LPO Anjou

Sommaire du Crex n° 1, 1996

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Propos sur quelques plantes rares et menacées
des Basses Vallées Angevines

par Marie-Claire MARZIO


Résumé : Après un rappel des principales associations et espèces patrimoniales récemment mentionnées, il est fait état de la découverte de quelques stations comportant des espèces remarquables comme l'Ophioglosse vulgaire, la Grande Pimprenelle, la Reine des prés, la Scutellaire hastée, la Nivéole d'été et des taxons à þoraison plus précoce tels que le Populage des marais, la Renoncule à feuilles d'Ophioglosse et quatre orchidées.


Les groupements végétaux des Basses Vallées Angevines (BVA) sont maintenant bien connus, grâce aux travaux de D. BILLIARD en 1979, B. de FOUCAULT en 1984, et surtout plus récemment de M. DAUDON, qui a réalisé des suivis botaniques dans le cadre d'opérations ACNAT1 et OGAF-Environnement2. On lira avec intérêt les comptes rendus de ces études, surtout ceux de 1993 et 1994, notamment pour la description géographique, géologique, climatique de ces milieux que nous ne referons pas ici, ainsi que celle des alliances végétales.
M. DAUDON établit une liste de plantes qu'elle qualiÞe de patrimoniales :
• Les unes, abondantes, permettent de déÞnir les trois principales associations prairiales des BVA :
þ Gratiole
ofÞcinale Gratiola ofÞcinalis et Œnanthe Þstuleuse Oenanthe Þstulosa pour le groupement qualiÞé de Gratiolo ofÞcinalis-Oenanthetum Þstulosae (en abrégé GOF) ;
þ Séneçon aquatique Senecio aquaticus et Œnanthe intermédiaire Oenanthe silaifolia pour le Senecio aquatici-Oenanthetum mediae. (SOM) ;
þ Pigamon jaune Thalictrum þavum et Guimauve ofÞcinale Althaea ofÞcinalis pour les mégaphorbiaies.
Un tableau simpliÞé de ces groupements est présenté dans cet article (tableau 1).

Écologiquement ces 3 types de groupements ont en commun d'être inondés, plus ou moins longtemps selon la topographie.
• Les autres sont dites « remarquables » car protégées à l'échelon national ou régional, telle l'Inule des þeuves Inula britannica, ou d'intérêt biogéographique, tel le Butome en ombelle Butomus umbellatus. La liste de ces taxons avec leur fréquence d'observation au cours des mois de mai et juin en 1992 et 1993 (extraite de son rapport de janvier 1994) constitue le tableau 2.


Cet auteur établit une carte des zones de fort intérêt botanique et souligne « …la répartition en mosaïque de ces zones au sein des BVA, certaines se situant en dehors du périmètre prioritaire de protection lié au Râle des genêts. » Nous les avons reportées sur la carte en annexe (p. 70).
Un groupe botanique de la LPO, travaillant sur la liste rouge des plantes armoricaines, donc soucieux de localiser les plantes menacées, s'est penché plus particulièrement sur les taxons à þoraison plus précoce tels l'Orchis lâche3 Orchis laxiþora ou le Populage des marais3 Caltha palustris inféodés aux alliances des prairies hygrophiles des plaines atlantiques françaises selon DE FOUCAULT, et mentionnés seulement dans 1 ou 2 relevés (voir tableau 2).

 

