Note sur un dortoir inhabituel de Mouettes
rieuses
par Gilles MOURGAUD
Introduction
La présente note met en évidence un aspect
original de l'occupation de dortoirs par la Mouette rieuse
Larus ridibundus en période postnuptiale et hivernale
à Angers et montre l'opportunisme de cette
espèce.
Durant l'hiver 1993-1994, les dirigeants de l'usine Scania
à Angers contacte un laboratoire
spécialisé dans l'effarouchement des oiseaux,
le laboratoire Actipharm France (LAF).
Les toits de l'usine sont occupés la nuit par de
nombreuses Mouettes rieuses qui occasionnent diverses
nuisances : salissures liées aux fientes, plumes
et duvet entrant par les aérateurs
La mise en uvre du dispositif d'effarouchement par
traitement acoustique prévue en avril ne peut avoir
lieu en raison d'une baisse importante des effectifs de
mouettes liée au départ des hivernants. Il est
alors envisagé de réaliser un suivi commun
LAF, Scania et LPO Anjou à partir de
l'été 1994.
1. Description du site
L'usine Scania est située en
périphérie nord d'Angers en limite avec la
commune d'Écouflant. Le site est distant de 2 km
du lac de Maine qui accueille de l'automne au printemps un
important dortoir de Laridés. De 5 000 à
25 000 mouettes s'y regroupent.
L'installation de l'usine dans d'anciens entrepôts est
récente et remonte à 1991-1992. Depuis cette
période, le site est éclairé la nuit.
Les toitures gravillonnées ou goudronnées
couvrent une superficie de plus de 6 hectares. Des
lanterneaux entretiennent un faible éclairage du
toit, renforcé par les lampadaires extérieurs.
De plus des extracteurs d'air doivent maintenir une certaine
température sur le toit.
Surface importante, tranquillité et
sécurité, trois facteurs réunis pour
que des Mouettes rieuses opportunistes adoptent ce site
comme dortoir.
Les décomptes des mouettes sont
réalisés par les gardiens de nuit et les
techniciens du LAF depuis le toit de l'usine d'une part, et
par L.-M. PRÉAU et moi-même depuis le toit d'un
immeuble situé 400 m au sud et dominant le site,
d'autre part.
2. Le suivi
Avant la mise en service du traitement acoustique, un
suivi préalable est réalisé en juillet
et août. Le 18 août,
1 400 mouettes sont présentes au lac de
Maine et plus de 3 500 sont présentes sur le
site.
En septembre, un suivi quotidien du lac de Maine et du site
est réalisé lors de la phase
expérimentale qui dure 7 jours et voit la mise
en service du système d'effarouchement dès le
3e jour puis chaque nuit ensuite.
Aux soirs des 20 au 21 et 21 au 22, 6 000 mouettes
sont présentes au lac de Maine à
20 h 30. Deux heures plus tard, la
quasi-totalité des oiseaux a rejoint le toit de
l'usine.
Les observations nocturnes réalisées depuis le
toit de l'immeuble situé au sud de l'usine ont
montré un déplacement important des mouettes
du lac vers l'usine. Les oiseaux longent la Maine à
moyenne altitude et sont bien éclairés par les
lumières de la ville. La taille des groupes varient
de quelques unités à quelques centaines
d'oiseaux. Peu d'arrivées sont observées
autrement qu'en provenance du lac de Maine.
Dans la nuit du 22 au 23, les arrivées se
décomposent de la façon suivante :
à 20 h 30 :
> 6 000 mouettes au lac de Maine et aucune
sur le site ;
de 22 h à 22 h 30 :
arrivée massive et brutale de plus de
3 200 mouettes ;
de 22 h 30 à 2 h :
arrivées régulières du lac de Maine et
présence à 2 h de plus de
7 000 mouettes. Le dortoir est alors
complet ;
à 5 h 35,
désagrégation du dortoir et départ
progressif ;
le traitement acoustique intervient à
5 h 57 et provoque la fuite de plus de
5 000 oiseaux.
Les jours suivants, les oiseaux survolent le site, tentent
de s'y poser mais il n'y a pas reconstitution de
dortoir.
Le 30 septembre, plus de 8 000 mouettes
fré-quentent le lac de Maine à
19 h 15. Le 6 octobre, à
6 h 15, 7 000 à
8 000 mouettes ont passé la nuit au lac et
le quittent progressivement.
L'abandon du suivi par les gardiens entraînera une
recolonisation du site à partir du 20 novembre.
D'abord indécise, la reconquête du toit est
brutale dès le 29. Selon les techniciens du LAF, le
dortoir compte alors plus de 15 000 mouettes. Il y
a donc eu à nouveau transfert complet des oiseaux du
lac de Maine.
Les traitements acoustiques pratiqués du 16 au
22 décembre vont entraîner la
désertion complète et définitive du
site.
Des tentatives sont notées entre le 15 et le 22
janvier mais les nouvelles interventions du dispositif
n'incitent pas les oiseaux à y rester.
3. Discussion
Nous n'avons trouvé qu'une mention de dortoirs de
Mouettes rieuses sur toit de hangar dans la
littérature (CRAMP & SIMMONS
1982 : 757). En revanche, le LAF nous signale
être intervenu sur deux dortoirs similaires :
l'un à Évian (Haute-Savoie) sur les toits
(5 ha) d'une usine Michelin de 1990 à
1992 ; l'autre à Béthune (Pas-de-Calais),
sur les toits (4,5 ha) de l'usine Firestone de 1991
à 1993.
Un tel phénomène peut passer totalement
inaperçu. Dans le cas présent, le dortoir
semblait parfaitement constitué et stable au lac de
Maine à la tombée de la nuit. Quelques
mouvements nocturnes vers le nord avaient cependant
été notés à la lueur des
lampadaires le long de la Maine. Rien ne laissait supposer
qu'en l'espace de quelques heures, l'ensemble des mouettes
rejoindrait le toit de l'usine. Les goélands, quant
à eux, présents au nombre d'un millier le
21 décembre n'ont jamais quitté le
lac.
Il est probable que quelques Mouettes rieuses opportunistes
ont tout d'abord visité le site la journée
puis qu'un reposoir diurne s'y est mis en place. À
partir de cette occupation diurne sporadique ou
régulière, l'ensemble d'un dortoir de plus de
15 000 oiseaux a modifié ses habitudes pour
occuper ce même site mais la nuit. Ce
phénomène doit remonter à l'hiver
suivant la mise en route de l'usine, les oiseaux gardant en
mémoire ce site attractif d'un hiver sur l'autre et
entraînant avec eux bon nombre de nouveaux
oiseaux.
Les traitements acoustiques ont eu pour effet de faire
rapidement revenir les Mouettes rieuses au lac de Maine. Un
contact avec le LAF en 1996 n'indiquait pas de nouvelle
installation sur le site.
Il serait intéressant dans l'avenir d'essayer de
suivre d'éventuels mouvements nocturnes des mouettes
rieuses vers d'autres sites favorables de la région
d'Angers.
Bibliographie
CRAMP St., SIMMONS K. E. L. (eds),
1982. - The Birds of the Western Palearctic.
Vol. III. Oxford university press, Oxford.
1 Laboratoire Actipharm France, 1,
rue de Vénus, 94700 Maisons-Alfort.
Il est spécialisé dans la mise en uvre
de méthodes d'effarouchement bioacoustique d'oiseaux
par émission de cris de détresse, le but
étant de rendre les sites traités totalement
inhospitaliers.
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