Sommaire du Crex n° 2, 1997

(PDF, 244 ko)

Mise au point sur le statut et la répartition
en Maine-et-Loire
des Pouillots fitis Phylloscopus trochilus,
siffleur Ph. sibilatrix et de Bonelli Ph. bonelli

par Alain GENTRIC

 

Pouillot Þtis (Phylloscopus trochilus)

Introduction

Parmi les espèces nicheuses à distribution localisée, ces trois Sylvidés migrateurs présentent la singularité d'être en Maine-et-Loire en limite absolue de leur aire de répartition estivale ou très proches de celle-ci. Bien qu'aucune enquête spécifique n'ait été menée jusqu'ici, nous avons tenté de cartographier la répartition des stations de ces trois pouillots et d'analyser leur évolution sur la période 1962-1994 à partir des nombreuses données récoltées par les observateurs angevins depuis 1962 (fichiers du Groupe angevin d'études ornithologiques puis de la LPO Anjou). Quelques précisions d'effectifs et de densités sont présentées, ainsi qu'un résumé de la phénologie des passages et de la reproduction.
Dans l'optique de figurer éventuellement sur une liste rouge régionale ou départementale des espèces menacées, le statut actuel en Anjou de chacun d'eux est précisé et commenté.
Enfin, quelques axes de recherche sont proposés.

1. Pouillot fitis Phylloscopus trochilus

Migrateur transsaharien, le Pouillot fitis est une espèce paléarctique à répartition estivale franchement nordique, nichant de la zone tempérée jusqu'à la zone arctique. En France, il occupe la moitié nord du pays (RAEVEL 1994 : 588-589), le Maine-et-Loire marquant très exactement la limite sud de son aire de répartition.

1.1. Phénologie de la migration et de la reproduction
Les premiers migrateurs arrivent en Anjou dans la seconde quinzaine de mars (date moyenne le 27 mars, écart-type : 8 jours, n = 32 ; date record le 3 mars 1985) et le passage culmine les deux premières décades d'avril : tout le bocage angevin résonne alors des cascades liquides des Fitis qui chantent systématiquement lors de leurs haltes migratoires. La migration prénuptiale est très étalée dans le temps, sans doute sur plus de deux mois et demi. En 1991, JOLIVET (inéd.) note l'espèce en vallée de la Tau, secteur où elle ne niche pas, quasi quotidiennement du 8 avril au 9 mai. Il est probable que les migrateurs les plus nor-diques transitent encore en Anjou jusqu'à la fin mai, mais des données précises font défaut.
Les mentions de reproduction sont peu nombreuses (n = 18) et relatent pour la plupart des envols s'échelonnant de juin au tout début juillet, ce qui est conforme au schéma moyen national décrit par RAEVEL (op. cit.). Cependant quelques données de mai prouvent que certains couples peuvent se reproduire nettement plus tôt, ce qui correspond bien à la situa-tion complètement « méridionale » du Maine-et-Loire : une observation de 2 jeunes voletants le 16 mai 1981 (parc de la Haye à Angers) indique une ponte vraisemblablement déposée entre le 15 et le 20 avril (incubation : 12-15 jours, séjour au nid : 13&endash;16 jours), soit 3 à 4 semaines d'avance sur la moyenne nationale ; une autre observation d'un adulte ravitaillant des jeunes au nid le 9 mai 1991 (forêt de Pont-Ménard) suggère une chronologie similaire.
À l'opposé, une mention d'un adulte ravitaillant le 29 juillet 1987 (bois du Ricohet/Saint-Georges-sur-Loire et Savennières) documente peut-être un cas de seconde ponte, événement assez rare chez cette espèce.
La migration postnuptiale est détectée dès les premiers jours d'août, voire fin juillet, et s'étire jusqu'à fin septembre - début octobre (date extrême : 4 novembre 1991).

1.2. Un problème méthodologique
Pour cartographier la répartition des stations de reproduction du Fitis en Anjou, l'utilisation des données recueillies depuis 1962 pose un problème classique d'interprétation, le passage prénuptial chevauchant largement l'installation des nicheurs locaux. Sauf exceptions bien étayées, n'ont été conservées que les observations postérieures au 1er mai ; de celles-ci ont été éliminées celles provenant de milieux manifestement inadéquats, ainsi que celles concernant des oiseaux en halte migratoire (observation sans suite sur un secteur régulièrement prospecté). Cette méthode a ses limites : une observation ponctuelle d'un chanteur entendu un 15 mai en milieu favorable ne signe pas forcément un nicheur ; à l'inverse, telle mention - rejetée - d'un 20 avril concernait peut-être un oiseau cantonné… La notion de « station » de reproduction est donc à relativiser !
Par ailleurs, les données utilisées s'échelonnant sur une vaste période (33 ans), celle-ci a été divisée en 2 intervalles : 1962-1979 et 1980-1994 (respectivement 18 et 15 années), afin de détecter une éventuelle modification de l'aire occupée.
Enfin, pour limiter les biais soulevés plus haut, les « stations » citées une seule fois dans l'une ou l'autre de ces 2 périodes (stations éventuelles) ont été différenciées de celles signalées au moins deux années (stations probables) ou ayant fourni des preuves certaines de nidification (stations certaines) (carte 1).

