Sommaire du Crex n° 2, 1997

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Suivi de la nidification
des Busards cendrés Circus pygargus
et Saint-Martin Circus cyaneus
dans le sud-est du Maine-et-Loire en 1993-1994

par Thierry ROGER et Thierry PRINTEMPS

Introduction

C'est dans le cadre d'un programme d'étude et de baguage du Centre de recherches sur la biologie des populations d'oiseaux (CRBPO) sur les Busards que nous commençons nos activités en 1992 avec les Busards cendrés et Saint-Martin. Comme nos collègues ailleurs en France, le volet protection devient vite à nos yeux une priorité, car les moissonneuses sont impitoyables et le spectacle de poussins ainsi détruits suffit à nous en faire prendre conscience.
Chaque printemps est pour nous une nouvelle mission, celle de protéger le plus d'oiseaux que nous pouvons, avec quelques volontaires et l'aide des agriculteurs, dans le cadre d'une étude scientifique. Et après une quarantaine de journées par homme sur le terrain, quelques milliers de kilomètres parcourus, c'est l'heure des bilans annuels.

1. Présentation du secteur de suivi

1.1. Aire couverte et carte de situation

Notre zone d'étude couvre une surface de 20 000 hectares, formée par un carré grossier de 15 km de côté, au sud-est du Maine-et-Loire, encadré par les communes de Montreuil-Bellay, Saumur et Fontevraud, avec adjonction à l'ouest d'un secteur autour des Verchers-sur-Layon.
La première année d'étude en 1992 orienta nos prospections vers les secteurs favorables pour les Busards, réduisant les surfaces prospectées à environ 15 000 hectares en 1993, puis environ 13 000 hectares en 1994, avec quelques interventions en dehors de la zone prédéfinie (cf. carte).

Carte de la zone de suivi des busards

1.2. Description sommaire des habitats

On peut distinguer deux milieux dominants :
• les milieux naturels
C'est la lande à bruyère et ajoncs. Elle est utilisée par les deux Busards ; le secteur principal dans la zone d'étude est sur le camp militaire de Fontevraud. (il faut préciser qu'une décision éthique nous interdit toute intervention sur les nids de Busards cendrés nichant en milieu naturel dans le Maine-et-Loire afin de préserver la fragile tranquillité de ces oiseaux).
• les milieux artificiels
Ce sont les zones agricoles, cultivées ou en jachère, couvrant la majorité de la zone prospectée de façon soutenue, et abritant surtout des nichées de Busards cendrés. C'est dans ces milieux que se concentrent nos efforts pour quelques raisons évidentes : l'urgence imposée par l'échéance des moissons, la facilité relative de prospection (observations, déplacement en véhicule). Ce sont aussi ces milieux qui abritent la quasi-totalité des effectifs de Busards cendrés.

2. Résultats concernant le Busard cendré (tabl. 1)

Bilans comparatifs des suivis de Busard cendré Circus pygargus en 1993 et 1994

Il est intéressant de comparer globalement ces deux années, sachant que 1993 était une année de pullulation des campagnols, ce phénomène cyclique entraîne des chiffres records en favorisant les conditions de reproduction de l'espèce.
Ajoutons que la zone d'étude constitue désormais le principal bastion en Maine-et-Loire du Busard cendré dont la population a été estimée à un minimum de 24-25 couples lors d'une enquête réalisée en 1985-1986 (PRÉAU et al. 1988).

3. Résultats concernant le Busard Saint-Martin

Suite à notre première année d'étude et d'essai en 1992, nous avons décidé de changer nos objectifs quant à cette espèce : en effet, le temps nécessaire à la prospection des sites, puis la localisation des couples étaient trop importants face au besoin et à l'urgence imposés par la protection des Busards cendrés.
Bien qu'il y ait un décalage dans la phénologie de la reproduction entre les deux espèces, il était difficile d'assurer correctement les deux tâches, avec nos moyens.
Rappelons que nous n'avons trouvé par la suite qu'un nid de Busards Saint-Martin (en 1995) dans des céréales, et que cette espèce niche principalement en milieu naturel dans la zone d'étude.
La protection étant à nos yeux la priorité, c'est le suivi en milieu cultivé que nous pratiquons principalement.
Pour la période concernée, nous n'avons donc trouvé qu'un nid et bagué les jeunes dans une plantation de résineux en 1993, et il n'y a eu aucune intervention sur cette espèce en 1994.

4. Choix du type d'intervention

Nous utilisons plusieurs méthodes, chacune ayant ses avantages et ses inconvénients. Il faut appréhender plusieurs facteurs avant de choisir le mode d'intervention, et le choix comporte toujours des risques à partir du moment où l'on intervient dans le processus de reproduction d'une espèce.
Les principaux critères à prendre en compte sont, entre autres choses :
• l'âge de la nichée ;
• la nature de la culture où est situé le nid ;
• la date prévue des moissons, ou autres travaux agricoles ;
• la nature des cultures, et leur distance, autour de la parcelle où est situé le nid ;
• l'agriculteur : le connaît-on ? quelles relations peut-on établir avec lui ?
• la proximité de facteurs à « risques » : route, maison…
Les méthodes de protection ne sont pas particulières, mais celles utilisées également par les autres équipes protégeant les Busards en France ; elles sont au nombre de deux :

1? déplacement avec reconstitution d'un simple puits de paille, après le passage de la moissonneuse.
Cette technique est valable pour des poussins assez âgés, dont le séjour dans le nid n'est plus très long ; en effet les oiseaux sont ainsi très vulnérables aux prédateurs. Nous avons mis en évidence le taux de mortalité en relation avec la durée du séjour dans le nid de substitution.

