crex, 1996, 1 : 33-35

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Sommaire du Crex n° 1, 1996

(PDF, 124 ko)

Le Traquet motteux Oenanthe oenanthe
en Maine-et-Loire

par Patrice PAILLEY et Thierry LACAZE

avec la collaboration de Jean-Claude BEAUDOIN

1. Rappel du statut local

L'espèce se montre régulièrement aux deux passages et niche très localement dans deux sites du Saumurois, au sud-est du département (LE MAO 1979).
Au printemps, la mention la plus précoce est du 4 mars 1989 et d'après un suivi réalisé dans le Choletais entre 1981 et 1990 (J.-M. LOGEAIS, comm. pers.), le passage débute ordinairement autour du 10 mars et présente un pic marqué 10 à 15 jours plus tard. Se poursuivant en avril, le mouvement prénuptial s'étire jusque dans la troisième semaine de mai au moins. Des oiseaux présentant l'aspect de la grande race nordique leucorhoa ou s'en approchant, sont signalés à partir du 10 avril et surtout en mai.
La migration postnuptiale débute à la fin de juillet en Anjou et s'achève à la mi-octobre ; des retardataires se montrent jusqu'à la fin de novembre et un oiseau a même été observé le 3 décembre 1989 à proximité du lac du Verdon/Cholet.
L'espèce est notée nicheuse pour la première fois par MILLET (1865 : 444) « …dans les guérets1 des landes défrichées… » de Querré, Sceaux-d'Anjou et Thorigné, trois communes du nord du département. Il faut ensuite attendre 1966 et 1967 pour la confirmation de sa nidification au cours de ce siècle : 3 juvéniles à peine émancipés sur la plaine de Méron et un couple cantonné sur celle des Douces près de Doué-la-Fontaine (BEAUDOIN 1968). De nombreuses preuves de reproduction seront obtenues sur ces deux sites dans les années suivantes (LE MAO 1979) et très récemment des indices de cantonnement ont été recueillis dans le camp militaire de Fontevraud, en limite avec le département de la Vienne.
Ces trois sites sont très artificialisés et présentent les caractéristiques suivantes :
• celui de Méron/Montreuil-Bellay est en partie dans une zone industrielle avec friches et pâtures entretenues par des ovins - et des lapins dans une moindre mesure ; des soubassements de ruines y favorisent la nidification ;
• celui de Fontevraud est au sein d'un camp militaire. Le biotope est constitué de landes, friches, rochers et zones pierreuses. Le site est « entretenu » par les militaires qui l'utilisent comme terrain de manœuvres pour les engins blindés avec tirs et, pour maintenir le milieu en l'état, ils recourent à des incendies ;
• le site de la plaine des Douces/Montreuil-Bellay est constitué de carrières de falun (sédiment coquillier du Miocène) remblayées sur le dessus par les restes de l'incinération d'ordures ménagères. Les parties excavées sont occupées par les remblais de l'extraction de falun et divers autres déchets de notre civilisation. L'une sert de dépotoir géré et une grande partie des autres est utilisée par une école de travaux publics. Ces dernières abritent l'espèce.
Les deux sites où la nidification est effective sont entourés de prairies et de champs indispensables à l'alimentation de l'oiseau.

2. Suivi de la nidification en 1989 et 1990

2.1. Matériel et méthodes

Les observations sont réalisées à l'aide d'une paire de jumelles et d'une longue-vue. Un plan a été réalisé sur chaque carrière avec délimitation des territoires de chaque couple et la localisation du nid. Les séquences de suivi des oiseaux se sont déroulées de jour. Les observations ont été réalisées par Thierry LACAZE sur le site de Méron en 1989 et 1990 ainsi que sur le site de la plaine des Douces en 1990 tous les 6 jours environ, et par Patrice PAILLEY sur la plaines des Douces tous les 2-3 jours en 1989. L'étude s'est axée sur la plaine des Douces, bastion du Traquet motteux en Maine-et-Loire.

2.2. Résultats

2.2.1. Installation des nicheurs

C'est entre le 20 et le 30 avril qu'a lieu l'installation des nicheurs locaux et, début mai, les couples sont formés et les territoires délimités. La densité sur la zone d'étude de la plaine des Douces est d'un couple pour 1,5 ha. La taille des territoires varie selon la densité des nicheurs : ainsi, sur l'île de Skokholm (Pays de Galles), elle peut varier entre 1,5 et 2,9 ha (CRAMP 1988 : 780). PIERRE (1987) cite des densités de 1,8 à 2,5 couples pour 10 ha sur divers sites artificiels du Luxembourg.
Les oiseaux angevins semblent fidèles au lieu de reproduction de l'année précédente et semblent réutiliser le même tas de cailloux pour nicher, mais aucun n'a été capturé et marqué.
Nous avons suivi un mâle en 1989 et deux autres en 1990 qui, pendant un mois environ, ont eu tous les comportements de nicheurs avec défense du territoire, alarme près d'un tas de cailloux… malgré l'absence de femelle. De même, nous avons remarqué la présence d'individus surnuméraires, surtout des mâles, autour des sites de reproduction jusqu'à des dates avancées ne leur laissant plus le temps de se reproduire. Ces oiseaux peuvent facilement induire une surestimation du nombre de couples nicheurs.
Les trois nids vérifiés étaient situés dans des tas de cailloux et comportaient un tunnel d'accès de 40 à 50 cm de longueur. Les matériaux de construction étaient conformes à ce que mentionne la littérature.