1.3. Répartition et habitats fréquentés
La distribution des stations angevines du Fitis présente un net gradient orienté au nord-est que l'on peut expliquer d'une part par la superficie des boisements plus importante dans la partie orientale du Maine-et-Loire, et d'autre part par « l'effet-latitude » typique des régions en limite d'aire de répartition.
Le tableau 1 précise par grande région naturelle et par période le nombre de ces stations.
Les exigences écologiques de l'espèce en matière d'habitat sont bien connues : elle est « spécialiste des milieux présentant une strate buissonnante » (RAEVEL, op. cit.). Les Fitis angevins ne dérogent pas à la règle, privilégiant les boisements au stade arbustif (jeunes plantations de feuillus ou de conifères, coupes de régénération, taillis humides) et les boisements clairs à forte végétation herbacée (landes à callune ou à molinie avec arbres épars, saulaies et boulaies maigres en bordure d'étang ou sur dépression humide). Ces faciès sont représentés dans la plupart des secteurs boisés du département : la répartition des stations cadre donc assez bien avec celle des milieux forestiers angevins. Dans le Saumurois, région aux caractéristiques climatiques plus chaudes et sèches, des landes enrésinées avec bouleaux et chênes sur sol sec sont parfois adoptées, par exemple près de Louerre et en forêt de Brignon.

On aura compris que les habitats préférentiels du Fitis ont un caractère transitoire prononcé, se traduisant par un turn-over régulier d'une majorité des stations. De plus, de nombreux secteurs de landes se sont nettement rétrécis à partir des années soixante-dix (notamment : forêt du Pugle et région de Clefs-Vaulandry dans le Baugeois, landes de Louerre dans le Saumurois) au profit d'enrésinements systématiques, réduisant ainsi en quelques années les possibilités d'installation. Seuls les abords de certains étangs montrent quelque pérennité : étang de Singé en forêt de Chambiers, étang de l'Égout à Jarzé, étang Saint-Nicolas aux portes d'Angers (parcs de la Haye et de la Garenne).
Une seule région ne semble fréquentée qu'à titre anecdotique, le Val de Loire :
• saulaies du bras Saint-Aubin aux Ponts-de-Cé entre 1962 et 1965 (milieu bien modifié depuis) ;
• île Bridon à La Varenne en 1983, occupation liée à une forte humidité due aux crues prolongées de cette année-là (RECORBET 1992 : 227).

1.4. Effectifs
La plupart des stations signalées sont occupées par un ou deux chanteurs seulement. Quelques recensements quasi-exhaustifs de certains secteurs fournissent des effectifs plus conséquents :
• 5 chanteurs près d'Angrie (Segréen, 28 mai 1972) ;
• 5 chanteurs en forêt d'Ombrée (Segréen, 20 juin 1979) ;
• 5 chanteurs au moins en bordure du lac de Rillé (Baugeois, 14 mai 1978) ;
• 6 chanteurs près du Louroux-Béconnais (Segréen, 19 mai 1974) ;
• 7 chanteurs en un secteur de la forêt de Nuaillé (Mauges, 21 mai 1986) ;
• et la seule concentration remarquable : 18 chanteurs le 19 mai 1976 autour de l'étang Saint-Nicolas (parcs de la Haye et de la Garenne à Angers-Avrillé).
D'une manière générale, il s'agit là d'effectifs faibles, correspondant sans doute à la situation marginale de notre département.
Les observations ayant été récoltées la plupart du temps de manière incidente et en dehors de tout protocole, il est bien délicat d'estimer l'effectif total de la population nichant en Anjou. On se contentera de proposer une fourchette de 100 à 250 couples nicheurs sur l'ensemble du département de Maine-et-Loire.
En comparaison, le Fitis est en Sarthe « assez abondant en de nombreuses localités » (BESNAULT & LÉTARD 1986), le massif de Sillé-le-Guillaume hébergeant à lui seul entre 200 et 270 chanteurs dans les années 1980 à 1983. En Loire-Atlantique, la population « ne doit guère excéder plus de 2 000 couples », pratiquement tous au nord de la Loire (RECORBET, op. cit.). Dans l'ouest et le nord de la Bretagne, le Fitis était « commun et localement abondant » à la fin des années soixante-dix (GUERMEUR & MONNAT 1980 : 167-168). À l'opposé, il n'y a aucune preuve récente de reproduction dans les Deux-Sèvres (FOUQUET 1995 : 203).