2? déplacement avec reconstitution d'un nid avec clôture.
Nous avions d'abord utilisé des canisses pour entourer le nid en pensant qu'il serait plus cryptique dans un champ moissonné, mais le manque de rigidité de l'ensemble nous le fit abandonner au profit de grillage galvanisé (type « poulailler »). Le nid reconstitué peut être dissimulé dans un carré de céréales laissées sur pied, lorsque c'est possible. Il faut noter que nous obtenons de bons résultats en installant ce nid de substitution dans des tournesols, quand il n'y a que cette culture à proximité. La grande différence de l'aspect des abords du nid nous avait fait craindre le pire lors du premier essai de ce type, mais il n'en fût rien.
Cette technique du nid clôturé permet de déplacer les poussins plus jeunes que la méthode précédente.
Enfin il faut préciser qu'en 1994, deux nichées de Busards cendrés ont été transportées en centre de soins, car il n'y avait aucune autre solution pour sauver les oiseaux. Cette option reste ultime, et n'a jamais été reconduite.

5. Données sur l'alimentation des poussins

Nous n'avons pas réalisé d'étude précise comme il en existe ailleurs en France et en Europe (voir bibliographie). Nous avons simplement relevé et tenté d'identifier des restes de proies dans les nids lorsqu'il y en a, et observé les scènes d'échanges de proies aériens par les adultes, pour avoir une idée sur les proies apportées aux poussins, à chaque fois que l'occasion se présente.
Cette méthode, proche de l'« observation instantanée », corrobore les résultats plus scientifiques par analyse de pelotes (PARIS 1996). Pour le Busard cendré nous avons donc noté :
• une majorité de rongeurs, même les années creuses suivant une année de pullulation, comme en 1994 ;
• des gros insectes, ceux identifiables appartenant à l'ordre des Orthoptères et des Coléoptères ;
• une minorité d'oiseaux, parmi les espèces proies potentielles fréquentant le même biotope que le Busard cendré : l'Alouette des champs Alauda arvensis (2 juvéniles), le Bruant jaune Emberiza citrinella (1 mâle adulte).
Notons aussi la présence d'œufs de Perdrix grise Perdix perdix (à une occasion, 2 dans un nid !), et des plumes de passereaux indéterminés.

6. Analyse des reprises d'oiseaux bagués et contrôles d'oiseaux marqués

Ces données fournissent divers renseignements physiologiques, biométriques, mais aussi biologiques (comme sur la philopatrie de l'espèce).

6.1. Jeunes

1? en 1994, capture d'un oiseau mâle d'un an (c'est-à-dire dans sa deuxième année civile), bagué par nous au nid à environ 4 km de là en 1993.
Au moins deux remarques peuvent être apportées sur cette capture :
• nous l'avions estimée femelle lors de son baguage d'après la couleur de l'iris, ce qui prouve d'une part la difficulté de cette méthode mais aussi notre inexpérience, que nous avons améliorée par la suite en affinant la méthode de détermination de la couleur de l'iris des jeunes.
Il est fréquemment mentionné dans la littérature, et prouvé, que des oiseaux d'un an restent en Afrique durant leur deuxième année, ne revenant qu'à leur troisième année, à l'âge de deux ans.
Cet oiseau était en compagnie d'un second, également en plumage de mâle d'un an, mais qui n'a pu être capturé. Cette particularité n'est pas exceptionnelle, et a déjà été observée ailleurs (BROCHET et al. 1995).

2? les 18 et 26 juin 1994, deux oiseaux différents portant des marques alaires sont observés et identifiés comme des femelles d'un an à Méron. Après vérification, ils ont été bagués par Alain LEROUX en Charente-Maritime tous les deux, sur des sites différents, l'un estimé mâle, l'autre femelle lors du baguage poussin au nid. Il s'agit donc à nouveau d'oiseaux dans leur deuxième année civile, errant à environ 145 km de leur lieu de naissance.

6.2. Adultes

Une femelle nicheuse est baguée en 1993, puis contrôlée nicheuse à nouveau en 1995 à environ 7 km du lieu de baguage.
Ces quelques contrôles nous apprennent que la philopatrie s'exerce aussi bien sur un site précis, qu'une zone plus grande de plusieurs dizaines de kilomètres carrés, ou à un vaste secteur géographique comme l'Ouest de la France.


Remerciements

Nos remerciements vont naturellement à toutes celles et ceux qui ont aidé les busards avec nous, en particulier A. BLIN, J.-Fr. CORNUAILLE, Chr. JOLIVET et les adolescents bénévoles qui nous ont rejoint par l'intermédiaire du FIR, pour leur participation active à notre étude, mais aussi toutes les autres personnes et les agriculteurs qui soutiennent nos actions, pourtant à une époque de l'année de forte activité dans leurs exploitations.


Bibliographie

BROCHET J., GIZART L., LEROUX A., 1995. - Retour et nidification du Busard cendré à l'âge d'un an. L'Orfraie, 33 : 49-51.
CRAMP St., SIMMONS K. E. L. (eds), 1979. - The Birds of the Western Palearctic. Vol. II. Oxford university press, Oxford.
MEYBURG B. U., CHANCELLOR R. D., 1994. - Raptor conservation today (proceedings of the IVth world conference on birds of prey and owls). Pica press.
PARIS S., 1996. - Bilan de 7 années de suivi du Busard cendré dans le département de l'Aube. L'Orfraie, 34 : 13-29.
PRÉAU L.-M., avec BEAUDOIN J.-Cl., GENTRIC A., 1988. - Effectif du Busard cendré Circus pygargus nicheur en Maine-et-Loire : bilan de l'enquête 1985&endash;1986 et comparaison avec l'enquête FIR-UNAO 1979-1981. Bull. Gr. Angevin Ét. Orn., 17 (40) : 44-47.

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