En avril 1994 et 1995, une petite équipe sillonne les chemins des BVA d'abord guidée par de précieuses informations d'ornithologues, de collaborateurs du Conservatoire de Brest, et bien sûr de M. DAUDON, puis au hasard. Le regard attentif sur les prairies mais aussi les fossés de drainage, les talus, etc., elle découvre ainsi quelques parcelles plus ou moins grandes, très dispersées géographiquement, généralement bien délimitées par des haies, d'une étonnante diversité botanique et riches en ces espèces devenues rares. L'une est située hors du périmètre des études citées plus haut, en amont de Juvardeil, une autre est située à Cantenay-Épinard, les autres étant dispersées le long du Loir entre Briollay et Villevêque-Soucelles (voir carte p. 70) Il s'agit de 3 prairies à SOM dominant, et de 2 mégaphorbiaies (voir tableau 1).
La plus intéressante (signalée par A. GENTRIC) est située en bordure de Sarthe sur des alluvions issues en partie du Bassin parisien, et est probablement la plus riche des prairies humides des BVA et sans doute du Maine-et-Loire, peut-être inestimable souvenir de ce que fut la diversité végétale de cette zone. L'inventaire non exhaustif de cette fraction de bocage inondable, prairies et fossés inclus a permis de relever 175 espèces de plantes (239 espèces rencontrées par M. DAUDON en 446 relevés) parmi lesquelles 4 espèces d'Orchidacées :
• des milliers de pieds de l'Orchis lâche3 Orchis laxiþora ;
• des centaines de pieds d'Orchis incarnat3 Dactylorhiza incarnata ;

• une centaine de pieds d'Orchis bouffon Orchis morio et… d'Orchis brûlé Orchis ustulata
Comment expliquer une telle concentration, si localisée, d'Orchidées ? La Nouvelle Flore de Belgique et du Nord de la France (LAMBINON et al. 1992) indique pour les 2 premières « …bas marais, prairies non amendées, généralement sur sol plutôt basique… » (ce qui est le cas en val de Sarthe).
La Grande Pimprenelle Sanguisorba ofÞcinalis est là aussi présente, en touffes. De cette belle Rosacée, de plus en plus rare en val de Loire global, V. VETVICKA écrit « …elle était un élément des anciennes prairies plusieurs fois fauchées dans l'année. L'usage des engrais artiÞciels a provoqué le recul rapide de la plante dans les prairies. »
Tout cela permet donc de penser que ces quelques hectares ont sans doute échappé aux techniques agricoles modernes, amendements chimiques ou organiques, traitements phytosanitaires, et surtout mise en culture.
Il y a donc urgence à sauver cette prairie relique, qui de plus, abrite des centaines de pieds d'une petite Ptéridophyte en voie de disparition : l'Ophioglosse vulgaire3 Ophioglossum vulgatum, protégée en Bretagne et retenue sur la liste rouge du Massif armoricain. Entre notre inventaire de 1994 et un suivi en 1995… un remembrement a été effectué, avec arrachage des haies et comblement de certains fossés par ailleurs riches en Populage des marais3 Caltha palustris et en Reine des prés Filipendula ulmaria. De ces dernières, BILLIARD écrivait déjà en 1979, à propos des BVA : « notons la quasi absence de Caltha palustris… et presque celle de la Filipendula ulmaria. »