1.5. Évolution ancienne et récente
Au siècle dernier, le Fitis était pour MILLET (1828 : 238-240) un nicheur « très commun dans tous les bois, ainsi que dans les îles de la Loire » au point qu'il ne fournit que très peu de précisions sur sa répartition, cette espèce ne lui paraissant pas remarquable d'un point de vue biogéographique. Mais on peut légitimement se demander si cet auteur était en mesure d'apprécier la différence entre le flot abondant et spectaculaire des migrateurs et la taille réelle de la population angevine nicheuse qu'il surestime probablement.
Actuellement, malgré la disparition récente de vastes secteurs de landes évoquée plus haut, il ne semble pas que le nombre et la distribution des stations aient significativement évolué entre les périodes 1962-1979 et 1980-1994 (carte 1 et tableau 1), l'espèce ayant toujours la ressource de s'installer au gré des traitements forestiers, à la faveur de plantations nouvelles ou d'éclaircies (22 stations ont disparu après 1979, 24 sont apparues depuis).
Finalement, le Pouillot fitis est en Anjou un nicheur régulier en petit nombre, sans tendance démographique nette, qui occupe des habitats optimaux sans jamais les saturer. En ce sens, il ne paraît pas être une espèce menacée à court terme.

Tableau 1. Répartition des stations de Pouillot Þtis  par région naturelle et par période.

2. Pouillot siffleur Phylloscopus sibilatrix

Cette espèce, comme la précédente, habite les zones tempérées et boréales de l'Europe. Sa répartition en France est toutefois un peu plus large, n'évitant que la région méditerranéenne, le bassin de la Garonne et une bonne partie de la façade atlantique (LOVATY 1994 : 582-583). Le Maine-et-Loire occupe ici aussi une position marginale, sur la frange ouest de son aire. Mais l'écologie de ce pouillot est bien différente.

2.1. Phénologie de la migration et de la reproduction
Des trois pouillots considérés ici, le Siffleur est le plus tardif à revenir de ses quartiers d'hiver africains, atteignant l'Anjou dans la seconde quinzaine d'avril (date moyenne sur 25 ans : 23 avril, écart-type : 9 jours ; date record le 2 avril 1994). Sa présence est principalement détectée dans les massifs forestiers qui lui sont favorables, d'où la difficulté à cette époque pour l'observateur de savoir s'il a affaire à des oiseaux en halte migratoire ou en phase d'installation. Le passage prénuptial continue en Anjou une bonne partie du mois de mai, comme l'attestent quelques données provenant de milieux franchement inadéquats (par exemple : carrières d'Écouflant, 24 mai 1992).
Les données de reproduction sont peu nombreuses (n = 7), concernant des adultes ravitaillants (au plus tôt le 7 juin) ou des jeunes volants (à partir du 16 juin) ; les premières pontes sont donc déposées dans la seconde quinzaine de mai (incubation : 13 jours, séjour au nid : 13 jours). La découverte d'un nid contenant 5 poussins en duvet le 6 juillet 1965 (forêt de Chandelais) relève peut-être d'une seconde ponte (seconde ponte normale pour 30 à 40 % des femelles dans un massif de l'Allier, LOVATY, op. cit.).
Le départ des Siffleurs passe complètement inaperçu, probablement dès la mi-juillet. Les rares données de migration d'automne (n = 8) sont comprises entre le 8 août et le 17 septembre, souvent dans des milieux atypiques (… cimetière !).
Le déroulement des deux passages et la phénologie de reproduction est similaire à ce qui est constaté en Sarthe (BESNAULT & LÉTARD, op. cit.) et conforme au schéma national (LOVATY, op. cit.).

/2.2. Habitats
Les exigences écologiques strictes du Siffleur en matière d'habitat font de lui un « spécialiste » : il est inféodé aux formations arborées élevées formant une voûte continue avec un sous-étage très dégagé (sans être totalement absent pour lui fournir ses postes de chant et de vol nuptial). En Maine-et-Loire, son habitat optimal est la futaie âgée de chênes sessiles et de hêtres à la végétation arbustive clairsemée (surtout forêts domaniales de Chandelais, Monnaie et Pont-Ménard dans le Baugeois). Il adopte aussi des futaies claires de résineux (Pins sylvestre et maritime), souvent avec taillis clairsemé de châtaigniers. Certains parcs lui conviennent également (château de Marson dans le Saumurois, parcs de la Haye et peut-être de Serrant dans le Segréen). Enfin il peut se contenter (mais avec des effectifs modestes) de boisements plus jeunes, pourvu que leur stratification les rapproche du modèle type (par exemple gaulis de chênes avec sous-bois herbeux en forêt de Beaulieu), mais il est absent des formations de résineux purs.

