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Sommaire du Crex n° 3, 1998

L'hivernage de l'Œdicnème criard Burhinus oedicnemus L. dans le nord-ouest de la France

par Olivier GABORY

Œdicnème criard par Philippe Pondaven

 

Résumé : L'auteur relate la recrudescence des données d'hivernage d'Œdicnème criard Burhinus oedicnemus L. en Maine-et-Loire et Loire-Atlantique depuis 15 ans. Ce fait s'inscrit d'une part dans le cadre d'une meilleure connaissance de l'espèce par les ornithologues, comme en témoigne la sensible amélioration des dates moyennes d'arrivée, et d'autre part dans un phénomène qui concerne l'ensemble de la façade occidentale française.
Cette localisation nouvelle des sites d'hivernage dominée par une forte atlanticité suggère une cause climatique pour tenter d'expliquer la propension plus importante de l'espèce à passer l'hiver en France.
Une prospection plus intense en hiver sur les sites de rassemblements postnuptiaux est proposée de même qu'une écoute plus soutenue sur les sites a priori favorables lors des rares journées ensoleillées entre le début de décembre et la mi-février.


Introduction

L'Œdicnème criard est une espèce nicheuse commune de l'Anjou où ses populations sont estimées à 1 000 couples (MALVAUD 1996). Alors que les agriculteurs connaissent le « Courlis de terre » depuis toujours, les ornithologues n'ont découvert l'espèce dans les Mauges que depuis 1980. La connaissance fine de cette population en Maine-et-Loire et Loire-Atlantique est importante parce que ce territoire représente la limite nord-ouest de sa répartition en France.
Selon la bibliographie, les quartiers d'hivernage des Œdicnèmes criards d'Europe occidentale se situent en Espagne, au Maroc et au nord de l'Algérie même si quelques individus atteignent le Sénégal ou le Kenya.
La recrudescence de contacts hivernaux en France et notamment en Anjou depuis une vingtaine d'années nous incite à faire le point sur ce phénomène.

1. Donnée postnuptiale tardive - Hivernage - Retour précoce ?

À partir de quelle date et jusqu'à quand un contact avec l'espèce doit être considéré comme une donnée d'hivernage ? D'après la bibliographie consultée, les rassemblements postnuptiaux qui commencent en juillet-août s'étalent jusqu'à novembre inclus (BLANCHON & BRUGIÈRE 1984, MALVAUD 1996, OLIOSO 1991). L'arrivée des premières gelées coïncide généralement avec la disparition de ces groupes. Aussi, une donnée de novembre ne peut se rapporter à de l'hivernage.
Par ailleurs, les températures moyennes mensuelles de 1961 à 1990, relevées à la station météorologique d'Angers-Avrillé sont les suivantes (en °C) :

novembre

+ 11,3

décembre

+ 8,4

janvier

+ 8,3

février

+ 9,2

mars

+ 12,1

Alors que les températures des mois de décembre, janvier et février sont quasi stables (écart de 0,9 °C), elles diffèrent sensiblement des mois de novembre (écart de 3 °C) et de mars (écart de 3,8 °C).
Concernant les retours des migrateurs, ils sont enregistrés régulièrement depuis plusieurs années durant les derniers jours de février ou au plus tard, les premiers jours de mars (en Anjou, la date moyenne d'arrivée est le 29 février de 1990 à 1996).
Pour ces raisons, il nous semble opportun de retenir comme donnée hivernale tout contact avec l'espèce entre le 1er décembre et le 15 février.

2. Situation en Anjou

2.1. Donnée hivernale ou mention d'hivernage ?
Depuis une dizaine d'années, les contacts hivernaux avec l'espèce se multiplient notablement (tableau 1).
Pourtant, les données d'hivernage - contacts répétés d'un individu ou d'un groupe pendant la période favorable (1er décembre au 15 février) sur un même site - restent rares. Seules les mentions du Fief-Sauvin (2 individus pendant tout l'hiver 1987-1988 dans une pépinière), de la Templerie à Saint-Herblon près d'Ancenis (44) durant l'hiver 1990-1991 et de Doué-la-Fontaine (trois mentions du 18 décembre 1992 au 13 janvier 1993 dans une pépinière) s'y reportent.

Tabl. 1. Données de présence hivernale de l’Œdicnème criard en Maine-et-Loire et Loire-Atlantique de 1978 à 1997.

