Sommaire du Crex n° 2, 1997

(PDF, 720 ko)

À Méron, l'Outarde volera-t-elle au secours des messicoles ?

par Marie-Claire MARZIO et Christophe JOLIVET

Outarde canepetière par Benoît Robin



Résumé : Les plantes messicoles ont été introduites en Europe avec les premières céréales au Néolithique. D'origine anthropique, elles ont été longtemps négligées par les botanistes, mais toujours combattues par les agriculteurs. Persuadés qu'elles constituent néanmoins un patrimoine inestimable, certains naturalistes s'inquiètent de leur régression très rapide, voire de la disparition des plus spectaculaires d'entre elles. La champagne de Méron est un site où cette flore est encore miraculeusement abondante. La LPO Anjou souhaite mener, avec les agriculteurs, un programme de conservation des messicoles, associé à celui déjà engagé pour l'Outarde canepetière.



« Coquelicots et bleuets, cendrillons de nos campagnes » titre un numéro spécial de la Ligue suisse pour la protection de la Nature (1982), dédié à la réhabilitation de ces plantes persécutées avec acharnement par les céréaliers.
Qui connaît le Glaïeul des moissons ou la Nigelle des champs ? Qui se souvient encore de nos champs de blé, agrémentés de Bleuets, Adonis, Nielles, et autres plantes dites messicoles ? L'agriculteur moderne les a presque complètement éradiquées de notre paysage rural. Qui se préoccupe de la disparition de ces belles espèces végétales d'une grande diversité ?
Or il existe actuellement en Maine-et-Loire un site refuge de ces adventices menacées, la champagne de Méron près de Montreuil-Bellay (carte 1) où, depuis 1993, la LPO Anjou s'investit, ainsi que sur la plaine de Douvy. Elle y conduit un programme de conservation de l'Outarde canepetière Tetrax tetrax, oiseau en très forte régression en France et en Europe (JOLIVET 1993, 1994, 1996a et b). Sur des jachères prioritaires pour l'outarde, afin d'éviter tout broyage entre le 1er avril et le 31 août (période où elle se reproduit), la LPO prévoit d'appliquer « le retrait à long terme sur 20 ans » (programme agri-environnemental de l'Union européenne 2078/92). Sept agriculteurs sont volontaires pour appliquer cette mesure sur 35 ha. C'est dans ce contexte que les botanistes de la LPO Anjou s'interrogent sur la possibilité d'y associer un programme conservatoire des plantes messicoles.


1. Présentation des messicoles

1.1. Vocabulaire
Le terme « messicole » (du latin messis, moisson) désigne des plantes annuelles qui poussent dans les champs de céréales » (LAROUSSE). Du point de vue botanique, la dénomination la plus précise est « flore adventice ségétale ». Le mot « adventice » désigne une plante qui croît sur un terrain cultivé sans y avoir été semée ; l'adjectif « ségétal » vient du latin seges, moisson.
Pour le céréalier, les végétaux infiltrés dans les cultures sont appelés « herbes folles » ou « mauvaises herbes » : la malherbologie est maintenant une science qui s'emploie à les bien connaître, même à l 'état de plantules, afin de les détruire, le plus souvent chimiquement.
Pour le randonneur ou l'artiste, Coquelicots et Bleuets sont simplement « des fleurs des champs ».

1.2. Leurs caractéristiques
1.2.1. Aspect
Outre une série d'espèces d'apparence effacée et banale (Céraistes, Vesces, Luzernes, Graminées…), la flore messicole en comporte d'autres aux corolles superbes et lumineuses, telles les Adonis ou « Gouttes de sang », joyaux de la plaine de Méron, le Miroir de Vénus au velouté violet, le Chrysanthème des moissons aux couronnes jaune d'or et le Pied-d'alouette aux curieux fleurons bleu foncé, etc.

1.2.2. Stratégie de survie
80  % des messicoles sont des plantes annuelles, et la plupart ont une prodigieuse fécondité (un coquelicot produit jusqu'à 50 000 graines). Leurs semences sont d'une robustesse étonnante. Elles supportent le transit à travers le tube digestif des animaux domestiques et se conservent dans le sol en moyenne de 10 à 50 ans (40 ans pour le coquelicot), sans perdre leur pouvoir germinatif.

