30-35 jours. Au-delà, il n'est plus possible de faire la différence avec des adultes, sauf s'ils sont tenus en main.
Sur l'ensemble des oiseaux observés, la lecture du tableau indique un pourcentage d'oiseaux tués de 9,48 % et de 21,6 % si on inclut les oiseaux - qui auraient dû être tués - sauvés grâce à notre intervention (ralentissement ou arrêt du tracteur laissant ainsi le temps aux oiseaux de fuir). Mais ce chiffre est sans doute largement sous-estimé.
La perte est importante chez les juvéniles. Sans notre intervention somme toute très ponctuelle à l'échelle des Basses Vallées Angevines, c'est plus de 40 % des oiseaux qui seraient passés dans les faucheuses. À ces oiseaux juvéniles, il faut ajouter les adultes en mue et les oiseaux couveurs.
Toutefois, la « chance » des Râles des genêts dans les BVA, contrairement à d'autres régions de France, est que - en année normale (c'est-à-dire sans crue tardive) - ils peuvent nicher tôt. En dehors des sites de l'amont exploités dès le 20 juin, les juvéniles ont souvent le temps d'achever leur développement et de gagner des zones refuges lors des fauches car elles y sont plus étalées dans le temps.
C'est peut-être là la raison de la stabilité des effectifs angevins.
La taille des nichées se situent entre 2 et 6 poussins (3 nichées de 2, 1 de 3, 2 de 4, 1 de 5, 2 de 6). Les 9 familles prises en compte ici (fig. 2) ont des poussins de moins de 25 jours.
Les premières éclosions calculées d'après l'estimation de l'âge des poussins observés ont lieu dans les derniers jours de mai. Les pontes sont déposées tôt sur les sites de l'amont comme Tiercé, sans doute dès la fin avril. Le retrait précoce des eaux de crue et de là, la croissance plus rapide de la végétation, rendent le milieu favorable au râle dès son arrivée.

Dates d’éclosion des nichées de Râle des genêts

En 1993, la submersion des prairies à la mi-juin jusqu'au communal de Soulaire-et-Bourg a probablement détruit un grand nombre de nichées et, s'il y a eu ponte de remplacement, rendu les secondes nichées totalement vulnérables lors des fauches.
Sur Cantenay-Épinard en 1994, la crue tardive a retardé les pontes à fin mai, début juin.
Le 1er août, sur une même parcelle sont contactés des poussins de 30-35 jours, de 15 jours et de 8-9 jours. Pour ces deux dernières familles et étant donné le caractère hygrophile des prairies, il peut s'agir de ponte de remplacement. Une première nichée en mai est ici exclue compte tenu de la submersion partielle à totale de la zone à fin mai.

4. Discussion

La mise en place de l'OGAF-Environnement (ex-article 19) dans les BVA répondait au double objectif de lutte contre la déprise agricole et de frein au développement anarchique de la populiculture d'une part, de préservation d'un milieu biologique remarquable et de tentative d'optimisation du succès de reproduction du Râle des genêts d'autre part.
Le premier objectif a été largement rempli puisque dès 1994 et surtout 1995, plus de 2 857 ha sont contractualisés, enrayant ainsi le phénomène de déprise.
Le second l'est en partie. En effet, la date de fauche au 20 juin (contrat 2) a pour effet de concentrer les fauches sur une courte période. Sur les sites de l'amont, l'ensemble des agriculteurs vont se rendre sur les prairies dès la date butoir et faucher de grandes superficies en quelques heures. Dans ces conditions-là, les Râles des genêts ont très peu de chances de mener à bien leurs nichées. Des nichées, dont les jeunes arrivent à l'âge de l'envol précisément dans ce créneau 20 juin-fin juin.
Sur les sites de l'aval, les fauches débutent généralement plus tard et se déroulent sur une période beaucoup plus longue.
Au vu de ces données, nous avons proposé sur nos acquisitions des conventions de gestion avec exploitation possible à partir du 25 juillet. En 1996, plus de 140 ha sont exploités de cette façon ce qui permet aux Râles des genêts de mener à bien leur nidification.
Une information systématique a été réalisée auprès des agriculteurs sur les méthodes de fauche « sympa » qui préconisent une fauche « centrifuge » du centre vers l'extérieur de la parcelle.
Il a été démontré que cette méthode alliée à une vitesse de fauche réduite permettait la survie de la quasi-totalité des adultes et jeunes de râles des genêts (et autres espèces : caille et passereaux) sur une prairie.
Nous avons donc fait passer ce message. Force est de constater que cette méthode n'est appliquée que si nous sommes présents sur le terrain lors de la fauche. Peu d'agriculteurs l'appliquent d'eux mêmes.
Préserver les Basses Vallées Angevines est une chose, modifier des pratiques agricoles pour la sauvegarde d'un oiseau en est une autre. Nous agissons sur le long terme et espérons qu'au travers des mesures mises en place, les agriculteurs se sentent complètement impliqués dans la conservation de ce patrimoine naturel unique.


