L'hivernage de l'dicnème
criard Burhinus oedicnemus L. dans le nord-ouest de
la France
par Olivier GABORY
Résumé : L'auteur relate la
recrudescence des données d'hivernage
d'dicnème criard Burhinus oedicnemus L.
en Maine-et-Loire et Loire-Atlantique depuis 15 ans. Ce
fait s'inscrit d'une part dans le cadre d'une meilleure
connaissance de l'espèce par les ornithologues, comme
en témoigne la sensible amélioration des dates
moyennes d'arrivée, et d'autre part dans un
phénomène qui concerne l'ensemble de la
façade occidentale française.
Cette localisation nouvelle des sites d'hivernage
dominée par une forte atlanticité
suggère une cause climatique pour tenter d'expliquer
la propension plus importante de l'espèce à
passer l'hiver en France.
Une prospection plus intense en hiver sur les sites de
rassemblements postnuptiaux est proposée de
même qu'une écoute plus soutenue sur les
sites a priori favorables lors des rares
journées ensoleillées entre le début de
décembre et la mi-février.
Introduction
L'dicnème criard est une espèce
nicheuse commune de l'Anjou où ses populations sont
estimées à 1 000 couples (MALVAUD
1996). Alors que les agriculteurs connaissent le
« Courlis de terre » depuis toujours,
les ornithologues n'ont découvert l'espèce
dans les Mauges que depuis 1980. La connaissance fine
de cette population en Maine-et-Loire et Loire-Atlantique
est importante parce que ce territoire représente la
limite nord-ouest de sa répartition en France.
Selon la bibliographie, les quartiers d'hivernage des
dicnèmes criards d'Europe occidentale se
situent en Espagne, au Maroc et au nord de l'Algérie
même si quelques individus atteignent le
Sénégal ou le Kenya.
La recrudescence de contacts hivernaux en France et
notamment en Anjou depuis une vingtaine d'années nous
incite à faire le point sur ce
phénomène.
1. Donnée postnuptiale tardive - Hivernage -
Retour précoce ?
À partir de quelle date et jusqu'à quand un
contact avec l'espèce doit être
considéré comme une donnée
d'hivernage ? D'après la bibliographie
consultée, les rassemblements postnuptiaux qui
commencent en juillet-août s'étalent
jusqu'à novembre inclus (BLANCHON &
BRUGIÈRE 1984, MALVAUD 1996, OLIOSO 1991).
L'arrivée des premières gelées
coïncide généralement avec la disparition
de ces groupes. Aussi, une donnée de novembre ne peut
se rapporter à de l'hivernage.
Par ailleurs, les températures moyennes mensuelles
de 1961 à 1990, relevées à la
station météorologique d'Angers-Avrillé
sont les suivantes (en °C) :
novembre
|
+ 11,3
|
décembre
|
+ 8,4
|
janvier
|
+ 8,3
|
février
|
+ 9,2
|
mars
|
+ 12,1
|
Alors que les températures des mois de
décembre, janvier et février sont quasi
stables (écart de 0,9 °C), elles
diffèrent sensiblement des mois de novembre
(écart de 3 °C) et de mars (écart de
3,8 °C).
Concernant les retours des migrateurs, ils sont
enregistrés régulièrement depuis
plusieurs années durant les derniers jours de
février ou au plus tard, les premiers jours de mars
(en Anjou, la date moyenne d'arrivée est le
29 février de 1990 à 1996).
Pour ces raisons, il nous semble opportun de retenir
comme donnée hivernale tout contact avec
l'espèce entre le 1er décembre et
le 15 février.
2. Situation en Anjou
2.1. Donnée hivernale ou mention
d'hivernage ?
Depuis une dizaine d'années, les contacts
hivernaux avec l'espèce se multiplient notablement
(tableau 1).
Pourtant, les données d'hivernage - contacts
répétés d'un individu ou d'un groupe
pendant la période favorable
(1er décembre au
15 février) sur un même site - restent
rares. Seules les mentions du Fief-Sauvin (2 individus
pendant tout l'hiver 1987-1988 dans une
pépinière), de la Templerie à
Saint-Herblon près d'Ancenis (44) durant l'hiver
1990-1991 et de Doué-la-Fontaine (trois mentions du
18 décembre 1992 au
13 janvier 1993 dans une pépinière)
s'y reportent.