1.2.3. Origine
Seule une minorité des « mauvaises herbes » appartient à la végétation originelle de notre pays. Beaucoup de compagnes des céréales sont parvenues avec celles-ci en Europe, il y a environ 6 000 ans lors de sa colonisation par des populations venues du Moyen-Orient, puis des régions méditerranéennes, et qui maîtrisaient l'agriculture. Leurs semences sont arrivées mêlées à celles des céréales et se sont installées ensemble sur nos sols défrichés. Les plus anciennement installées, sont qualifiées d'archéotypes par les botanistes (FOURNIER 1934-1940, DES ABBAYES 1971) et sont des témoins de l'histoire de notre agriculture depuis le néolithique. À ce titre elles méritent peut-être la même attention… qu'un monument historique ! La plupart occupaient des sols dénudés et pierreux (Adonis dans les steppes chaudes et Bleuets dans les steppes froides) et se sont bien adaptées aux sols labourés d'Europe même en climat plus tempéré que celui de leur pays d'origine, préférant néanmoins les sols calcaires chauds. Actuellement, elles ne trouvent plus que rarement un milieu propice à leur installation, c'est-à-dire des sols nus, ou régulièrement retournés et non traités par des herbicides.

1.2.4. Menaces
Cette flore se développe dans des milieux créés par l'activité humaine. Malheureusement elle y concurrence les plantes cultivées, et rend parfois leur récolte toxique : ainsi la Nielle, plante médicinale par ailleurs, a des propriétés hémolytiques1 ; elle a longtemps rendu impropre à la consommation le pain dit « niellé ». Pour celui qui vit du produit de la terre, les messicoles sont donc indésirables et doivent être combattues. Depuis toujours, l'homme a lutté contre les mauvaises herbes, avec des moyens très efficaces, d'abord par le tri des graines, puis l'utilisation des herbicides qui a été fatale à certaines, notamment la Nielle, dont la graine aussi grosse que celle du Blé échappait aux tamis ! La flore ségétale, qui comprenait 110 à 140 espèces selon les régions au XIXe siècle, régresse rapidement en France et dans les pays voisins. Dès 1931, PRÉAUBERT le remarque en Anjou. Actuellement 40  % des messicoles, surtout parmi les plus brillantes, ont disparu ou sont « en voie de disparition » en Europe.
Quelques botanistes européens de renom tentent d'attirer l'attention sur leur sort pendant qu'il en est encore temps.
En France, G. AYMONIN dès 1962 pour le Bassin parisien, et Y. BARON (1989) en 1985 pour le Sud-Ouest ont fait des rapports alarmants à ce sujet.
Ph. JAUZEIN a publié en 1995 une flore des champs cultivés et indique les raisons de son travail. Il écrit : « Espérons que cet ouvrage, en attirant l'attention sur ces plantes rares ou très rares, en aidant les défenseurs de la nature à les reconnaître et à les respecter, contribuera à préserver un patrimoine végétal inestimable. » Les botanistes de la LPO Anjou en font bon usage !

2. Pourquoi les messicoles abondent-elles sur les sites de Méron et Douvy ?

Chr. JOLIVET dans son étude de 1993 en aborde tous les aspects (géologique, pédologique, climatique, agricole, etc.). On s'y reportera avec intérêt. Nous ne retiendrons ici que les facteurs favorisant le maintien de végétaux en régression, voire disparus ailleurs.

2.1. Paysage
La plaine de Douvy et la champagne de Méron constituent un véritable prolongement, dans le Maine-et-Loire, des vastes plaines céréalières du Poitou-Charente. Les vues sont lointaines et les échelles de vision extrêmement élargies dans ce paysage de plaine très ouvert, où les arbres restent pratiquement absents.

2.2. Sol et sous-sol
Le sol de champagne est typique : il est formé de rendzines2 rouges, sur calcaires durs en plaques, regorgeant de fossiles (Ammonites et Bélemnites jurassiques). Le fort taux de cailloux (plus de 30  %), la faible profondeur du sol et l'absence de réserve hydrique rendent la champagne de Méron et la partie occidentale de la plaine de Douvy très contraignantes pour l'exploitation agricole.

