Bull. Gr. Angevin Ét. Orn. &emdash; LPO Anjou, 1994, 22 (45) : 55-60

Trois années de suivi d'une colonie mixte
de Sternes pierregarins Sterna hirundo,
de Sternes naines Sterna albifrons
et de Petits Gravelots Charadrius dubius
en Loire angevine

par Patrice PAILLEY et Jean-Claude BEAUDOIN

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En 1986, le Groupe Angevin d'Études Ornithologiques s'est vu confier, par le Service maritime et de navigation de la Direction départementale de l'Équipement, une étude destinée à préciser l'impact de la mise en navigabilité du bras des Lombardières sur l'avifaune nicheuse des grèves. Ce bras de Loire longe toute la rive gauche de l'île de Béhuard et comporte une grève à l'aval du hameau des Jubeaux, sur la commune de Denée, où la nidification épisodique de la Sterne naine et du Petit Gravelot était connue.
Pour comparaison, un site témoin en Loire non navigable fut choisi en fonction de sa relative proximité - quatorze kilomètres en amont - et de son occupation régulière par une colonie mixte. Cet article est consacré à la présentation des données obtenues lors du suivi du site témoin entre 1986 et 1988 (PAILLEY et BEAUDOIN 1987a, 1987b et 1988)

1. Présentation du site

Les deux premières années, il s'agit d'une grève rattachée à l'aval de l'île du Hardas, sur la commune de La Daguenière, et proche de la rive droite dont elle est séparée à l'étiage par un chenal de 70 m de largeur (fig. 1). De forme triangulaire, la grève mesure 300 m de long pour une base de 140 m en basses eaux. Aucun accident de relief notable n'y apparaît et la végétation est totalement absente. La cote déterminant l'installation des nicheurs est de l'ordre de 0,80 m à l'échelle des Ponts-de-Cé. Une exploitation de matériaux alluvionnaires est en activité à l'aval immédiat du site et provoque la disparition totale de la grève au cours des crues de l'hiver 1987-1988.

Fig. 1. Localisation des deux grèves.

Fig. 1. Localisation des deux grèves.

De ce fait un nouveau site témoin doit être recherché en 1988 et le choix se porte sur une grève attenant à un îlot localisé 600 m en amont du site précédent (fig. 1). Cette grève est située au milieu du fleuve, soit à près de 300 m des rives, et mesure 200 m de long pour une base de 100 m. Elle possède une végétation très clairsemée, un relief marqué par quelques dépressions et deux gros troncs d'arbre échoués. La cote attractive pour l'établissement des nicheurs est de l'ordre de 0,60 m.

2. Évolution du niveau des eaux

En 1986, des crues tardives empêchent toute installation avant le début de juin. L'année suivante, un retrait précoce des eaux permet une occupation dès le milieu d'avril puis, dans la seconde de mai, une faible crue recouvre en partie la grève qui sera complètement submergée par une brutale montée des eaux au cours de la troisième semaine de juin. Le site ne sera à nouveau accessible que dans les derniers jours de juin.
En 1988, le niveau des eaux demeure relativement élevé en avril et en mai, et la grève ne devient attractive qu'au début de juin.

3. Matériel et méthode

Les observations, assurées par Patrice PAILLEY, sont réalisées depuis un point élevé de la berge la plus proche à l'aide d'une paire de jumelles et d'une longue-vue. La distance d'observation est comprise entre 100 et 150 m pour le premier site mais est de l'ordre de 300 m pour le second, ce qui altère notablement la précision des relevés.
Au cours des trois années, le suivi débute en avril et s'achève plus ou moins tard en août. Les séquences d'observation ont lieu dans une fourchette horaire comprise entre 7 h et 22 h et sont placées, à raison de deux ou trois par semaine, aussi bien en milieu qu'en fin de semaine afin de mieux saisir les effets d'éventuels dérangements humains.
Chaque année, l'emplacement des nids est reporté sur plan et, en 1986, la grève a fait l'objet d'une visite après la période de nidification afin de recueillir divers indices tels que cadavres ou œufs non éclos.
Le comptage des couveurs n'a pas posé de problème particulier mais l'estimation de la composition des familles s'est avérée très difficile à cause de la mobilité des poussins de sternes âgés de plus de 4 ou 5 jours. De ce fait, et aussi en raison de l'espacement assez important des séquences d'observation, il n'a pas été possible de mesurer avec précision le succès de reproduction en nombre de jeunes parvenus à l'envol.