La très grande discrétion de
l'espèce en hiver soulignée par tous les
auteurs consultés, la faible pression d'observation,
de même que les dérangements occasionnés
par la pratique de la chasse, empêchent bien souvent
de confirmer les contacts ponctuels. Cependant, la
très grande régularité des communes
mentionnées (fig. 1) nous laisse penser que la
majorité des données ne se rapporte pas
à des stationnements ponctuels d'oiseaux en fuite ou
en recherche de sites d'hivernage mais bien aux rares
manifestations de l'espèce en hivernage. La
très grande simultanéité des mentions
(le 13 janvier 1997, l'espèce est
contactée en trois communes éloignées
de plusieurs dizaines de kilomètres par trois
observateurs différents) corrobore cette
hypothèse. L'oiseau est présent probablement
dans de nombreux sites en hivernage, de façon diffuse
et se manifeste dès que les conditions
météorologiques l'y invitent. À ce
sujet, bon nombre de contacts sont auditifs surtout lors
d'une journée ensoleillée.
L'dicnème se laisse alors trahir par quelques
cris brefs bien loin d'égaler les
sérénades vespérales du printemps. Les
contacts visuels sont surtout le fait de dérangements
par la chasse (les chiens sentiraient très bien
l'oiseau selon un chasseur) ou par les pratiques
liées au travail de la terre (agriculture,
viticulture, pépinière
).
Hormis la donnée de Saint-Ellier-sur-Aubance
(3 janvier 1995) où la nidification de
l'espèce est probable mais non encore
confirmée, tous les sites d'observations hivernales
correspondent à des sites de nidification.
En outre, deux types d'hivernage sont constatés (la
mention d'une vingtaine d'oiseaux en janvier 1987 doit
être mise à part car elle se rapporte davantage
à la fuite d'un groupe devant la vague de
froid) :
l'hivernage d'un petit groupe d'oiseaux sur un
même site (exemple de l'hiver 1990-1991 près
d'Ancenis). Comme le laissent supposer des observations
réalisées en Charente durant trois hivers
consécutifs (fig. 2), il s'agit peut être
du stationnement et du prolongement dans le temps sur des
sites favorables (c'est-à-dire moins
dérangés) de rassemblements postnuptiaux.
Cette hypothèse militerait en faveur d'une
prospection plus intensive durant les mois de
décembre, janvier et février des sites de
rassemblements connus et de leurs abords. Les
découvertes réalisées par
Matthieu VASLIN (1997) vont dans ce sens. La
prospection hivernale de deux sites de rassemblements
postnuptiaux à Beaupréau permet de noter la
présence de l'espèce durant les hivers
1995-1996 et 1996-1997.
l'hivernage diffus de petits groupes d'oiseaux
(de 1 à 3) sur un faible territoire
(11 sites durant l'hiver 1995-1996 sur
70 km2). Il est probable que ces petits
groupes (correspondent-ils à des couples ?)
restent en contact auditif.
2.2. L'évolution des données
hivernales
« Tous ne quittent pas le pays et on en
rencontre toute l'année » signalait
MILLET (1828). Pourtant, les contacts hivernaux
antérieurs à 1986 sont bien rares. LE MAO
(1982) en relate deux qui concernent l'est de l'Anjou (hiver
1978-1979).
Le tableau 1 démontre une recrudescence sensible
de données hivernales d'dicnèmes criards
en Anjou et Loire-Atlantique à partir de 1986
(l'espèce est notée lors de 10 hivers
sur 11) avec deux phases distinctes :
de 1986-1987 à 1990-1991 : les
données se réfèrent à un petit
nombre de sites (maximum d'un par hiver) ;
de 1991-1992 à 1996-1997, le limicole est
contacté dans plusieurs communes (jusqu'à
11 sites distincts).
En pareil cas, il convient de se demander si ce changement
notable est imputable à :
une pression d'observation plus dense ou plus
ajustée ;
des facteurs physiques en évolution
(climatiques notamment) ;
des facteurs internes à l'espèce
(déplacements de populations
).
Concernant la pression d'observation, il est certain que la
connaissance de l'espèce s'est nettement
affinée depuis une dizaine d'années comme en
témoigne l'amélioration sensible de la date
d'arrivée de l'oiseau (4 avril de 1970
à 1979, 12 mars de 1980
à 1989 et 29 février de 1990
à 1996). De plus, la localisation des
données d'hivernage coïncide nettement avec le
lieu de résidence d'observateurs de
l'espèce.