2.3. Climat
Le climat chaud et sec en été est continental, et accentue les difficultés pour l'agriculture. La moyenne des températures d'hiver est équivalente à celle de Valence. Les précipitations annuelles se limitent à 590 mm d'eau seulement.
Ces conditions de milieu sont uniques en Anjou. C'est l'une des raisons pour lesquelles les terres de champagne se révèlent très propices à l'installation d'espèces thermophiles3 notamment messicoles, la plupart trouvant là des similitudes avec leur lieu d'origine (Moyen-Orient, bassin méditerranéen), ce qui explique en partie leur abondance.

2.4. Parcelles, lisières, chemins
Le territoire des deux sites de Méron (carte 2) et de Douvy est divisé en très nombreuses parcelles cadastrales. Entre elles, existe un important linéaire de chemins herbeux (en pointillés sur la carte 2) : entre 2 500 et 3 400 m pour 100 ha (soit 27 km pour Méron). En 1988, R. CORILLION signalait « l'important réseau de chemins d'exploitation jouant le rôle d'un conservatoire de messicoles » ; ce réseau favorise le transport des semences par l'homme et les animaux.
Les lisières entre les différents blocs de cultures, très favorables aux outardes et aux plantes messicoles, sont encore plus importantes : 23 km environ pour 450 ha cultivés à Méron.

2.5. Pratiques culturales

2.5.1. Elles sont identiques à celles des autres régions
Les cultures tournent et se répartissent ainsi :
• les céréales d'hiver, semées en automne et récoltées au mois de juin suivant couvrent 25 % de la surface des deux sites. Le cycle de développement de nombreuses messicoles correspond à celui de ces espèces cultivées ;
• le tournesol occupe à lui seul 15 % de la champagne ;
• le reste de la surface mise en valeur par l'agriculture, est cultivée en petits pois, colza, céréales de printemps.

2.5.2. Engrais
Les céréaliers n'emploient ici que peu d'engrais notamment azotés. AYMONIN indique comme cause de l'appauvrissement de la flore ségétale l'emploi des amendements, qui uniformisent le substrat et font disparaître les espèces calcicoles tels l'Adonis ou le Bugle Petit-Pin.

2.5.3. Herbicides
Enfin, si les parcelles cultivées font l'objet d'un traitement herbicide, la juxtaposition de cultures de céréales (Monocotylédones), et de cultures de colza ou tournesol (Dicotylédones), oblige les agriculteurs à ne pas traiter les lisières. Beaucoup d'adventices s'y installent donc, et c'est en les parcourant que le botaniste fait ses plus intéressantes découvertes !

2.6. Jachères
Les jachères semées ou spontanées, apparues en forte proportion en 1993, suite à la réforme de la politique agricole commune (PAC), constituent l'originalité de l'occupation du sol puisque 39,5 % de la surface en terres arables de Méron est alors classée en jachères, tournantes pour la moitié d'entre elles.
En 1993 de nombreuses jachères étaient qualifiées de « nues » (sans couvert végétal). Le sol était remué régulièrement, ce qui rendait l'installation des messicoles plus facile : 80 % des messicoles sont des annuelles et ont une stratégie d'implantation qui les font qualifier de pionnières. Elles trouvent, entre les repousses de l'année précédente, l'espace nécessaire à leur développement. Ce sont alors les belles friches à Bleuets, Coquelicots, Adonis…, plaisir du botaniste, mais dont l'emplacement diffère chaque année (carte 2). En effet, si la jachère n'est pas à nouveau retournée, la dynamique végétale se poursuit, le milieu se ferme, les pionnières laissent la place aux espèces plus compétitives, essentiellement Graminées et Composées dont les « superbes Chardons » (Onopordon, Carduus, Cirsium). Cette forme de jachère a été interdite dès 1994 pour de multiples raisons notamment les risques de dissémination des adventices des cultures, hôtes potentiels de parasites et d'insectes nuisibles.