2.3. Répartition
Pour tenir compte des confusions possibles entre migrateurs et nicheurs, une station a été qualifiée de certaine lorsque la nidification y a été prouvée ou que l'observation qui s'y rapporte est postérieure au 25 mai (2 stations hébergeant respectivement 6 chanteurs un 17 mai et 4 chanteurs un 21 mai ont été également incluses dans cette catégorie). Toute observation antérieure de chanteur(s) dans un milieu favorable caractérise seulement une station éventuelle.
35 stations certaines et 19 éventuelles ont été répertoriées (carte 2 : les périodes 1962-1979 et 1980-1994 sont différenciées).
Le Baugeois (tableau 2) regroupe la moitié des stations certaines du département, quelle que soit la période considérée (cette proportion reste inchangée si l'on prend également en compte les stations éventuelles). Cela reflète surtout la disponibilité en boisements favorables de cette région. La plupart des massifs fournissent des indices d'occupation… pour peu qu'on les prospecte.

Tableau 2. Répartition des stations de Pouillot siffleur par région naturelle et par période.

 

Le Segréen et le Saumurois hébergent chacun environ 20 % des stations. En Segréen, les forêts d'Ombrée, de Brain-sur-Longuenée ainsi que le parc de la Haye à Angers sont régulièrement fréquentés ; d'autres sites de dimensions modestes sont occupés ponctuellement mais les traitements forestiers les rendent rapidement non propices. Des recherches seraient à mener à nouveau en forêt de Bécon où l'espèce était absente à la fin des années soixante-dix.
En Saumurois, le Siffleur est présent régulièrement en forêt de Beaulieu, dans les boisements de Verrie-Marson et ceux du camp militaire de Fontevraud ; les massifs largement enrésinés de Milly-Louerre hébergent quelques chanteurs isolés, confinés aux rares parcelles encore en feuillus.
Les Mauges, au sud-ouest du département, n'interviennent que pour 10 % environ des stations, en raison de leur faible couverture forestière. Seuls les massifs de Nuaillé-Chanteloup hébergent une population régulière. Le Bois d'Anjou à Somloire a été signalé à plusieurs reprises.
Enfin, il paraît logique de ne trouver aucune station en Val de Loire (pourtant la littérature mentionne des installations locales dans des peupleraies… LOVATY, op. cit.).

2.4. Effectifs et densités
Le Pouillot siffleur est réputé pour présenter d'importantes fluctuations interannuelles, au moins dans l'Ouest de la France (BESNAULT & LÉTARD, op. cit., GUERMEUR & MONNAT, op. cit., BEESAU et al. 1983 : 192-193). Un élément peut néanmoins modérer cette appréciation : la répartition « contagieuse » des Siffleurs, qui explique que de grandes zones pourtant favorables d'un même massif peuvent rester inoccupées, les oiseaux s'étant regroupés dans une autre partie (il faudrait pouvoir recenser de manière exhaustive !). Un itinéraire de 15 points d'écoute effectué chaque année en forêt de Chandelais de 1989 à 1996, toujours aux mêmes dates (7-12 mai), dans le cadre du programme de suivi temporaire des oiseaux communs (STOC) illustre parfaitement ces variations ponctuelles d'abondance (GENTRIC, inéd., tableau 3).

Tableau 3. 15 ponits d’écoute du Pouillot siffleur en forêt de Chandelais de 1989 à 1996

Le maximum de chanteurs entendus en un point d'écoute est de 4 (en 1993), soit sur une superficie de 3 hectares (rayon de détection auditive au plus égal à 100 m). Cette densité maximale - mais qui reste ponctuelle - est comparable à celles obtenues en Sarthe (5 à 10 cantons sur 10 ha, BESNAULT & LÉTARD, op. cit.) et un peu supérieure aux densités maximales relevées ailleurs en France (en moyenne 4 ou 5 mâles sur 10 ha, LOVATY, op. cit.).
L'effectif total du Pouillot siffleur en Maine-et-Loire est probablement compris, les bonnes années, entre 300 et 600 mâles nicheurs. L'ordre de grandeur est le même en Loire-Atlantique (500 couples, surtout au nord de la Loire, RECORBET, op. cit.).