4. Résultats

4.1. Effectifs reproducteurs

Le nombre assez réduit des Sternes pierregarins en 1986 et 1988 est lié à l'époque tardive d'exondation des deux grèves (tableau 1).

En 1987, les 27 couples de Sternes pierregarins sont rejoints le 29 mai par 4 couples venant d'abandonner des pontes déposées sur les sommets des piles de l'ancien pont ferroviaire des Ponts-de-Cé à 4 km en aval. Ce sont vraisemblablement 3 de ces 4 couples qui se sont réinstallés après la crue de juin pour effectuer une troisième ponte…

4.2. Chronologie de la nidification

Celle-ci est résumée sous forme de tableaux accompagnés de commentaires pour chacune des deux espèces de sterne.

• Sterne pierregarin

Les dates de ponte sont évaluées approximativement à partir des dates d'éclosion et en prenant une durée moyenne d'incubation de 21 jours (CRAMP 1985 : 1984).

Pour les trois années la période de recrutement est relativement brève, exception faite de couples installés tardivement à la suite de perturbations sur d'autres sites, et ne varie guère entre 1987, année d'apparition précoce, et les deux autres années où l'accès aux grèves était différé de près d'un mois et demi. Sur la Loire angevine, des durées d'installation plus longues sont signalées pour des colonies plus étoffées :

• en 1982, CORMIER (1983) relève 29 jours pour 70 couples sur une grève en amont de La Bohalle ;
• en 1991, LERAY (1993 : 89 et 99) constate 27 jours pour 61 couples sur la grève de l'île de Parnay sans prise en compte des installations tardives de couples ayant échoué dans une première tentative de reproduction.
FOUQUET et YÉSOU (1990) ont montré que de nombreux facteurs sont susceptibles de moduler l'étendue de la période de recrutement.
L'époque de ponte en Loire angevine varie en fonction de la durée des crues de printemps et de la hauteur des grèves. En 1987, les premières pontes complètes sont déposées vers le 6 mai, ce qui n'est pas très précoce puisque MARTIN et PAILLEY (1987) ont calculé une date moyenne des premières pontes au 3 mai ± 7 jours sur 15 années sans crue tardive, les pontes les plus précoces étant déposées au plus tôt entre les 20 et 25 avril comme lors des années 1976 et 1982 (CORMIER 1983, MARTIN et PAILLEY 1987).
Pour ce qui est de la durée d'élevage des jeunes, il faut souligner la contraction de celle-ci dans le cas des quelques oiseaux issus des pontes de remplacement déposées après la crue de juin 1987 : 23 jours au plus alors qu'elle est habituellement de 25-26 jours (CRAMP 1985 : 84).

• Sterne naine

Les dates de ponte sont évaluées comme pour l'autre espèce. La période de recrutement des couveurs paraît sensiblement plus courte que pour la Sterne pierregarin mais CORMIER (1983) relève 27 jours pour une colonie d'une vingtaine de couples alors que LERAY (1993 : 102-105) constate 14 jours pour 13 couples. Sur une île de Loire proche d'Orléans, MUSELET (1990) a observé 16 jours ou un peu moins dans le cas de 18 couveurs.
Même en 1987 les premières pontes sont assez tardives puisque, sur 9 années sans crue de printemps, MARTIN et PAILLEY (1987) situent la date moyenne au 16 mai ± 7 jours et mentionnent le 6 mai 1975 comme date record.
Après la crue de juin 1987, les pontes de remplacement sont déposées dans un laps de temps très court à l'instar des trois couples de Sterne pierregarin.

• Petit Gravelot

La chronologie d'occupation de la grève n'a été déterminée avec précision qu'en 1987. Avant la crue de juin, l'époque du début de ponte est évaluée au 29 mai et la durée de recrutement des couveurs à 7 jours. Après la crue, les secondes pontes sont déposées en 2 à 3 jours à partir du 29 juin. La similitude avec la Sterne naine est remarquable. Il faut remarquer qu'en mai 1987 le début de la ponte est particulièrement tardif car les données recueillies en Loire angevine montrent qu'en l'absence de crue prolongée, beaucoup de pontes ont lieu à partir de la mi-mai.
Sur l'île de Parnay, bien suivie, la ponte la plus précoce est située au 6 mai 1990 (LERAY 1993 : 103) et quelques observations sur d'autres sites signalent des oiseaux « en position de couveurs » dans les derniers jours d'avril.