 

La très grande discrétion de l'espèce en hiver soulignée par tous les auteurs consultés, la faible pression d'observation, de même que les dérangements occasionnés par la pratique de la chasse, empêchent bien souvent de confirmer les contacts ponctuels. Cependant, la très grande régularité des communes mentionnées (fig. 1) nous laisse penser que la majorité des données ne se rapporte pas à des stationnements ponctuels d'oiseaux en fuite ou en recherche de sites d'hivernage mais bien aux rares manifestations de l'espèce en hivernage. La très grande simultanéité des mentions (le 13 janvier 1997, l'espèce est contactée en trois communes éloignées de plusieurs dizaines de kilomètres par trois observateurs différents) corrobore cette hypothèse. L'oiseau est présent probablement dans de nombreux sites en hivernage, de façon diffuse et se manifeste dès que les conditions météorologiques l'y invitent. À ce sujet, bon nombre de contacts sont auditifs surtout lors d'une journée ensoleillée. L'Œdicnème se laisse alors trahir par quelques cris brefs bien loin d'égaler les sérénades vespérales du printemps. Les contacts visuels sont surtout le fait de dérangements par la chasse (les chiens sentiraient très bien l'oiseau selon un chasseur) ou par les pratiques liées au travail de la terre (agriculture, viticulture, pépinière…).

Fig. 1. Localisation des données récentes (1986 à 1997) d’hivernage de l’Œdicnème criard en Maine-et-Loire et Loire-Atlantique et fig. 2. Effectifs en Charente en 1995-1996

Hormis la donnée de Saint-Ellier-sur-Aubance (3 janvier 1995) où la nidification de l'espèce est probable mais non encore confirmée, tous les sites d'observations hivernales correspondent à des sites de nidification.
En outre, deux types d'hivernage sont constatés (la mention d'une vingtaine d'oiseaux en janvier 1987 doit être mise à part car elle se rapporte davantage à la fuite d'un groupe devant la vague de froid) :
• l'hivernage d'un petit groupe d'oiseaux sur un même site (exemple de l'hiver 1990-1991 près d'Ancenis). Comme le laissent supposer des observations réalisées en Charente durant trois hivers consécutifs (fig. 2), il s'agit peut être du stationnement et du prolongement dans le temps sur des sites favorables (c'est-à-dire moins dérangés) de rassemblements postnuptiaux. Cette hypothèse militerait en faveur d'une prospection plus intensive durant les mois de décembre, janvier et février des sites de rassemblements connus et de leurs abords. Les découvertes réalisées par Matthieu VASLIN (1997) vont dans ce sens. La prospection hivernale de deux sites de rassemblements postnuptiaux à Beaupréau permet de noter la présence de l'espèce durant les hivers 1995-1996 et 1996-1997.
• l'hivernage diffus de petits groupes d'oiseaux (de 1 à 3) sur un faible territoire (11 sites durant l'hiver 1995-1996 sur 70 km2). Il est probable que ces petits groupes (correspondent-ils à des couples ?) restent en contact auditif.

2.2. L'évolution des données hivernales
« Tous ne quittent pas le pays et on en rencontre toute l'année » signalait MILLET (1828). Pourtant, les contacts hivernaux antérieurs à 1986 sont bien rares. LE MAO (1982) en relate deux qui concernent l'est de l'Anjou (hiver 1978-1979).
Le tableau 1 démontre une recrudescence sensible de données hivernales d'Œdicnèmes criards en Anjou et Loire-Atlantique à partir de 1986 (l'espèce est notée lors de 10 hivers sur 11) avec deux phases distinctes :
• de 1986-1987 à 1990-1991 : les données se réfèrent à un petit nombre de sites (maximum d'un par hiver) ;
• de 1991-1992 à 1996-1997, le limicole est contacté dans plusieurs communes (jusqu'à 11 sites distincts).
En pareil cas, il convient de se demander si ce changement notable est imputable à :
• une pression d'observation plus dense ou plus ajustée ;
• des facteurs physiques en évolution (climatiques notamment) ;
• des facteurs internes à l'espèce (déplacements de populations…).
Concernant la pression d'observation, il est certain que la connaissance de l'espèce s'est nettement affinée depuis une dizaine d'années comme en témoigne l'amélioration sensible de la date d'arrivée de l'oiseau (4 avril de 1970 à 1979, 12 mars de 1980 à 1989 et 29 février de 1990 à 1996). De plus, la localisation des données d'hivernage coïncide nettement avec le lieu de résidence d'observateurs de l'espèce.
Concernant l'hypothèse de l'installation d'hivernants relative à un adoucissement climatique, la période hiver 1976-1977 - hiver 1986-1987 correspondant à un faible hivernage (3 données) possède une moyenne de températures moyennes mensuelles durant les mois de décembre, janvier et février plus fraîche de 1,5 °C que celle de la période hiver 1987-1988 - hiver 1996-1997 totalisant 31 données (respectivement 4,8 °C et 6,3 °C). Il est probable que le climat hivernal soit un facteur limitant important, ce qui explique le caractère marginal important de l'espèce en France. Aussi, et comme cela est évoqué par CRAMP & SIMMONS (1982) pour la population du sud de l'Angleterre, une amélioration climatique des mois d'hiver doit probablement favoriser les stationnements hivernaux plus au nord de la limite traditionnelle.
La question de facteurs internes à l'espèce est délicate. Dans sa synthèse, MALVAUD ne fait pas état de déplacements notoires de populations, mais simplement d'une réduction sensible de l'aire de répartition de l'espèce dans certains départements. L'examen des mentions hivernales françaises de l'oiseau nous laisse pourtant évoquer successivement deux régions très distinctes.