Parmi les taxons mentionnés plus haut, l'Orchis lâche, très raréÞé en Maine-et-Loire, se trouvait également abondant, accompagné de la Grande Pimprenelle, dans une prairie proche du Loir, couvert d'un SOM assez bas, permettant d'imaginer là aussi un faible amendement chimique. Cette prairie fut choisie comme but de sortie botanique grand public, ainsi qu'une mégaphorbiaie voisine, qui contenait en avril de nombreux pieds de Populage et de Reine des Prés.
Revisitée en mai, cette dernière apparut criblée de véritables cratères où le sol était mis à nu et d'où le Populage avait dû être méticuleusement enlevé pied à pied à la bêche… Quelle déception ! Quelles interrogations ! Cette plante est considérée comme vénéneuse à l'état frais car elle renferme une certaine quantité d'alcaloïdes, telle la protoanémonine, toxique dont le taux le plus élevé est atteint au moment de la pleine þoraison. Un agriculteur-éleveur l'aurait-il arraché avant la fauche de peur d'empoisonner ses bêtes ?… ignorant sans doute que « la toxicité disparaît au séchage, par transformation de la protoanémonine en anémonine qui ne présente aucune toxicité  » (JEAN-BLAIN 1973).
C'est une vigoureuse Renonculacée à þeur jaune, dépourvue de calice vert, et à feuilles luisantes, de grande taille et en forme de rein. Elle annonce le printemps, c'est une plante vivace, et encore abondante dans l'Anjou oriental proche, mais nous ne l'avons jamais observée du côté armoricain des BVA. Outre les fossés entourant la première prairie décrite, le Populage, accompagné de la Reine des prés se trouve en abondance dans une autre mégaphorbiaie près de Briollay. On peut donc raisonnablement penser que cette plante a été progressivement éradiquée des BVA par les agriculteurs, mais qu'elle était autrefois commune au moins dans le val de Loir et le val de Sarthe.
La partie des BVA située sur les alluvions plus acides, apportées du Massif armoricain par la Mayenne, abrite près de Cantenay-Épinard, une autre petite réserve botanique puisque 15 au moins des patrimoniales y ont été recensées, dont 4 protégées en Pays de la Loire. Ici pas d'Orchidées, mais quelques belles touffes de Grande Pimprenelle et de Reine des prés. Or ce champ est, depuis quelques années, pâturé par des chevaux, qui en assurent donc l'amendement naturel !
En bordure, quelques pieds d'Ophioglosse résistent encore au passage à proximité des tracteurs. EnÞn une belle station de Scutellaire hastée3 Scutellaria hastifolia, protégée également en Pays de la Loire, occupe le talus d'un fossé voisin. Cette belle Lamiacée, aux graciles grappes de þeurs ici de couleur bleue, a été vue en plusieurs endroits, par plaques, dans la zone s'étendant à l'ouest de l'île Saint-Aubin, en populations stables depuis 3 ans, mais menacées par une fauche trop précoce des bermes. Nous l'avions déjà trouvée en 1993, sous sa forme rose près d'Écouþant, où elle s'étend encore, mais est menacée par un pâturage précoce. Dans ses Quatre Flores de France FOURNIER indique « …qu'elle jalonne les voies de migrations des oiseaux… » rendant sa présence naturelle dans le couloir pour oiseaux migrateurs que constituent les BVA.

D'autres espèces intéressantes, patrimoniales (Butome en ombelle, Berle, Renoncule à feuilles d'Ophioglosse) ou non (Ratoncule) sont observées en stations mobiles, car elles proÞtent pour s'installer de toute brèche faite par l'homme (champ retourné, chemins défoncés par les tracteurs ou le passage du bétail), assurant donc leur pérennité. Ainsi, à Noyant, avons nous pu admirer, sur une culture de maïs retournée en 1993, plantée de peupliers en 1994, des centaines de pieds de Jonc þeuri ou Butome en ombelle3 Butomus umbellatus, spectaculaire Liliale rose, accompagnés de Grande Berle Sium latifolium, superbe Ombellifère mesurant près de 1,50 m. Ces 2 espèces furent détruites en pleine þoraison par le nettoyage de la jeune peupleraie en juin 1995 !

La Ratoncule naine3, ou Queue-de-souris, selon les auteurs, curieuse Renonculacée, dont les carpelles sont disposés en épi long et grêle comme « la queue d'une souris » (d'ou son nom Myosurus minimus du grec myo, « souris » ou « rat », et oura, « queue ») est souvent observée dans les ornières ou les champs dénudés humides notamment dans le val du Loir. Elle abondait dans une ancienne culture retournée de maïs, lors de la sortie botanique d'avril.

La Renoncule à feuilles d'Ophioglosse3, extrêmement rare, et protégée à l'échelon national, installée dans une saignée boueuse tracée par un tracteur près de Soucelles en 1993, a dû essaimer 300 m plus loin sur une autre aire de sol dénudé, étouffée par des Pigamons jaunes après avoir néanmoins germé.
Dans la même prairie s'est installée une autre plante protégée aussi à l'échelon national, la Nivéole d'été3 Leucojum aestivum. C'est une espèce des milieux humides (prairies, fossés, bords des rivières), bulbeuse, haute de 30 à 60 cm, dont l'inþorescence s'épanouit de mars à mai. Les þeurs sont groupées par deux à huit en cyme unilatérale au sommet d'une tige dressée, comprimée, avec deux arêtes marquées. Ce serait un taxon nouveau pour l'Anjou (DANTON et BAFFRAY 1995).