2.5. Évolution ancienne et récente
Au siècle dernier, le Pouillot siffleur est pour MILLET (1828 : 235-237) une espèce rare en Anjou, qu'il signale seulement dans les massifs autour de Cholet. Dans son Indicateur de Maine-et-Loire (1864-1865, tome I : 582 et 584&endash;585), il précise qu'il est aussi nicheur dans les massifs de Chandelais et probablement ceux de Monnaie et Pont-Ménard. Mais curieusement, le Segréen et le Saumurois ne sont jamais cités… Difficile d'en tirer une conclusion.
Pour ce qui est de l'histoire récente, le tableau 2 montre une nette augmentation du nombre de stations entre les deux périodes 1962-1979 et 1980-1994 : cela traduit certainement un effort de prospection plus important. Mais on ne peut exclure qu'il y ait eu une progression réelle des effectifs depuis le début des années quatre-vingt  : celle-ci est suspectée en Sarthe (GSO 1991 ; BESNAULT & LÉTARD, op. cit.) et est avérée en Normandie avec extension vers l'ouest dans cette région (COLLETTE 1989 : 173).
En résumé, le Pouillot siffleur est en Anjou un nicheur régulier dans les habitats qui lui sont favorables, mais ceux-ci sont très localisés en dehors du Baugeois. Sa niche écologique étroite, l'inféodant surtout à la futaie de feuillus, fait de ce pouillot une espèce sensible, totalement dépendante des gestions sylvicoles. Il est donc à surveiller, notamment dans les forêts domaniales où il est en Maine-et-Loire le mieux représenté et où il pourrait souffrir d'une rotation trop brutale des parcelles actuellement menées en futaie régulière.

3. Pouillot de Bonelli Phylloscopus bonelli

À l'inverse des deux espèces précédentes, le Pouillot de Bonelli a une distribution méridionale, pour ne pas dire ouest-méditerranéenne : son aire de répartition couvre l'Afrique du nord, la péninsule ibérique, la France, la Suisse, la Bavière, l'Autriche et l'Italie, l'essentiel de ses effectifs étant concentré en Espagne. La forme orientale présente des Balkans à la Turquie est de plus en plus considérée comme une espèce distincte.
En France, le Pouillot de Bonelli est absent de l'ouest de la Bretagne, de la majeure partie de la Normandie et manque ou est clairsemé dans le quart nord-est du pays (GRAFEUILLE 1994 : 580-581). Le Maine-et-Loire occupe donc pour cette espèce aussi une position marginale, proche de la limite nord-ouest qui traverse le département voisin d'Ille-et-Vilaine.

3.1. Phénologie de la migration et de la reproduction
Grand migrateur, le Pouillot de Bonelli revient en Anjou vers la deuxième semaine d'avril (date moyenne sur 26 ans : 10 avril, écart-type : 10 jours ; date record le 21 mars 1993). Les chanteurs sont en général détectés dans leurs biotopes forestiers favorables. Cependant quelques données dans des milieux inadéquats ou des observations sans lendemain dans des secteurs régulièrement suivis prouvent que le passage prénuptial se déroule au moins jusqu'à la première semaine de mai. Il peut éventuellement s'agir d'oiseaux transitant par le Maine-et-Loire (mais la population nichant au nord de notre département ne doit pas être très étoffée), plus probablement d'oiseaux cherchant à s'installer - et parmi ceux-ci sans doute une fraction importante d'oiseaux d'un an, les adultes étant connus pour montrer une certaine fidélité au site de nidification (OLIOSO 1984 ; GRAFEUILLE, op. cit.).
Les quelques données de reproduction certaine (n = 11) font état de nids découverts fin mai avec des jeunes envolés au plus tôt la première semaine de juin : les pontes correspondantes ont donc été déposées mi-avril (incubation : 13 jours ; élevage au nid : 10 à 13 jours). Les cas de seconde ponte sont réputés rares chez cette espèce ; l'observation tardive d'une famille avec 4 jeunes non émancipés le 27 juillet 1989 (parc de la Haye à Angers-Avrillé) pourrait éventuellement en relever.
Le départ des sites de nidification (qui doit avoir lieu dès juillet) et la migration postnuptiale passent complètement inaperçus : deux données seulement depuis 1962 (24 et 27 août), peut-être en raison du peu de prospection des milieux forestiers à cette période.