4.3. Disposition des nids

Les observations sur le terrain et l'examen des plans de situation montrent qu'en 1986 (fig. 2) et en 1987, avant la crue de juin (fig. 3), les Sternes pierregarins ont adopté la même portion de grève en constituant 1 ou 2 noyaux alors que les Sternes naines, installées plus tardivement la seconde année, se sont réparties au hasard des places vacantes au sein des nids de l'autre espèce ou à leur périphérie. Après la crue de juin 1987, les nids des deux sternes sont dispersés sur une bande étroite.
En revanche, sur la grève occupée en 1988 (fig. 4), les deux espèces de sternes sont totalement séparées. Dans la règle générale les nids de Petits Gravelots sont établis en périphérie et paraissent plus souvent associés à ceux de la Sterne naine.

Fig. 2. Emplacement des différents groupes de couveurs en 1986.

Fig. 2. Emplacement des différents groupes de couveurs en 1986.

Fig. 3. Emplacement des couveurs en 1987.

Fig. 3. Emplacement des couveurs en 1987.

Fig. 4. Emplacement des couveurs en 1988.

Fig. 4. Emplacement des couveurs en 1988.

4.4. Succès de reproduction et causes de mortalité

Pour les raisons indiquées plus haut, le nombre de jeunes à l'envol n'a pu être déterminé avec précision et les données recueillies sur la composition des familles concernent celles ayant des poussins âgés au plus de 4 jours.
Dans le cas de la Sterne pierregarin (tableau 4), le nombre de jeunes poussins paraît très variable d'une année sur l'autre avec une valeur remarquablement élevée en 1987, avant la crue destructrice.

En 1986, une visite de la grève au début du mois d'août révèle l'abandon d'une ponte de 3 œufs, un œuf non éclos dans 5 nids et un cadavre de poussin sans doute victime d'un mammifère carnivore.
En 1987, les fortes pluies au cours des deux premières décades de juin1 ont causé la perte de 21 gros poussins - soit le quart de l'effectif estimé - et les survivants ont été emportés par la crue. Aucun dérangement humain n'a été constaté au cours des 3 années.
Les seules autres données collectées sur le succès de reproduction en Loire angevine proviennent de la colonie de l'île de Parnay où LERAY (1993 : 93 et 118) a évalué une production de jeunes à l'envol par couple nicheur variant entre 0,3 et 1,5 de 1987 à 1991. En Loire orléanaise, MUSELET (1979) signale pour la colonie de Sandillon (Loiret) une production d'environ 1 jeune volant par couple.
Pour ce qui est de la Sterne naine (tableau 5) la production de jeunes poussins paraît très stable et la moyenne observée en 1987 à l'issue d'une ponte de remplacement est identique à celle des deux autres années.

Tableau 5. Composition des familles de Sternes naines ayant des poussins d'au plus 4 jours.

Tableau 5. Composition des familles de Sternes naines ayant des poussins d'au plus 4 jours.

En 1986, la visite de la grève permet la découverte d'un œuf non éclos et d'un cadavre d'adulte. Un Épervier Accipiter nisus a été vu capturant un poussin. De 1989 à 1991, LERAY (1993 : 118) donne une estimation de 1,2 , 1 et 0,8 jeunes à l'envol par couple nicheur pour la colonie de l'île de Parnay.
Les données obtenues sur le Petit Gravelot (tableau 6) font apparaître une stabilité de la production de jeunes poussins autour d'une moyenne assez basse et la rareté des familles de 4 poussins.

Tableau 6. Composition des familles de Petits Gravelots ayant des poussins de moins d'une semaine.

Tableau 6. Composition des familles de Petits Gravelots ayant des poussins de moins d'une semaine.

Sur l'île de Parnay, LERAY (1993 : 118) estime la production de jeunes à l'envol à 2,8 , 0,4 et 1,9 par couple nicheur sur un échantillon de 24 couples entre 1989 et 1991. DUBOIS et MAHÉO (1986 : 88) relèvent l'absence de données sur le succès de reproduction des nicheurs français.

