Sommaire du Crex n° 2, 1997

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Note sur un dortoir inhabituel de Mouettes rieuses

par Gilles MOURGAUD

Mouette rieuse par Benoît Robin

Introduction

La présente note met en évidence un aspect original de l'occupation de dortoirs par la Mouette rieuse Larus ridibundus en période postnuptiale et hivernale à Angers et montre l'opportunisme de cette espèce.
Durant l'hiver 1993-1994, les dirigeants de l'usine Scania à Angers contacte un laboratoire spécialisé dans l'effarouchement des oiseaux, le laboratoire Actipharm France (LAF). Les toits de l'usine sont occupés la nuit par de nombreuses Mouettes rieuses qui occasionnent diverses nuisances : salissures liées aux fientes, plumes et duvet entrant par les aérateurs…
La mise en œuvre du dispositif d'effarouchement par traitement acoustique prévue en avril ne peut avoir lieu en raison d'une baisse importante des effectifs de mouettes liée au départ des hivernants. Il est alors envisagé de réaliser un suivi commun LAF, Scania et LPO Anjou à partir de l'été 1994.

1. Description du site

L'usine Scania est située en périphérie nord d'Angers en limite avec la commune d'Écouflant. Le site est distant de 2 km du lac de Maine qui accueille de l'automne au printemps un important dortoir de Laridés. De 5 000 à 25 000 mouettes s'y regroupent.
L'installation de l'usine dans d'anciens entrepôts est récente et remonte à 1991-1992. Depuis cette période, le site est éclairé la nuit. Les toitures gravillonnées ou goudronnées couvrent une superficie de plus de 6 hectares. Des lanterneaux entretiennent un faible éclairage du toit, renforcé par les lampadaires extérieurs. De plus des extracteurs d'air doivent maintenir une certaine température sur le toit.
Surface importante, tranquillité et sécurité, trois facteurs réunis pour que des Mouettes rieuses opportunistes adoptent ce site comme dortoir.
Les décomptes des mouettes sont réalisés par les gardiens de nuit et les techniciens du LAF depuis le toit de l'usine d'une part, et par L.-M. PRÉAU et moi-même depuis le toit d'un immeuble situé 400 m au sud et dominant le site, d'autre part.

2. Le suivi

Avant la mise en service du traitement acoustique, un suivi préalable est réalisé en juillet et août. Le 18 août, 1 400 mouettes sont présentes au lac de Maine et plus de 3 500 sont présentes sur le site.
En septembre, un suivi quotidien du lac de Maine et du site est réalisé lors de la phase expérimentale qui dure 7 jours et voit la mise en service du système d'effarouchement dès le 3e jour puis chaque nuit ensuite.
Aux soirs des 20 au 21 et 21 au 22, 6 000 mouettes sont présentes au lac de Maine à 20 h 30. Deux heures plus tard, la quasi-totalité des oiseaux a rejoint le toit de l'usine.
Les observations nocturnes réalisées depuis le toit de l'immeuble situé au sud de l'usine ont montré un déplacement important des mouettes du lac vers l'usine. Les oiseaux longent la Maine à moyenne altitude et sont bien éclairés par les lumières de la ville. La taille des groupes varient de quelques unités à quelques centaines d'oiseaux. Peu d'arrivées sont observées autrement qu'en provenance du lac de Maine.
Dans la nuit du 22 au 23, les arrivées se décomposent de la façon suivante :
• à 20 h 30 : > 6 000 mouettes au lac de Maine et aucune sur le site ;
• de 22 h à 22 h 30 : arrivée massive et brutale de plus de 3 200 mouettes ;
• de 22 h 30 à 2 h : arrivées régulières du lac de Maine et présence à 2 h de plus de 7 000 mouettes. Le dortoir est alors complet ;
• à 5 h 35, désagrégation du dortoir et départ progressif ;
• le traitement acoustique intervient à 5 h 57 et provoque la fuite de plus de 5 000 oiseaux.
Les jours suivants, les oiseaux survolent le site, tentent de s'y poser mais il n'y a pas reconstitution de dortoir.
Le 30 septembre, plus de 8 000 mouettes fré-quentent le lac de Maine à 19 h 15. Le 6 octobre, à 6 h 15, 7 000 à 8 000 mouettes ont passé la nuit au lac et le quittent progressivement.
L'abandon du suivi par les gardiens entraînera une recolonisation du site à partir du 20 novembre. D'abord indécise, la reconquête du toit est brutale dès le 29. Selon les techniciens du LAF, le dortoir compte alors plus de 15 000 mouettes. Il y a donc eu à nouveau transfert complet des oiseaux du lac de Maine.
Les traitements acoustiques pratiqués du 16 au 22 décembre vont entraîner la désertion complète et définitive du site.
Des tentatives sont notées entre le 15 et le 22 janvier mais les nouvelles interventions du dispositif n'incitent pas les oiseaux à y rester.

3. Discussion

Nous n'avons trouvé qu'une mention de dortoirs de Mouettes rieuses sur toit de hangar dans la littérature (CRAMP & SIMMONS 1982 : 757). En revanche, le LAF nous signale être intervenu sur deux dortoirs similaires : l'un à Évian (Haute-Savoie) sur les toits (5 ha) d'une usine Michelin de 1990 à 1992 ; l'autre à Béthune (Pas-de-Calais), sur les toits (4,5 ha) de l'usine Firestone de 1991 à 1993.
Un tel phénomène peut passer totalement inaperçu. Dans le cas présent, le dortoir semblait parfaitement constitué et stable au lac de Maine à la tombée de la nuit. Quelques mouvements nocturnes vers le nord avaient cependant été notés à la lueur des lampadaires le long de la Maine. Rien ne laissait supposer qu'en l'espace de quelques heures, l'ensemble des mouettes rejoindrait le toit de l'usine. Les goélands, quant à eux, présents au nombre d'un millier le 21 décembre n'ont jamais quitté le lac.
Il est probable que quelques Mouettes rieuses opportunistes ont tout d'abord visité le site la journée puis qu'un reposoir diurne s'y est mis en place. À partir de cette occupation diurne sporadique ou régulière, l'ensemble d'un dortoir de plus de 15 000 oiseaux a modifié ses habitudes pour occuper ce même site mais la nuit. Ce phénomène doit remonter à l'hiver suivant la mise en route de l'usine, les oiseaux gardant en mémoire ce site attractif d'un hiver sur l'autre et entraînant avec eux bon nombre de nouveaux oiseaux.
Les traitements acoustiques ont eu pour effet de faire rapidement revenir les Mouettes rieuses au lac de Maine. Un contact avec le LAF en 1996 n'indiquait pas de nouvelle installation sur le site.
Il serait intéressant dans l'avenir d'essayer de suivre d'éventuels mouvements nocturnes des mouettes rieuses vers d'autres sites favorables de la région d'Angers.

Bibliographie

CRAMP St., SIMMONS K. E. L. (eds), 1982. - The Birds of the Western Palearctic. Vol. III. Oxford university press, Oxford.

1 Laboratoire Actipharm France, 1, rue de Vénus, 94700 Maisons-Alfort.
Il est spécialisé dans la mise en œuvre de méthodes d'effarouchement bioacoustique d'oiseaux par émission de cris de détresse, le but étant de rendre les sites traités totalement inhospitaliers.

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