Sommaire du Crex n° 2, 1997

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Enquête Pies-grièches :
compte rendu du suivi réalisé en 1993 et 1994

Jean-Claude BEAUDOIN

 

Introduction

L'enquête nationale proposée par Norbert LEFRANC et confiée à la LPO vise les objectifs suivants :
• préciser la répartition géographique et les effectifs des populations nicheuses ;
• mettre au point une méthode de suivi des populations ;
• réfléchir sur les causes présumées des changements de statuts ;
• proposer des mesures de protection à court et à long terme.
L'année 1993 est considérée comme une année de « rodage » où sont choisies les zones de suivi et réalisés les premiers comptages. L'enquête débute à partir de 1994 et un contrôle des oiseaux présents est ensuite prévu tous les 5 ans afin de distinguer entre variations d'effectifs dues à l'action humaine locale et variations dues à d'autres causes.
En 1993 et 1994, l'enquête en Maine-et-Loire a porté exclusivement sur la Pie-grièche écorcheur Lanius collurio car la Pie-grièche à tête rousse Lanius senator n'a fourni aucun indice de nidification (un mâle isolé en vallée de la Tau et 1 ou 2 individus dans la vallée de l'Authion).

1. Description des zones de suivi

Pour répondre aux objectifs de l'enquête, le choix de ces zones s'est orienté vers celles déjà connues comme bien peuplées ou susceptibles de l'être. Ces zones sont pratiquement toutes localisées dans les vallées de la Loire et de l'Authion (BEAUDOIN 1993) et l'un des plus notables apports de l'enquête préliminaire de 1993 aura été la découverte de fortes densités dans un secteur proche de Longué et jusque-là insoupçonné.
En outre, un de nos collaborateurs a eu la possibilité, dans le cadre de ses activités profes-sionnelles (garderie de l'Office national de la chasse), de prendre en charge un vaste secteur très représentatif du Baugeois.
Les 6 zones de suivi retenues couvrent 11 980 ha et leur prospection a mobilisé une quinzaine d'obser-vateurs. Ces zones sont situées sur la carte p. 39 et leurs principales caractéristiques figurent au tableau 1.

2. Résultats

Les résultats des comptages sur les zones de suivi sont présentés dans le tableau 2.
La comparaison des deux années doit être faite en prenant en compte les éléments suivants :
• la diminution observée en 1994 sur la zone de Brion est vraisemblablement attribuable à la réduction des surfaces d'habitat favorable (tableau 1) ;
• l'augmentation constatée en 1994 sur les zones de Longué et Fontevraud doit surtout s'expliquer par des recherches de terrain plus approfondies ;
• les effectifs paraissent stables sur les zones de Noyant-Baugé et d'Allonnes et Brain-sur-Allonnes. Sur cette dernière, tous les couples ne sont pas détectés en 1994 (9 mâles qualifiés d'« isolés ») en raison d'un temps de prospection quatre fois plus court qu'en 1993.

Dénomination (communes)

Superficie totale
(superficie favorable)
en hectares

Description

Noyant-Baugé

(Baugé, Pontigné, Chavaignes, Genneteil, Chigné, Lasse, Auverse, Noyant, Dénezé-sous-le-Lude)

8 400
(?)

Plateau avec ondulations. Polyculture-élevage au sein d’un bocage clair à Chêne pédonculé et Orme.
5 communes remembrées.

Brion

(Brion et Chartrené)

1 200
(< 400 en 1993, 80 dispersés en 1994)

Rebord de plateau avec buttes. Polyculture-élevage avec bocage clair à Chêne pédonculé et Orme. Moins de 10 % de prairies de fauche en 1994 (très forte régression par rapport à 1993 sous l’effet de mises en cultures).

Longué

(Longué-Jumelles)

303
(150)

Lit majeur endigué de la Loire et de l’Authion. Élevage dominant (41 % de prairies permanentes pâturées ou fauchées) et cultures. Bocage clair à Frêne oxyphylle, Chêne pédonculé et Saule blanc. Important linéaire de buissons. Quelques peupleraies.
Commune remembrée.

Allonnes et Brain-sur-Allonnes

 

575
(?)

Lit majeur endigué de la Loire et de l’Authion. Bocage clair à Frêne oxyphylle avec moins de 140 ha de prairies permanentes en régression rapide et dispersées. Polyculture-élevage. Haies basses peu abondantes. Communes remembrées.

Vallée de la Tau

(Montjean-sur-Loire, Le Mesnil-en-Vallée, Saint-Laurent-du-Mottay, Saint-Florent-le-Vieil)

1 100
(160 en vallée de la Tau et 60 sur l’île Meslet)

Lit majeur endigué de la Loire et de la Tau et île de Loire. Élevage et cultures fourragères au sein d’un bocage très clair ou absent à Frêne oxyphylle, Chêne pédonculé et Orme avec haies basses localisées. Quelques peupleraies.
Dominance de prairies permanentes pâturées sur les sites à Écorcheur. Communes remembrées.