3. Inventaire des messicoles de Méron

R. CORILLION (1988) a publié l'inventaire de la flore de la plaine de Méron, soit 214 plantes dont 26 % d'origine méditerranéenne.
Un quart des taxons recensés sont des messicoles stricto sensu. Nous avons suivi ces plantes régulièrement depuis 1991 et réactualisé l'inventaire en 1995-1996.
Le tableau 1 (p. 68) rassemble exclusivement les 54 compagnes des moissons rencontrées, au cours de ces 10 dernières années. Pour 1996 des coefficients d'abondance ont été attribués en colonne 4, en minuscule pour les plus banales, en majuscule pour les plus remarquables à divers titres, notamment par leur rareté généralisée. La liste globale des messicoles publiée en 1985 par G. AYMONIN pour le Sud-Ouest, et celle de BOURNÉRIAS (1979) pour le Bassin parisien constituent notre référence ; Méron est en effet à la charnière de ces deux régions.

À Méron, ont donc été vues la plupart des plus belles adventices ségétales, quelques-unes des plus rares (Adonis, Nigelle des champs, Bleuets), en grande abondance certaines années.
Parmi elles, des Renonculacées, dont 3 qualifiées d'archéotypes par FOURNIER :
• la discrète Renoncule des champs Ranunculus arvensis, aux curieux fruits crochus, présente des stations assez dispersées sur la champagne de Méron où elle se propage sans doute accrochée aux animaux (dissémination zoochore) ;
• le Pied d'alouette Consolida ambigua n'a pas été revu depuis 1988 ;
• pour le spectaculaire Adonis d'automne Adonis annua mal nommé, puisqu'il abonde en mai-juin, 1996 a été une année de grande luxuriance : il colonise même les milieux peu ouverts, telle la zone industriel-le. Installé presque en culture monospécifique sur une jachère à sol travaillé, il subit au début de mai un traitement herbicide qui le déforme (tiges très épaisses, fleurs atrophiées) mais qui permet, début juin, de découvrir, entre ses pieds tordus, quelques sujets d'Adonis flamme Adonis flammea de couleur rouge feu, et aux pétales plus étroits.

Fin juin, cette même jachère se couvre de centaines de plants de la jusque-là si rare Nigelle des champs Nigella arvensis, espèce voisine de la Nigelle de Damas Nigella damascena, mais dépourvue d'involucre sous la corolle. Cette dernière est très cultivée dans les jardins d'où elle s'échappe souvent.

Pied de nez de la nature, émerveillement du botaniste face à la résistance des adventices !
Une autre famille, celles des Apiacées, est bien représentée avec le Peigne de Vénus Scandix pecten-veneris, aux fruits dont les becs atteignent six centimètres, le Persil des champs Petroselinum segetum, ou la Falcaire Falcaria vulgaris. Mais elle comporte ici des espèces ségétales devenues très rares, tels les Biforas et les Buplèvres. Le Bifora rayonnant Bifora radians est retrouvé chaque année à proximité de ses stations antérieures sans doute à cause de la forme de ses akènes dont la dissémination se fait par gravité (dissémination barochore). Le genre Bifora à testicules Bifora testiculata également aux fruits ronds et doubles, mais ridés, a été observé en 1995 et 1996.

En 1993, L. BUSNEL découvrait, le long d'une culture de blé, 150 pieds de Buplèvre à feuilles en lanières Bupleurum lancifolium aux feuilles entières et embrassantes. Revu en 1995 en moins grande abondance, ses semences doivent se trouver en latence dans le sol. Pour Y. BARON et G. AYMONIN, ces 2 derniers taxons sont présumés disparus, tout comme l'Adonis flamme.
Parmi les Composées, le Bleuet Centaurea cyanus (carte 2) est très répandu le long des champs de céréales mais aussi de colza. Il occupe parfois des jachères entières tant à Méron qu'à Douvy. Le Chrysanthème des moissons Chrysanthemum segetum n'a pas été revu. Quant au Xéranthème cylindrique Xeranthemum cylindraceum, il est omniprésent sur toutes les parcelles incultes.
Enfin, un seul pied du Glaïeul des moissons Gladiolus italicus a été observé en 1987 ; plante à bulbe, il peut être présumé, en l'état actuel de nos recherches, à jamais disparu.
Le patrimoine messicole de Méron s'est donc avéré stable dans la dernière décennie. La redécouverte d'espèces mentionnées par Marcel PIRON en 1961 (Adonis flamme, Buplèvre à feuilles en lanières) peut être due à la chance des observateurs, mais correspond à la période 1992-1996 où sont apparues les jachères tournantes recréant chaque année sur des parcelles différentes des conditions idéales de germination des messicoles.