Conclusion

Sur un sujet encore peu étudié en Maine-et-Loire, le suivi réalisé apporte un bon nombre d'informations mais la portée des constats formulés est cependant limitée en raison de la taille assez modeste des échantillons et des particularités propres aux sites étudiés.
En l'absence de dérangement humain direct, certaines causes de mortalité affectant les sternes ont pu être précisées :
• les effets des crues sont bien connus mais le cas de celle très tardive de juin 1987, qui a détruit nombre de jeunes Sternes pierregarins proches de l'envol, est exceptionnel et ne paraît pas avoir eu de précédent depuis le début, en 1970, du suivi régulier des colonies angevines ;
• l'impact de fortes précipitations au cours de l'élevage paraît considérable. Dans de telles circonstances il semble qu'un des facteurs de mortalité provienne du manque d'accessibilité des proies dans l'eau agitée comme l'a constaté Louis-Marie PRÉAU (com. pers.) sur une colonie mixte.
Ce suivi a une nouvelle fois confirmé l'incidence des extractions de granulats sur la pérennité des grèves qui leurs sont proches. La disparition d'un site utilisé traditionnellement par les oiseaux nicheurs étant d'autant plus dramatique que peu de grèves réunissent toutes les conditions favorables à une adoption régulière.

Bibliographie

CORMIER, J.-P., 1983.- L'installation d'une colonie mixte Sterne pierregarin Sterna hirundo et Sterne naine Sterna albifrons en Loire, durant le printemps 1992. Bull. Soc. Sc. nat. Ouest de la France, nouvelle série, t. 5 (1) : 38-42.

CRAMP, S. (éd.), 1985.- The Birds of the Western Palearctic. Vol. 4. Oxford University Press. 960 p.

DUBOIS, P. J., MAHÉO, R., 1986.- Limicoles nicheurs de France. LPO, BIROE, ministère de l'Environnement.

LERAY, V., 1993.- Les oiseaux de l'île de Parnay sur la Loire. LPO Anjou, Angers. 128 p.

MARTIN, H., PAILLEY, P., 1987.- Les populations nicheuses de Sterne pierregarin Sterna hirundo et de Sterne naine Sterna albifrons en Maine-et-Loire. Ann. Biol. Centre, 2 : 49-76.

MUSELET, D., 1979.- Observation des populations aviaires et en particulier des Sternes pierregarin Sterna hirundo et naine Sterna albifrons d'un méandre de la Loire en amont d'Orléans, en rapport avec les variations de niveau du fleuve. Bull. Inst. Écol. Appl., 6 (1-2) : 11-43.

MUSELET, D., 1990.- Choix et chronologie de l'occupation du site de reproduction chez la Sterne naine Sterna albifrons albifrons. L'Oiseau et R. F. O., 60 (4) : 299-303.

PAILLEY, P., BEAUDOIN, J.-C., 1987a.- Influence de la mise en navigabilité du bras des Lombardières sur un site de nidification de la Sterne pierregarin Sterna hirundo et de la Sterne naine Sterna albifrons. Année 1986. Groupe Angevin d'Études Ornithologiques, rapport dactylographié. 15 p.

PAILLEY, P., BEAUDOIN, J.-C., 1987b.- Influence de la mise en navigabilité du bras des Lombardières sur un site de nidification de la Sterne pierregarin Sterna hirundo et de la Sterne naine Sterna albifrons. Année 1987. Groupe Angevin d'Études Ornithologiques, rapport dactylographié. 15 p.

PAILLEY, P., BEAUDOIN, J.-C., 1988.- Influence de la mise en navigabilité du bras des Lombardières sur un site de nidification de la Sterne pierregarin Sterna hirundo et de la Sterne naine Sterna albifrons. Année 1988. Groupe Angevin d'Études Ornithologiques, rapport dactylographié. 12 p.

YÉSOU, P., FOUQUET, M., 1990.- Date de recensement et sous-estimation des effectifs nicheurs chez la Sterne pierregarin Sterna hirundo. L'Oiseau et R. F. O., 60 (1) : 50-54.

Archives et bulletins du Groupe Angevin d'Études Ornithologiques.

1 la station météorologique d'Angers-Avrillé a relevé 60,7 mm jusqu'au 20 juin sur un total mensuel de 65,3 mm. Pour juin la normale est de 40,3 mm.

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