Sommaire du Crex n° 1, 1996

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Le Courlis cendré, nouvelle espèce nicheuse en Anjou

par Mickaël BLOND et Christophe JOLIVET

avec la collaboration de Jean-Claude BEAUDOIN

En dépit de fortes présomptions accumulées depuis 1979 (BEAUDOIN et FOSSÉ 1988), jamais la nidification du Courlis cendré Numenius arquata n'avait pu être prouvée de façon certaine en Maine-et-Loire. Toutefois, 2 observations antérieures à 1994 concernent manifestement des tentatives de nidification. Ainsi, le 6 mai 1986, dans la champagne de Méron près de Montreuil-Bellay, un couple de Courlis cendrés alarme autour d'un tracteur retournant une prairie. Plus récemment, le 5 juin 1993, une observation similaire est réalisée en vallée de la Tau, où 2 individus alarment au-dessus d'un tracteur fauchant une parcelle. Ces 2 données représentent les deux plus sérieux indices de reproduction de ce limicole en Anjou… jusqu'au 5 juillet 1994.
En effet, c'est à cette date qu'un couple de Courlis cendrés, cantonné sur la vallée de Saint-Germain-des-Prés dans un vaste secteur de prairies humides (130 ha), est observé accompagné de 3 jeunes. Repéré sur le site le 6 mai 1994, le couple, plus discret que farouche, n'est revu que le 27 juin, malgré plusieurs prospections effectuées entre ces deux dates.
Les cris d'alarme des adultes retentissent dès qu'un prédateur, rapace ou Corvidé, pénètre sur le territoire du couple. L'un des courlis (le mâle ?) va jusqu'à poursuivre une Buse variable Buteo buteo en la harcelant sur plus de 300 m. Le limicole, après retour sur le site, se pose dans une parcelle non fauchée, en poussant un cri étrange, une sorte d'appel : « diak… diak… diak… ». Cette parcelle, l'une des seules à ne pas avoir été fauchée en cette fin du mois de juin, apparaît comme un refuge idéal pour les adultes et leurs jeunes.
C'est pourquoi des ornithologues ont participé, avec l'accord de l'exploitant, à la fauche de cette parcelle le 2 juillet, afin d'éviter que la nichée ne soit détruite comme ce fut vraisemblablement le cas en vallée de la Tau en 1993. Aucun jeune n'est pourtant découvert. Les adultes se sont même déplacés d'environ 500 m. à l'ouest, dans une seconde prairie récemment fauchée. Les recherches continuent les jours suivants et, le 5 juillet, sont observés 3 juvéniles d'une taille équivalente à un peu plus des trois quarts de celle des adultes. Les 3 jeunes courlis se nourrissent à découvert, sous l'étroite vigilance de l'un des 2 adultes. Le second parent, éloigné d'une centaine de mètres, crie à la moindre alerte, ce qui provoque un comportement de dissimulation des jeunes qui se tapissent aussitôt au sol.
D'après la littérature, les jeunes sont volants vers 40 jours : au 5 juillet, on peut leur donner un âge de 30-35 jours ; ce qui amène l'éclosion au début de juin et la ponte vers le 10 mai (environ 25 jours de couvaison). Cette précision témoigne d'un certain retard dans l'installation du couple sur le site. Ces oiseaux pourraient correspondre aux 2 courlis observés à la mi-avril en vallée de la Tau sur les parcelles où des indices de nidification avaient été obtenus en 1993. Alarmant déjà fortement, les courlis disparaissent de la vallée de la Tau après le 17 avril et ont probablement trouvé ensuite le territoire de la vallée de Saint-Germain-des-Prés, situé à 6 km, ce qui expliquerait le retard dans leur installation.
En 1995, des oiseaux sont repérés sur le site de Saint-Germain-des-Prés dès le mois de février et, à la fin de mars, le couple est observé houspillant successivement 2 Buses variables. Le 14 mai, Vincent PASQUIER aperçoit 3 oiseaux dont 2 se dirigent vers lui en alarmant tandis que le troisième demeure à l'écart.
Deux prospections soutenues le 11 juin et le 12 juillet sont sans résultat : elles ont peut-être été trop tardives eu égard à la précocité de l'installation du couple sur le secteur. Étant donné qu'aucune investigation n'a été, à notre connaissance, réalisée sur le site, du 17 mai au 11 juin, nous ne pouvons pas affirmer de façon certaine que la nidification a échoué.
Si l'on considère en effet que la ponte s'est produite vers le 10 avril, les jeunes sont nés vers le 5 mai et se sont envolés au plus tard le 14 juin. Une observation d'un Courlis cendré le 28 juillet 1995 sur la Loire, à Montjean, pourrait se rapporter à un jeune, mais l'absence de précision sur la classe d'âge ne nous permet pas de trancher.
La dispersion des jeunes avait déjà été signalée en 1994 puisque le 25 juillet, un Courlis cendré présentant un bec court (il s'agit d'un jeune) est observé sur une grève de Loire à l'île Meslet, située à 8 km en aval, sur la commune du Mesnil-en-Vallée.
En définitive, la réussite de la nidification, plutôt tardive, se révèle exceptionnelle en 1994 dans ce secteur du val de Loire, car habituellement, les fauches apparaissent plus précoces (10-15 juin). En 1994, ce sont des ennuis mécaniques qui ont repoussé la fenaison sur la parcelle concernée (panne de faucheuse). En revanche, l'exemple de 1995 montre qu'une nidification « à date normale » peut laisser le temps aux jeunes de s'envoler avant le début des fauches… même si aucun juvénile n'a été découvert sur le site ce dernier printemps.
Les tentatives d'implantation en Maine-et-Loire depuis 15 ans ont, à notre connaissance, concerné 7 sites différents, souvent fort éloignés les uns des autres. Cette relative dynamique est pour le moins surprenante dans la mesure où les populations occupant l'ouest et le centre de la France connaissent un déclin marqué à l'exception de celle de Normandie (SIGWALT 1994).

Bibliographie

• BEAUDOIN J.-Cl., FOSSÉ A., 1988.- Résultats de l'enquête Limicoles nicheurs en Maine-et-Loire en 1984. Bull. Gr. Angevin Ét. Orn., 17 (40) : 33-43.
• SIGWALT P., 1994.-Courlis cendré in YEATMAN-BERTHELOT D., JARRY G., 1994.- Nouvel Atlas des oiseaux nicheurs de France. 1985-1989. Société ornithologique de France. Paris : 302-305.
• Archives et bulletins du Groupe angevin d'études ornithologiques et de la LPO Anjou.

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