4. Faut-il protéger des plantes d'origine anthropique, et dont la survie ne dépend que de l'homme ?

4.1. Leur origine anthropique explique le peu d'attention que leur portaient les botanistes de terrain et les protecteurs de la nature, plus attirés par la végétation et les milieux naturels. De tout temps il y a eu discrimination entre la flore d'origine humaine par rapport à celle dite « sauvage »…
Aucune messicole au sens strict n'appartient à la liste nationale des plantes protégées. De plus, les arrêtés de protection notent : « …les interdictions de destruction, de coupe, de mutilation et d'arrachage ne sont pas applicables aux opérations d'exploitation courante des fonds ruraux sur les parcelles habituellement cultivées. »
Néanmoins quelques « listes rouges » commencent à inclure les messicoles (17 taxons pour le Massif armoricain) ; la liste des plantes protégées en région de Loire a même intégré le Xéranthème cylindrique !

4.2. Et pourtant leur intérêt est multiple :
• leur beauté inspire peintres et photographes ;
• elles jouent un rôle très important dans les équilibres biologiques : certaines très mellifères (Réséda raiponce) attirent un cortège d'insectes, tandis que d'autres présentent un rôle attractif pour le gibier (et peut-être l'outarde) ; chaque plante disparue condamne à mort une dizaine de petites espèces animales ;
• certaines ont des propriétés médicinales connues ou à découvrir ;
• d'autres peuvent être porteuses d'un patrimoine génétique intéressant, notamment de résistance à divers facteurs ;
• enfin, elles font partie historiquement et culturellement de notre paysage rural ; certaines évoquent des légendes mythologiques évoquées par BAUMANN (1984) dans le Bouquet d'Athéna, etc.

5. Que reste-t-il au protecteur de la nature pour que cesse la disparition des messicoles ?

Des initiatives variées ont été prises ici ou là, en Europe. L'une d'entre elles a retenu notre attention car elle pourrait, peut-être, inspirer une action sur les jachères de Méron. S. CAUX (1993-1994) rapporte cette expérience réussie en Allemagne, dite programme lisières : « L'Office de réglementation agricole allemand a pu, pour 1994, conclure, avec 200 agriculteurs environ, des accords d'exploitation et d'indemnisation concernant une « bordure » protégée de 290 km, soit 190 ha […] Les parcelles recélant déjà des espèces botaniques remarquables sont prioritairement visées […] Ces 200 agriculteurs […] se sont engagés, sur les bordures de leurs champs, à renoncer aux herbicides et à réduire la quantité d'engrais azotés […] La lutte mécanique contre les adventices est interdite sur les bordures. » Commencée en 1983, l'expérience a déjà rapporté ses fruits puisque certaines espèces, présumées disparues, tel l'Adonis d'été sont réapparues sans, bien sûr, qu'aucune réintroduction de semences n'ait eu lieu.
Le rendement de ces bordures est plus faible évidemment lors de la récolte. Chaque cultivateur reçoit une aide financière de 800 DM par ha soit environ 2 600 F.
On notera qu'il fallut beaucoup de temps pour convaincre les agriculteurs, mais grâce à une sensibilisation importante entreprise par les associations de protection de la nature, et par… le Ministère de l'Agriculture, les mentalités ont évolué.

6. Méron conservatoire de messicoles ? Comment ?

Grâce à la LPO, la champagne de Méron est inscrite à l'inventaire ZNIEFF, situation rare pour les sites à messicoles.
Pour les conserver, il convient de maintenir le paysage originel de « pseudo-steppe » cultivée. La zone industrielle, vaste de 200 ha, jamais labourée, ne présente qu'un faible intérêt pour les adventices annuelles.