3.2. Habitats et répartition
Espèce méridionale, le Pouillot de Bonelli affectionne les faciès forestiers chauds, bien exposés et lumineux. On le rencontre surtout en lisière des boisements où alternent une strate arbustive bien développée et des espaces dégagés. C'est donc la structure de la végétation et l'exposition qui sont déterminantes dans le choix de l'habitat. En Maine-et-Loire il fréquente principalement les pinèdes, boisements thermophiles par excellence, des jeunes plantations aux parcelles plus âgées avec sous-bois de feuillus, mais aussi les taillis de châtaigniers, les jeunes peuplements de chênes mêlés ou non de résineux, de bouleaux ou d'autres essences.
Puisque certains taillis sous futaie peuvent lui convenir, il n'est pas rare de le trouver à proximité du Pouillot siffleur. Des sites sont ainsi régulièrement occupés par les deux espèces, l'une plutôt en lisière, l'autre plus en sous-bois (parc de la Haye à Angers-Avrillé et boisements de Verrie dans le Saumurois par exemple).
La carte 3 présente pour chacune des deux périodes 1962-1979 et 1980-1994 l'ensemble des stations signalées en Maine-et-Loire.
Une station est qualifiée de certaine lorsque la reproduction y a été prouvée ou qu'un chanteur y a été entendu après le 10 mai. Les milieux favorables où des chanteurs ont été notés avant cette date sont retenus comme stations éventuelles (possibilité d'oiseaux en halte migratoire).
Le Baugeois et le Saumurois (tableau 4) regroupent à peu près le même nombre de stations : superficie importante en massifs forestiers pour la première région naturelle et climat estival à influence méridionale pour la seconde en sont les explications évidentes.

nombre de stations certaines

Région naturelle

période 1962-1994

période 1962-1979

période 1980-1994

Baugeois

19 

13 

11 

Segréen

16 

13 

Saumurois

17 

12 

13 

Mauges

total

57 

40 

35 

Tableau 4. Répartition des stations par région naturelle et par période.

Dans le Segréen, une prospection poussée pendant les années soixante-dix a permis de découvrir à cette époque le Pouillot de Bonelli dans nombre de secteurs boisés de petite taille, voire de parcs.
Enfin, le Pouillot de Bonelli semble très localisé dans les Mauges, voire rare en dehors des grands massifs de Nuaillé-Chanteloup-Vezins, malgré un effort de recherche plus poussé dans la dernière période.

3.3. Évolution ancienne et récente, densités et effectifs
Au siècle dernier, MILLET (1828 : 244-245) considère l'espèce « très commune dans les bois et les forêts des arrondissements de Baugé, Saumur et Beaupréau [Mauges] ». Plus tard, dans son Indicateur de Maine-et-Loire (1864-1865, tomes I et II), il cite une dizaine de localités - des quatre grandes régions naturelles du département, plus une station ligérienne : l'île de Saint-Jean-de-la-Croix. Mais il précise qu'il juge l'espèce parmi les plus remarquables en Anjou d'un point de vue biogéographique.
Plus récemment, en 1944, DOUAUD (1949-1950) trouve l'espèce commune en forêt de la Foucaudière (Mauges), presque exclusivement dans des Pins sylvestres.
Pour les observateurs angevins des années soixante et soixante-dix, le Pouillot de Bonelli est encore un nicheur répandu et suffisamment commun pour ne pas susciter de suivi spécifique. Il est souvent noté comme abondant dans les massifs du Baugeois et du Saumurois, parfois même le nombre de chanteurs est supérieur à celui du Pouillot véloce (bois des Lochereaux à Louerre, 4 juin 1962 ; partie sud de la forêt de Chambiers, 12 mai 1963 ; BEAUDOIN, inéd.). Dans le Segréen, LECOMTE (inéd.) dénombre une quinzaine de chanteurs en forêt d'Ombrée le 28 juin 1979, alors que l'intensité des chants a nettement diminué à cette période de l'année. Des densités exceptionnellement élevées sont relevées dans les parcs de la Haye et de la Garenne à Angers-Avrillé le 19 mai 1976 : respectivement 10 et 8 couples sur deux secteurs de moins d'un hectare chacun dans des boisements naturels de chênes tauzins (LE MAO, inéd.). Bien que ponctuelles, ces densités méritent d'être signalées, dépassant largement les densités maximales de l'ordre de 3 couples à l'hectare connues en Europe (CRAMP 1992 : 572-585).
À partir des années quatre-vingt, les effectifs du Pouillot de Bonelli en Maine-et-Loire diminuent de façon très sensible. Si le nombre et la répartition des stations restent équivalents en Baugeois et Saumurois (tableau 4), c'est un artefact : en réalité la pression d'observation s'est certainement améliorée, et surtout les observations récentes ne mentionnent plus que des chanteurs isolés, au plus quelques unités. Seule exception notable, les boisements mixtes de Verrie dans le Saumurois semblent conserver un niveau satisfaisant (jusqu'à 15 chanteurs le 20 mai 1990).
Quelles peuvent être les raisons de ce déclin ? Le Pouillot de Bonelli étant capable d'occuper en Anjou un vaste éventail de milieux, la raison de ce déclin ne se trouve pas (pour une fois !) dans une modification de ses habitats. Et bien qu'hivernant juste au sud du Sahara, il ne fait pas partie de ces espèces grandes migratrices pour lesquelles la dégradation des conditions d'hivernage sahélien a été évoquée. Peut-on émettre l'hypothèse d'une certaine « atlantisation » du climat angevin où une série de printemps humides depuis la fin des années soixante-dix aurait pu agir négativement sur les succès de reproduction ? Ou plus simplement est-on en présence d'une fluctuation cyclique actuellement en phase régressive, surtout sensible pour une population en limite d'aire de répartition, après une phase d'expansion vers le nord suspectée dans les années soixante (BEESAU et al. 1983 ; FOUARGE 1969 ; MOREAU 1989) ? Enfin, on ne peut pas écarter l'hypothèse d'une compétition interspécifique, en particulier au profit du Pouillot véloce comme cela semble être le cas ces dernières années au parc de la Garenne.