2.2.2. Pontes et production des jeunes

Une seconde ponte est constatée chaque année : elle concerne 5 des 7 couples suivis en 1989 et 4 ou 5 des 6 ou 7 couples en 1990. Le fait avait déjà été envisagé par LE MAO (1979).
Les dates de pontes, calculées d'après l'âge des nichées, situent les premières entre le 5 et le 15 mai - en majorité avant le 10 mai - et les secondes entre le 19 juin et le 4 juillet. LE MAO (1979) mentionne pour les premières pontes une chronologie similaire au cours des années soixante et soixante-dix.
Le taux de réussite est calculé sur des juvéniles âgés de 10 à 12 jours. En 1989, 7 couples ont tenté de déposer une première ponte mais 2 ont échoué en raison de la destruction du nid par des engins de terrassement. Les 5 autres ont produit 12 juvéniles, soit 2,2 jeunes par couple. À l'issue d'une seconde ponte, 4 couples ont produit en moyenne 2,75 jeunes et le cinquième couple a eu ses poussins mangés par un petit carnivore (Belette Mustela nivalis ou Hermine Mustela erminea). Sur la champagne de Méron, le couple présent a produit une seule ponte, donnant 2 jeunes à l'envol.
En 1990, 6 ou 7 couples ont déposé une première ponte et ont en moyenne mené 3 jeunes à l'envol (15 juvéniles contrôlés). Une seconde ponte effectuée par 4 ou 5 couples a abouti à l'envol de 2,3 jeunes en moyenne pour 3 de ces couples (7 juvéniles contrôlés). Sur le site de Méron, un couple présent jusqu'au 28 mai ne s'est pas reproduit.
La production de jeunes à l'envol par les nicheurs angevins paraît très basse si on la compare à celle d'oiseaux de deux régions des îles Britanniques qui, pour un échantillon de 187 couples, élèvent, en moyenne, 4,2 jeunes par couple (CRAMP 1988 : 788). Cette faiblesse du succès de reproduction pourrait être un des éléments à l'origine de la raréfaction des couples observée sur le site de la plaine des Douces depuis le début des années quatre-vingt (cf.infra).

3. Avenir de la population angevine

L'arrêt de l'exploitation du falun et la transformation des carrières constituent le principal facteur de régression sur la plaine des Douces (cf. tableau 1). La diminution du pâturage extensif opère de même sur la champagne de Méron où la population qui comp-tait 4 ou 5 couples dans les années soixante-dix paraît désormais éteinte.

Tableau 1

Ce constat n'incite donc pas à l'optimisme et le seul site encore favorable a priori demeure celui du camp de Fontevraud où la reproduction reste à prouver.
La situation des Traquets motteux angevins correspond à celle de la plupart des populations françaises de plaine qui sont isolées et fragiles car inféodées à des habitats artificiels en évolution rapide. À proximité du département de Maine-et-Loire, l'espèce se maintient en petit nombre dans la Vienne et les Deux-Sèvres (GOV 1991, ARMOUET et FOUQUET 1995) et pourrait être en expansion sur quelques secteurs du littoral vendéen (OLLIVIER 1994).

Remerciements

Nous remercions pour leur aide dans ce travail, Alain FOSSÉ, Jean-Michel LOGEAIS, Myriam PAILLEY et Thierry PRINTEMPS.

Bibliographie

• ARMOUET A., FOUQUET M., 1995. - Traquet motteux, in GODS.- Oiseaux nicheurs des Deux-Sèvres. Groupe ornithologique des Deux-Sèvres. Niort. pp. 139 et 197.
• BEAUDOIN J.-Cl., 1968.- Données récentes sur la reproduction de quelques espèces très locales en Maine-et-Loire. Alauda, 36 (3) : 175-178.
• CRAMP St. (eds), 1988.- The Birds of the western Palearctic. Vol. 5. Oxford University Press. Oxford.
• FERRAND D., LOGEAIS J.-M., MOURGAUD G., VRIGNAULT J.-D., 1992.- Synthèse de 12 années d'observations ornithologiques au lac du Verdon. Bull. synthèse Mauges Nature, 3 : 3-88.
• GOV, 1991.- Les oiseaux nicheurs de la Vienne. Groupe ornithologique de la Vienne. Poitiers.
• LE MAO P., 1979.- Mise à jour sur la reproduction du Traquet motteux Oenanthe oenanthe dans le Saumurois. Bull. Gr. Angevin Ét. Orn. 9 (25) : 48-54.
• MILLET DE LA TURTAUDIÈRE P.-A., 1865.- Indicateur de Maine-et-Loire. Tome II. Cosnier et Lachèse. Angers.
• OLLIVIER P., 1994.- Traquet motteux, in YEATMAN-BERTHELOT D., JARRY G.- Nouvel atlas des oiseaux nicheurs de France. Société ornithologique de France. Paris. pp. 516-517.
• PIERRE P., 1987.- Nidification du Traquet motteux Oenanthe oenanthe en Lorraine belge et dans les régions limitrophes. Aves, 24 (3) : 105-111.
• bulletins et archives du Groupe angevin d'études ornithologiques et de la LPO Anjou.

1 terre labourée au printemps ou en été et ensemencée à l'automne.

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