Concernant l'hypothèse de l'installation d'hivernants
relative à un adoucissement climatique, la
période hiver 1976-1977 - hiver 1986-1987
correspondant à un faible hivernage
(3 données) possède une moyenne de
températures moyennes mensuelles durant les mois de
décembre, janvier et février plus
fraîche de 1,5 °C que celle de la
période hiver 1987-1988 - hiver 1996-1997 totalisant
31 données (respectivement 4,8 °C et
6,3 °C). Il est probable que le climat hivernal
soit un facteur limitant important, ce qui explique le
caractère marginal important de l'espèce en
France. Aussi, et comme cela est évoqué par
CRAMP & SIMMONS (1982) pour la population du sud de
l'Angleterre, une amélioration climatique des mois
d'hiver doit probablement favoriser les stationnements
hivernaux plus au nord de la limite traditionnelle.
La question de facteurs internes à l'espèce
est délicate. Dans sa synthèse, MALVAUD ne
fait pas état de déplacements notoires de
populations, mais simplement d'une réduction sensible
de l'aire de répartition de l'espèce dans
certains départements. L'examen des mentions
hivernales françaises de l'oiseau nous laisse
pourtant évoquer successivement deux régions
très distinctes.
3. Situation dans les autres départements
français
Le tableau 2, récapitulant les données
d'hivernage en France selon la bibliographie
consultée, permet de dissocier deux phases
consécutives :
de l'hiver 1968-1969 à l'hiver 1982-1983,
les contacts sont surtout révélés dans
le quart sud-est de la France - Allier,
Saône-et-Loire, Bouches-du-Rhône -
(fig. 3) ;
depuis l'hiver 1982-1983, les
données hivernales concernant une grande partie de la
façade atlantique (Haute-Garonne, Charente-Maritime,
Vienne, Charente) et s'inscrivent dans le prolongement de
celles de Maine-et-Loire et Loire-Atlantique
précédemment évoquées
(fig. 3).
4. Discussion
Si l'on considère la période du
1er décembre au
15 février comme potentiellement favorable
à l'hivernage de l'dicnème criard en
Anjou, on constate que 34 données ont
été recensées au fichier du Groupe
angevin d'études ornithologiques et de la Ligue pour
la protection des oiseaux en Anjou pendant les
18 dernières années et 3 en
Loire-Atlantique. Durant les années soixante-dix et
quatre-vingt, les données étaient rares et
confinées à l'est du département.
Depuis 1980, les contacts sont plus nombreux
(jusqu'à 11 sites durant l'hiver 1995-1996) et
concernent l'ensemble du Maine-et-Loire avec une dominante
dans les Mauges, plus particulièrement dans les
communes de résidence des observateurs de
l'oiseau.
Cette évolution sensible semble s'inscrire dans un
phénomène qui se déroule
simultanément sur toute la façade
atlantique.
La plus grande acuité des observateurs recherchant
l'espèce peut être évoquée.
De même, une évolution des conditions
climatiques hivernales en Anjou depuis les années
1987-1988 peut expliquer la recrudescence des données
hivernales.
En outre, l'installation récente d'hivernants sur une
bonne partie de la façade atlantique est due
probablement à des facteurs internes à
l'espèce (évolution, déplacements de
populations
).
Ces hypothèses doivent être confortées
dans les prochaines années. La recherche de contacts
hivernaux avec l'espèce pourrait s'inspirer des
propositions suivantes :
k observations durant la période
1er décembre-15 janvier des sites connus de
rassemblements postnuptiaux et de leurs abords ;
k observations durant la même période dans
des sites supportant un dérangement limité
(réserve de chasse,
pépinière
) ;
k écoute soutenue, toujours durant la même
période, notamment pendant les jours
ensoleillés durant lesquels l'espèce, quoique
beaucoup moins loquace qu'au printemps, laisse parfois
échapper de brefs cris
Remerciements
Que tous les observateurs ou informateurs soient ici
remerciés et associés aux résultats
présentés : F. et P. AUBERT,
M. CHEVALIER, D. et L. DROUET, Y. GABORY,
A. GENTRIC, D. HERSAN, L. LAHAYE,
J.&endash;M. LOGEAIS et F. PAGEAU.
Je tiens à exprimer toute ma gratitude à
Philippe PONDAVEN pour les illustrations.
Un merci tout particulier à Alain FOSSÉ,
Christian ROMAIN et Matthieu VASLIN pour leurs
précieux renseignements et leur
disponibilité.
Enfin, je tiens à remercier sincèrement
Jean-Claude BEAUDOIN pour avoir accepté la relecture
de ce document et pour avoir fourni la bibliographie
indispensable.
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