En tout cas, ce déclin récent constaté en Anjou ne semble pas (encore ?) signalé ailleurs dans la littérature régionale. En Sarthe, le Pouillot de Bonelli est « assez commun localement », mais « les milieux supposés optimaux sont loin d'être saturés » (BESNAULT & LÉTARD, op. cit.) ; il a « peut-être régressé dans certaines localités » (GSO 1991). En Loire-Atlantique, il est qualifié de « nicheur peu abondant à distribution limitée et au statut mal connu », sa population étant estimée inférieure à 500 couples (RECORBET, op. cit.).
En résumé, le Pouillot de Bonelli en Maine-et-Loire est passé en quelques années du statut de nicheur abondant localement à celui de nicheur peu commun aux effectifs faibles (moins de 500 couples ?). Cette régression n'a pour l'heure pas d'explications connues mais doit inciter les observateurs angevins à surveiller de près (par exemple par des recensements exhaustifs sur des sites témoins) les évolutions numériques de cette espèce.

4. Quelques réflexions et pistes de recherche

En matière d'habitat, chaque espèce a ses exigences. Pourtant certains massifs angevins voient souvent cohabiter, parfois dans la même parcelle, deux, trois, voire les quatre espèces de pouillots (en incluant le Pouillot véloce, le plus généraliste et le plus abondant). Ceci reflète bien sûr l'hétérogénéité de la végétation ou les dimensions réduites de ces massifs, mais prouve aussi que ces espèces sont capables d'une certaine plasticité vis-à-vis du milieu (BESNAULT & LÉTARD, op. cit.). Les Pouillots siffleur et de Bonelli peuvent ainsi être associés dans les taillis sous futaie (cf. § 3.2.), de même que, presque systématiquement, on trouvera le Pouillot véloce dans les stations du Fitis, partageant la même préférence pour les milieux buissonnants.
Du coup, on ne peut négliger les interactions entre ces espèces si l'on veut analyser correctement non seulement leur répartition spatiale mais aussi les variations interannuelles d'effectifs et de densités. Un certain degré de compétition territoriale existe probablement entre le Pouillot véloce et les Pouillots fitis et de Bonelli (le premier, migrateur partiel, arrive plus tôt et pourrait avoir un rôle limitant sur l'installation des deux autres), ainsi qu'entre le Siffleur et le Pouillot de Bonelli (oiseaux se répondant par leurs chants très voisins, observation personnelle, 5 mai 1988).
Certains sites angevins se prêtent bien à une première approche de ces cohabitations : les boisements de Verrie près de Saumur ou les parcs de la Haye et de la Garenne à Angers-Avrillé hébergent régulièrement les quatre espèces, sont facilement visités par les ornithologues et ont des dimensions « raisonnables ». Un suivi sur 4 ou 5 ans consistant à recenser simplement l'ensemble des chanteurs de chaque espèce (y compris le Pouillot véloce) en période favorable (troisième décade de mai par exemple) et en précisant les effectifs par types d'habitat pourrait se révéler riche en enseignements à la fois sur les variations de taille et de densité des populations, la répartition spatiale et les relations interspécifiques.
Au-delà d'un simple suivi d'espèces sensibles, un intérêt supplémentaire d'une telle étude plurispécifique réside dans le fait que l'Anjou fait partie de l'étroite bande géographique où ces quatre pouillots sont sympatriques.