6.1. Les acteurs
La conservation des espèces végétales et animales en plaine cultivée ne peut se réaliser qu'avec les exploitants agricoles. Conserver les éléments du patrimoine naturel telles que l'Outarde canepetière et les plantes messicoles, revient à agir avec eux pour introduire des pratiques favorables aux espèces. Bien souvent, ces pratiques correspondent à ce que faisaient les agriculteurs avant l'intensification qui a débuté dans les années soixante.
La conservation des messicoles et de l'outarde s'appuie sur des savoir-faire, des pratiques agricoles séculaires. Les jachères, même si elles sont obligatoires actuellement, en sont un exemple flagrant. La conservation de la nature en plaine céréalière permet de faire revivre ces savoir-faire et de montrer l'adaptation des pratiques agricoles d'il y a 40 ans aux conditions du milieu. La conservation du patrimoine naturel met donc en exergue un certain nombre de pratiques d'exploitation des parcelles, qui faisaient partie d'une culture locale. Pour l'Outarde canepetière - le dossier le plus avancé - les agriculteurs sont d'accord parce qu'il y a un intérêt financier, certes, mais également parce qu'ils retrouvent des façons de procéder qu'ils croyaient avoir oubliées !
L'aspect psychologique apparaît donc très important dans les actions de protection de la nature en milieu agricole.

6.2. Jachères sur 20 ans
La mesure de retrait long terme sur 20 ans, telle qu'elle a été conçue initialement, est réalisée pour la conservation de l'Outarde canepetière. Cette action prévoit la mise en place d'un couvert spontané. S'il y a implantation, celle-ci s'effectue lors de la première année. Ensuite, les 7 exploitants agricoles, ayant souscrit un contrat, entretiennent, sans le récolter, ni le retourner, le couvert végétal, afin d'éviter son évolution vers la friche dense, défavorable aux outardes. L'entretien mécanique (fauche, broyage) se réalise en dehors de la période du 1er avril au 31 août afin que les poussins d'outardes ne soient pas tués par les machines agricoles.
Tout traitement chimique est prohibé sur ces parcelles sauf la première année en cas d'implantation d'un couvert végétal : ces mesures seraient néfastes à l'implantation des messicoles, annuelles par définition !

6.3. Proposer un programme d'action
Pour maintenir ou installer les plantes messicoles remarquables dans les jachères entrant dans la mesure de retrait long terme, un travail du sol est obligatoire, tous les ans ou tous les deux ans.
Eu égard au coût que ce travail représenterait pour les agriculteurs, il n'est pas possible de concrétiser cette mesure sur toutes les parcelles, ni même sur une parcelle entière. En outre, prenons garde à la réaction des exploitants face à des actions visant à favoriser des « mauvaises herbes ». L'information des agriculteurs des deux sites sur les tenants et les aboutissants de l'opération « outarde » et de l'éventuelle action « messicole » apparaît ici primordiale. Sans elle, rien ne sera possible.

6.4. Les étapes d'action
1° Information des exploitants agricoles
sur la flore messicole afin de les sensibiliser à ces plantes mal connues et de leur montrer les modes de propagation utilisés par ces espèces végétales.
2° Analyse floristique initiale de l'état des « jachères retrait à long terme sur 20 ans », et des parcelles contiguës. Ce travail, commencé en 1996, sera poursuivi en 1997 et au-delà, si possible.
3° Création expérimentale, sur des parcelles d'exploitants volontaires, de saignées de 20 m ¥ 2 m. Ces saignées correspondraient à des bandes de terre retournées tous les ans. Ce travail pourrait être accompli par l'agriculteur (mais il a un coût) ou bien par des bénévoles de la LPO Anjou. Ce sont des travaux de génie écologique qui permettraient au sein des jachères sur 20 ans d'accroître la diversité du couvert végétal et l'effet de lisière, par ailleurs très favorable à l'outarde.
En effet, les saignées (deux à trois par parcelle) seront couvertes d'une végétation moins dense ; les mâles pourront y établir leurs postes de chant, comme cela a été vérifié pour certaines jachères fixes depuis 1993.

4° Évaluation de l'action avec les agriculteurs et les partenaires de l'action retrait à long terme sur 20 ans : conseil général de Maine-et-Loire, commune de Montreuil-Bellay, chambre d'Agriculture de Maine-et-Loire, parc naturel régional Loire-Anjou-Touraine, DIREN Pays de la Loire.