N'ayant pas encore exploré toute leur surface, nous pensons que les BVA ne nous ont pas encore livré toutes leurs richesses. Mais d'ores et déjà, nous estimons que c'est une zone remarquable pour ses oiseaux mais aussi digne d'intérêt pour sa végétation. Avec M. DAUDON, nous pouvons dire : « …les prairies alluviales concentrent là des espèces végétales raréÞées ailleurs en France et représentent ainsi une sorte de conservatoire in situ des groupements et espèces remarquables inféodés aux prairies alluviales. » Elles méritent que se poursuivent et s'intensiÞent tous les efforts déjà engagés pour protéger ces milieux, y compris lorsque c'est nécessaire en dehors du périmètre lié au Râle des Genêts, aÞn que ne disparaissent pas de ces prairies humides les belles espèces bulbeuses (Orchidées) ou vivaces (Reine des prés, Grande Pimprenelle, Populage des marais…), qui les habitent encore très localement avec une surprenante abondance.


Bibliographie

• BILLIARD D., 1979.&emdash; Importance de l'inondation dans la différenciation et l'évolution cyclique annuelle des phytocénoses de la zone de conþuence Mayenne-Sarthe-Loir. Thèse de 3e cycle. Rennes. 220 p.
• BRAUD S., CORILLION R., 1994.&emdash; Cartographie des Orchidées du Maine-et-Loire. L'Orchidophile, supplément au n° 111.
• COSTE H., 1901.&emdash; Flore descriptive et illustrée de la France, de la Corse, et des contrées limitrophes.
• DANTON Ph., BAFFRAY M., 1995.&emdash; Inventaire des plantes protégées en France. AFCEV, Nathan. Paris.
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• DAUDON M., 1993b.&emdash; Flore et végétation des Basses Vallées Angevines (Maine-et-Loire) : caractérisations et intérêt patrimonial. LPO. 32 p. + annexes.
• DAUDON M., 1994a.&emdash; Flore et végétation des Basses Vallées Angevines (Maine-et-Loire) : effets de divers modes d'utilisation du milieu. LPO. 42 p. + annexes.
• DAUDON M., 1994b.&emdash; Siivi botanique de l'OGAF-Basses Vallées Angevines. État initial. LPO. 22 p. + annexes.
• DAUDON M., 1995.&emdash; Flore et végétation des Basses Vallées Angevines (Maine-et-Loire). Synthèse cartographique. Évaluation botanique des acquisitions foncières. LPO. 24 p. + annexes.
• FOURNIER P., 1934-1940.&emdash; Les Quatre Flores de France. Éditions Lechevalier.
• JEAN-BLAIN C., 1973.&emdash; Les Plantes vénéneuses. Leur toxicité. Éd. La Maison Rustique.
• LAMBINON J., DE LANGHE J.-E., DELVOSAILLE L., DUVIGNAUD J., 1992.&emdash; Nouvelle þore de la Belgique, du Grand Duché du Luxembourg, du Nord de la France et des contrées voisines. Quatrième édition.
• PASQUIER V., DAUDON M., MOURGAUD G., LOIR O., 1995.&emdash; Suivi du fonctionnement hydraulique des Basses Vallées Angevines (1re année). Rapport n° 2. Union Européenne, Ministère de l'Environnement, Agence de l'Eau Loire-Bretagne, Conservatoire régional des rives de la Loire et de ses afþuents, Conseil général de Maine-et-Loire. LPO, 34 p. + annexes.
• VETVICKA V.&emdash; Plantes du bord de l'eau et des prairies. Éd. Gründ.

1 Action communautaire nature

2 Opération groupée d'aménagement foncier