Remerciements

Il m'est agréable d'associer ici tous les ornithologues angevins dont les observations sont la base de cet article. Pour les discussions fructueuses que j'ai eues avec lui, son travail minutieux de relecture et surtout pour sa passion communicative, Jean-Claude BEAUDOIN m'a été d'une aide très précieuse. Qu'il en soit vivement remercié.


Bibliographie

BEESAU H., BESNAULT J., COLLETTE J., DUMEIGE B., LEBOSSÉ A., L'HARDY J.-P., MOREAU G., MOTEL G., PAINEAU G., RADIGUE F., RIVIÈRE J., ROSE M., 1986. - Oiseaux nicheurs du parc naturel régional Normandie-Maine. 1978-1983. Parc naturel régional Normandie-Maine. Fresnay-sur-Sarthe.
BESNAULT J., LÉTARD J., 1986. - Les populations de pouillots de la Sarthe. Bull. Gr. Sarthois Orn., 16 : 7-15.
COLLETTE J., 1989. - Pouillot siffleur, in GROUPE ORNITHOLOGIQUE NORMAND. - Atlas des oiseaux nicheurs normands (Normandie et îles anglo-normandes). Groupe ornithologique normand. Caen.
CRAMP St. (ed), 1992. - The Birds of the Western Palearctic. Vol. VI. Oxford university press, Oxford.
DOUAUD J., 1949-1950. - Notes sur quelques oiseaux d'une forêt de l'Anjou. Alauda, 17-18 : 180-183.
FOUARGE J., 1969. - Le Pouillot de Bonelli étend-il son aire de nidification vers le nord ? Aves, 6 : 134-139.
FOUQUET M., 1995. - Pouillot fitis, in GROUPE ORNITHOLOGIQUE DES DEUX-SÈVRES. - Oiseaux nicheurs des Deux-Sèvres. Atlas du Groupe ornithologique des Deux-Sèvres, 1985-1992. Groupe ornithologique des Deux-Sèvres.
GRAFEUILLE D., 1994. - Pouillot de Bonelli, in YEATMAN-BERTHELOT D., JARRY G. - Nouvel atlas des oiseaux nicheurs de France. 1985-1989. Éd. Société ornithologique de France. Paris.
GROUPE SARTHOIS ORNITHOLOGIQUE, 1991. - Les oiseaux nicheurs de la Sarthe. Gr. Sarthois Orn. Le Mans.
GUERMEUR Y., MONNAT J.-Y., 1980. - Histoire et géographie des oiseaux nicheurs de Bretagne. Société pour l'étude et la protection de la nature en Bretagne, Centrale ornithologique bretonne (Ar Vran).
LOVATY F., 1994. - Pouillot siffleur, in YEATMAN-BERTHELOT D., JARRY G. - Nouvel atlas des oiseaux nicheurs de France. 1985-1989. Éd. Société ornithologique de France. Paris.
MILLET P.-A., 1828. - Faune de Maine-et-Loire ou Description méthodique des animaux qu'on rencontre dans toute l'étendue du département de Maine-et-Loire, tant sédentaires que de passage ; avec des observations sur leurs mœurs, leurs habitudes, etc., etc. ; Éd. Pavie, Angers. Éd. Rosier, Paris. Tome II.
MILLET DE LA TURTAUDIÈRE P.-A., 1864 et 1865. - Indicateur de Maine-et-Loire ou Indication par communes de ce que chacune d'elles renferme sous les rapports de la géographie, des productions naturelles, des monuments historiques, de l'industrie et du commerce précédée d'une introduction dans laquelle sont établis des faits et rappelées des considérations de plus d'un genre, se rapportant, soit à l'ensemble de ce département, soit à sa topographie, son hydrographie, ainsi qu'à la météorologie, la climatologie, et dans cette dernière catégorie se présentent les géographie botanique et zoologique de Maine-et-Loire. Éd. Cosnier & Lachèse, Angers. Tomes I et II.
MOREAU G., 1989. - Pouillot de Bonelli, in GROUPE ORNITHOLOGIQUE NORMAND. - Atlas des oiseaux nicheurs normands (Normandie et îles anglo-normandes). Groupe ornithologique normand. Caen.
OLIOSO G., 1984. - Quelques observations sur la nidification du Pouillot de Bonelli en Vaucluse. Alauda, 52 : 226-231.
RAEVEL P., 1994. - Pouillot fitis, in YEATMAN-BERTHELOT D., JARRY G. - Nouvel atlas des oiseaux nicheurs de France. 1985-1989. Éd. Société ornithologique de France. Paris.
RECORBET B., 1992. - Les oiseaux de Loire-Atlantique du XIXe siècle à nos jours. Groupe ornithologique de Loire-Atlantique. Nantes.

haut de la page

index Crex