Conclusion

La conservation des plantes messicoles se révélera plus difficile à réaliser que celle de l'Outarde canepetière. En effet, les actions ne se feront qu'avec les exploitants agricoles. Autant l'outarde apparaît symbolique et plaît aux agriculteurs, qui la connaissent de longue date, autant les plantes messicoles sont qualifiées de mauvaises herbes, qu'il faut éliminer. La phase d'information auprès du monde agricole est essentielle et demandera du temps. Mais c'est la garantie, si elle réussit, d'assurer la pérennité des messicoles de la champagne. L'outarde a ouvert la voie et a apporté d'agréables surprises. Pourquoi n'en serait-il pas de même pour les messicoles ?


Bibliographie

ANONYME, 1982. - Coquelicots et Bleuets, cendrillons de nos campagnes. Bull. Ligue suisse pour la protection de la nature, n° spécial.
ABBAYES H. des, 1971. - Flore et végétation du Massif Armoricain. Presses universitaires de Bretagne.
AYMONIN G., 1962. - Les messicoles vont-elles disparaître ? Sciences et Nature, 49 : 2-10.
AYMONIN G., 1985. - Le point sur les dégâts causés à la flore messicole du Sud-Ouest. Nature et Progrès, pp. 27-28.
BARON Y., 1989. - Éléments pour un bilan de la flore messicole en Poitou-Charente. Actes du colloque de Brest : Plantes sauvages et menacées de France. 8-10 octobre 1987. Brest Tech. et doc., Cachan, pp. 79-86.
BAUMANN H., 1984. - Le bouquet d'Athéna. La Maison Rustique, Flammarion .
BECKET G., 1984. - Plantes toxiques. Gründ.
BONNIER G., 1990. - La Grande Flore en couleur. France, Suisse, Belgique et pays voisins. Belin.
BOURNÉRIAS M., 1979. - Guide des groupements végétaux de la région parisienne. Masson, 3e édition. 483 p.
CAUX S., 1993-1994. - Problématique conservatoire autour d'une parcelle cultivée. Mémoire de maîtrise de Sciences et Techniques « Aménagement et mise en valeur des régions ». Université de Rennes I, pp. 21-26 et 87-91.
CORILLION R., FORTUNE C., GUERLESQUIN M., MARSAULT L., SERVIEN E., 1988. - Recherches préliminaires sur la flore messicole du sud de l'Anjou. Bull. trim. de la Société d'études scientifiques de l'Anjou, 72 : 24-29.
COSTE H., 1901. - Flore descriptive et illustrée de la France, de la Corse, et des contrées limitrophes. 3 vol. Éd. Paul Klincksieck.
FOURNIER P., 1934-1940. - Les Quatre Flores de France. Lechevalier.
JAUZEIN P., 1995. - Flore des champs cultivés. INRA.
JOLIVET Chr., 1993. - Développement des jachères et préservation de l'avifaune terrestre en zone d'agriculture intensive : le cas du maintien de l'Outarde canepetière (Tetrax tetrax, L. 1758) dans le canton de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire). Mémoire de Maîtrise de Sciences et Techniques AMVR. Université de Rennes I, LPO Anjou, Chambre d'Agriculture de Maine-et-Loire. 173 p. et annexes.
JOLIVET Chr., 1994. - Recherches sur la biologie de l'Outarde canepetière Tetrax tetrax dans le canton de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) en 1993-1994. Bull. Gr. Angevin Ét. Orn., 22 (45) : 45-53.
JOLIVET Chr., 1996a. - Conservation des Outardes canepetières. LPO infos Anjou, 23 : 4.
JOLIVET Chr., 1996b. - Un programme de conservation de l'Outarde canepetière en Maine-et-Loire. LPO infos Anjou, 26 : 4.
PIRON M., 1977. - La Flore du Saumurois. CDDP Angers.


1 qui détruit les globules rouges.

2 sol peu lessivé, développé sur roche mère calcaire et contenant des fragments rocheux dans une matrice argileuse rougeâtre.

3 capable de vivre à des températures élevées.

index Crex