Fontevraud

(Fontevraud et Saix-86)

400
(? 250)

Plateau occupé par un camp militaire avec champ de tir et parcours d’engins blindés. Végétation herbacée dominante avec taches de landes à bruyères et ajoncs, ronciers et petits bosquets de feuillus.
En 1994, élimination d'une fraction importante des ligneux par coupe et gyrobroyage.


3. Estimation des effectifs départementaux

3.1. Méthodologie

Cette évaluation s'avère délicate à réaliser en raison de la distribution très hétérogène de l'Écorcheur en Maine-et-Loire (BEAUDOIN 1993), en particulier dans les vallées de la Loire et de l'Authion - principaux bastions de l'espèce - où l'aire occupée est fragmentée en îlots. De ce fait, l'estimation proposée repose sur deux méthodes :
• une extrapolation au nord-est du département à partir d'une très vaste surface-échantillon ;
• une appréciation semi-empirique pour les autres régions fondée sur de solides acquis antérieurs (BEAUDOIN loc. cit.) et les recensements de 1993 et 1994 sur les zones de suivi et hors de celles-ci.
Ainsi, il semble désormais possible d'affirmer qu'il n'existe plus en Maine-et-Loire de noyaux de peuplement substantiel encore inconnus, comme ce fut le cas avec la zone de Longué jusqu'en 1993. En effet, il n'y a pratiquement plus d'oiseaux en vallée de l'Authion entre la zone d'Allonnes et Brain-sur-Allonnes et celle de Longué (Patrick RABOIN, comm. pers.) de même que plus à l'ouest où les mises en culture assez récentes ont supprimé la quasi-totalité des milieux favorables. Dans le val de Loire, en aval des Ponts-de-Cé, diverses prospections (Gilles MOURGAUD et obs. pers.) ont montré l'absence de l'espèce en amont de Montjean-sur-Loire - à l'exception, peut être encore, de l'île de Chalonnes - malgré le maintien de quelques secteurs propices entre Rochefort-sur-Loire et Saint-Jean-de-la-Croix.
Par ailleurs, les 6 zones retenues hébergent une fraction importante de l'effectif départemental. En effet, si l'on admet que la plupart des mâles signalés comme isolés sont en réalité appariés - ce que suggèrent très fortement les résultats sur les zones ayant fait l'objet d'une prospection très soutenue - il est possible d'envisager sur ces zones la présence de 95 couples en 1993 et de près de 100 en 1994. En outre, 15 couples en 1993 et 12 en 1994 nous ont été signalés hors de ces zones. Au total, il est raisonnable d'envisager que les comptages menés ces deux années ont permis de prendre contact avec au moins la moitié de la population du Maine-et-Loire.

3.2. Effectifs des régions naturelles

3.2.1 Baugeois

En 1993, P. CARIOU a contacté un minimum de 31 couples sur 27 500 hectares prospectés de façon approfondie. Cette superficie est répartie sur 20 communes du nord-est de la région (cf. carte p. ) et comprend la zone de suivi définie entre Noyant et Baugé. La densité obtenue sur cet échantillon paraît pouvoir être extrapolée à une étendue de 58 300 ha située à l'est d'une ligne Vaulandry - Baugé - Beaufort-en-Vallée. Cet ensemble serait occupé par au moins 66 couples. À l'ouest, où une dizaine de couples sont connus, les densités sont plus faibles et l'effectif ne doit pas y dépasser 25 couples. Au total, l'effectif moyen du Baugeois doit être d'à peine 95 couples.

3.2.2 Saumurois

18 couples connus sur la période 1980-1989 (BEAUDOIN 1993), et environ 22 couples en 1994. L'effectif total peut y être estimé à 40 couples (sur la zone de suivi de Fontevraud, 2 couples seulement sont en Maine-et-Loire et tous les autres dans le département de la Vienne).

3.2.3. Vallée de la Loire

En amont des Ponts-de-Cé seul le val d'Authion est occupé par 44 couples et 10 mâles en 1994. L'effectif peut en être estimé à 75 couples. Sur la portion aval, il ne doit pas y avoir plus de 10 couples.
Ces estimations ainsi que les fourchettes proposées dans le cadre de l'enquête sont récapitulées dans le tableau 3.

Nombre de couples

Régions naturelles

Valeur moyenne

min.

max.