3. Situation dans les autres départements français

Le tableau 2, récapitulant les données d'hivernage en France selon la bibliographie consultée, permet de dissocier deux phases consécutives :
• de l'hiver 1968-1969 à l'hiver 1982-1983, les contacts sont surtout révélés dans le quart sud-est de la France - Allier, Saône-et-Loire, Bouches-du-Rhône - (fig. 3) ;
• depuis l'hiver 1982-1983, les données hivernales concernant une grande partie de la façade atlantique (Haute-Garonne, Charente-Maritime, Vienne, Charente) et s'inscrivent dans le prolongement de celles de Maine-et-Loire et Loire-Atlantique précédemment évoquées (fig. 3).

Tabl. 2 & 3

Tête d’Œdicnème criard par Alain Fossé

Fig. 3. Données hivernales d’Œdicnème criard en France de 1983 à 1997

Fig. 3. Données hivernales d’Œdicnème criard en France de 1968 à 1983

4. Discussion

Si l'on considère la période du 1er décembre au 15 février comme potentiellement favorable à l'hivernage de l'Œdicnème criard en Anjou, on constate que 34 données ont été recensées au fichier du Groupe angevin d'études ornithologiques et de la Ligue pour la protection des oiseaux en Anjou pendant les 18 dernières années et 3 en Loire-Atlantique. Durant les années soixante-dix et quatre-vingt, les données étaient rares et confinées à l'est du département. Depuis 1980, les contacts sont plus nombreux (jusqu'à 11 sites durant l'hiver 1995-1996) et concernent l'ensemble du Maine-et-Loire avec une dominante dans les Mauges, plus particulièrement dans les communes de résidence des observateurs de l'oiseau.
Cette évolution sensible semble s'inscrire dans un phénomène qui se déroule simultanément sur toute la façade atlantique.
La plus grande acuité des observateurs recherchant l'espèce peut être évoquée.
De même, une évolution des conditions climatiques hivernales en Anjou depuis les années 1987-1988 peut expliquer la recrudescence des données hivernales.
En outre, l'installation récente d'hivernants sur une bonne partie de la façade atlantique est due probablement à des facteurs internes à l'espèce (évolution, déplacements de populations…).
Ces hypothèses doivent être confortées dans les prochaines années. La recherche de contacts hivernaux avec l'espèce pourrait s'inspirer des propositions suivantes :
k observations durant la période 1er décembre-15 janvier des sites connus de rassemblements postnuptiaux et de leurs abords ;
k observations durant la même période dans des sites supportant un dérangement limité (réserve de chasse, pépinière…) ;
k écoute soutenue, toujours durant la même période, notamment pendant les jours ensoleillés durant lesquels l'espèce, quoique beaucoup moins loquace qu'au printemps, laisse parfois échapper de brefs cris


Remerciements

Que tous les observateurs ou informateurs soient ici remerciés et associés aux résultats présentés : F. et P. AUBERT, M. CHEVALIER, D. et L. DROUET, Y. GABORY, A. GENTRIC, D. HERSAN, L. LAHAYE, J.&endash;M. LOGEAIS et F. PAGEAU.
Je tiens à exprimer toute ma gratitude à Philippe PONDAVEN pour les illustrations.
Un merci tout particulier à Alain FOSSÉ, Christian ROMAIN et Matthieu VASLIN pour leurs précieux renseignements et leur disponibilité.
Enfin, je tiens à remercier sincèrement Jean-Claude BEAUDOIN pour avoir accepté la relecture de ce document et pour avoir fourni la bibliographie indispensable.


Bibliographie

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