Remerciements

Nous remercions vivement tous les agriculteurs qui ont pris sur leur temps pour discuter, pour mettre en pratique une nouvelle méthode de fauche, qui nous ont accordé une place sur leur tracteur et ont bien voulu ralentir à notre demande à la vue des Râle des genêts. Grâce à eux, nous pensons avoir franchi une étape dans la préservation de l'espèce.
Nous remercions chaleureusement Jean&endash;Pierre LECOMTE de l'ADASEA de Maine-et-Loire qui nous a permis d'accéder à la cartographie et à la liste des agriculteurs ayant souscrit à l'OGAF-Environnement.
Nous remercions toutes les personnes qui ont apporté leur aide précieuse lors des recensements nocturnes ou lors des opérations de suivi des fauches :

Gérard BALESME, Jean-Claude BEAUDOIN, Fabrice BERLAND, Jean-Pierre BOISDRON, Jean&endash;Baptiste de la BRETÈQUE, Béatrice BUONO, Jean&endash;Pierre BURON, Christine DENÉCHÈRE, Bruno GAUDEMER, Alain GENTRIC, Brigitte GIRARD, Jacqueline LANDRON, Frédéric LEBLANC, T. LEBRETON, Jean&endash;François MICHEL, Vincent PASQUIER
et Mathieu VASLIN.


Références

• BEAUDOIN J.-Cl., MOURGAUD G., 1992. - OGAF Agriculture-Environnement Basses Vallées Angevines. Définition des paramètres et objectifs environnementaux. Ministère de l'Environnement, DDAF Maine-et-Loire, LPO. 53 p.
• COLLECTIF, 1992. - OGAF Agriculture-Environ-nement Projet des Basses Vallées Angevines. DDAF Maine-et-Loire, 72 p.
• MOURGAUD G., 1993. - Enquête sur les effectifs nicheurs et la répartition du Râle des genêts Crex crex en Maine-et-Loire en 1991 et 1992. Bull. Gr. Angevin d'Ét. Orn., 21 (44) : 51-59.
• MOURGAUD G., LOIR O., 1993. - Basses Vallées Angevines. Rapport annuel 1993. Union européenne, Ministère de l'Environnement. 27 p. + annexes.
• MOURGAUD G., LOIR O., 1994. - Programme LIFE Râle des genêts. Bilan étude et conservation 1994 Basses Vallées Angevines (Maine-et-Loire). Union européenne, Ministère de l'Environnement. 22 p. + annexes.
• SALAMOLARD M., ÉGRETEAU Chr., ROCAMORA G., BLANCHON J.-J., 1995. - Programme LIFE Râle des genêts. Bilan étude et conservation 1994 Synthèse nationale LPO. 27 p. + annexes.
• RSPB, 1992. - Action for Corncrakes workshops : Proceedings and action points. Crawfordsburn, Northern Ireland., 6 Oct. 1992. Glasgow, Scotland 2 novembre 1992. 43 p.
• RSPB, 1993. - Action for Corncrakes. Workshop RSPB/IWC/LPO 21-22 Sept. 1993. Glasgow, Scotland. 54 p.

1 Action Communautaire NATure. L'Instrument Financier pour l'Environnement.

2 Opération Groupée d'Aménagement Foncier. Aujourd'hui, Opération locale des mesures agri-environnementales.

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