Baugeois

95

80

110

Saumurois

40

30

50

Val de Loire

85

70

95

Total

220

180

255

Ajoutons pour l'anecdote la présence en juin 1994 d'un mâle cantonné sur la commune de Saint-Michel-et-Chanveaux dans l'extrême nord-ouest du Segréen, soit très à l'écart de l'aire angevine de répartition.

4. Discussion

Dans une précédente mise au point sur le statut de la Pie-grièche écorcheur au cours de la période 1980-1989, nous avions envisagé un effectif départemental pouvant dépasser la centaine de couples et « … même assez nettement plus lors des bonnes années. » Les résultats obtenus au début de la présente enquête montrent que cette estimation était trop basse, essentiellement en raison d'une prospection encore insuffisante.
Toutefois divers éléments incitent à penser que les années 1993 et 1994 furent caractérisées par un niveau d'abondance remarquable, peut-être consécutif à des conditions de nidification souvent très favorables durant la période 1989-1992. À l'appui de cette hypothèse, le fait que sur la zone d'Allonnes et Brain-sur-Allonnes, régulièrement suivie depuis 1985, l'effectif ait fluctué entre 10 et un peu plus de 20 couples alors qu'il atteignait la trentaine en 1993 et 1994. Cependant, il faut être très prudent dans la comparaison des données car, au cours de ces deux premières années d'enquête, le recensement précis des couples cantonnés dans les zones à fortes densités s'est avéré difficile et très exigeant en temps consacré sur le terrain.
Ces deux années d'enquête ont aussi confirmé le caractère relictuel de la distribution de la Pie-grièche écorcheur sur de vastes secteurs de l'Anjou oriental avec des densités très faibles - de l'ordre de 0,1 couple aux 100 ha dans le Baugeois - et le maintien de rares noyaux fortement peuplés (13 couples pour 100 ha sur la zone de Longué) et surtout concentrés dans les vallées de la Loire et de l'Authion.
Au niveau de la région des Pays de la Loire (tableau 4), la contribution des effectifs de Maine-et-Loire est de l'ordre de 22 %, ce qui n'est pas négligeable.

Département

Effectif moyen (couples)

Fourchettes

Mayenne

10

  

Sarthe

? 2

   

Maine-et-Loire

220

(180-255)

Loire-Atlantique

? 415

(253-576)

Vendée

300-350

  

Total

950-1000

  

La préservation de l'espèce passe en priorité par la pérennisation des milieux les plus favorables. L'une des retombées immédiates de l'enquête est la définition, dès 1994, d'un périmètre en Zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) de type 1 sur la zone de Longué et sur une partie de la zone de Brain-sur-Allonnes non encore inscrite à cet inventaire. À la demande de la Direction départementale de l'Agriculture et de la Forêt, la LPO Anjou a ensuite réalisé une étude des zones naturelles de la vallée de l'Authion (LOIR & MOURGAUD 1995) comportant des propositions de mesures de gestion destinées à limiter les effets de l'opération d'aménagement foncier liée à l'implantation de l'autoroute A85 entre Tours et Angers. Toutefois, faute d'incitation financière, il apparaît que peu de ces propositions ont été retenues comme en témoignent actuellement les mises en culture et arrachages de haies (Véronique VIMONT, comm. pers.)…
Sur la Loire en aval des Ponts-de-Cé une opération locale Vallée de la Loire engagée en 1995 pour 5 années et ayant pour objectifs le maintien en prairie et l'entretien des haies, devrait contribuer à la préservation et, peut-être, à l'extension des habitats recherchés par la Pie-grièche écorcheur.


Remerciements

Outre les participants à l'enquête, nous tenons à remercier les observateurs suivants qui nous ont transmis des données recueillies hors des zones de suivi :
Christian CARDIN, Jean&endash;François CORNUAILLE, Hervé COZANNET, Jean&endash;Marc GILLIER et Patrick RABOIN ainsi que Véronique et Olivier VIMONT qui suivent de près la zone de Longué.


Bibliographie

BEAUDOIN J.-Cl., 1993. - Mise au point sur les Pies-grièches Lanius collurio, L. senator et L. excubitor nichant en Maine-et-Loire sur la période 1962-1989. Bull. Gr. Angevin Ét. Orn., 21 (44) : 43-50.
JOLIVET Chr., VERNEAU A., BESLOU M., 1995. - La Pie-grièche écorcheur Lanius collurio en Loire-Atlantique : enquête départementale 1994. Spatule, 1 : 2-14.
LOIR O., MOURGAUD G., 1995. - Étude des zones naturelles de la vallée de l'Authion. LPO Anjou : 1-22 + cartes et annexes.
MAYENNE NATURE ENVIRONNEMENT, non daté. - Enquêtes nationales Pies-grièches. Actes des XIII e rencontres régionales d'ornithologie du Grand Ouest, p. 12.

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