Logo LPO Anjou 

Sommaire du Crex n° 4, 1999

État des connaissances sur les Chiroptères en Maine-et-Loire après douze années de recherches (hors reproduction)

par Myriam et Patrice PAILLEY

1999, Crex, 4 : 63-72

PDF, 12,2 Mo

Résumé : Douze espèces de Chiroptères ont été identiÞées en Maine-et-Loire lors des recherches (hors reproduction) entreprises de 1988 à 1998. À ces espèces, peuvent être ajoutés le groupe des Pipistrelles Pipistrellus spp. et le groupe des Oreillards Plecotus spp. non identiÞés spéciÞquement faute de captures. Les prospections ont porté sur les caves et les ponts du département, ainsi que sur l'analyse des pelotes de réjection de rapaces (Chouette effraie Tyto alba surtout). Les menaces et facteurs limitants sont passés en revue pour déboucher sur des perspectives de recherche et sur des propositions de mesures de protection et d'éducation.


Cet article est dédié au docteur Michel GRUET, plus connu comme archéologue, préhistorien et géologue, qui a travaillé de 1944 aux années soixante sur les Chiroptères en France mais surtout dans notre département où il s'est éteint en 1998. Nous indiquons ses principaux articles concernant le sujet dans le département de Maine-et-Loire en annexe I.

 

Annexe I. &emdash; Bibliographie du docteur Michel GRUET
concernant les Chiroptères en Maine-et-Loire.

GRUET M., DUFOUR Y., 1949. &emdash; Étude sur les chauves-souris troglodytes du Maine-et-Loire. Mammalia, 13 : 69-75, 138-143.

GOGUYER G., GRUET M., 1957. &emdash; Observation d'une parturition chez Myotis emarginatus. Mammalia, 21 : 97-110.

SLUITER J. W., VAN HEERDT P. F., GRUET M., 1971. &emdash; Paramètres de population chez le Grand Rhinolophe Fer-à-cheval (Rhinolophus ferrumequinum, Schreber), estimés par la méthode des reprises après baguages. Mammalia, 35 : 254-272.

 

1. Historique : chronologie des découvertes de Chiroptères en Maine-et-Loire

Dans le tableau 1, on ne parle pas du Murin de Nathaline Myotis nathalinae parce que l'existence de cette espèce n'aura duré que le temps de la réalisation de l'atlas national sous l'égide de la SFEPM1 (FAYARD et al. 1984). Aujourd'hui, en effet, ce taxon serait considéré comme un morphotype du Vespertilion de Daubenton Myotis daubentoni.
Une autre espèce, le Rhinolophe de Mehely Rhinolophus mehelyi, pose quelques problèmes. L'espèce est-elle encore présente en France ? La question est posée dans l'atlas national de 1984. Le doute est encore plus fort concernant la présence de l'espèce dans notre département. BEAUCORNU y fut en effet le découvreur de l'espèce : deux femelles en 1956 puis une femelle en 1957 (BEAUCORNU 1969). L'auteur de la découverte s'entoure néanmoins de précautions même s'il rattache les individus à l'espèce R. mehelyi. Il écrit à ce propos : « Malheureusement, quel que soit le caractère de rareté d'une espèce, il faudrait, devant une pareille anomalie de répartition, conserver sinon un animal, du moins en avoir des photographies valables. Rien de cela ne fut fait. Disons cependant que les quelques mensurations prises coïncident avec celles de R. mehelyi… ».

Tableau 1. &emdash; Récapitulation chronologique des découvertes d'espèces de Chiroptères en Maine-et-Loire.

2. Recherche et inventaire des sites d'hibernation

2.1. Méthodologie

Les sites d'hibernation ont fait l'objet des premières recherches en Maine-et-Loire, les sites prospectés sont les suivants : souterrains, caves, grottes, tunnels, carrières d'extraction creusées dans le falun ou le tuffeau appelées « caves ». Ces « caves » sont particulièrement recherchées ainsi que les habitats semi-troglodytes fréquents dans notre département. Après avoir localisé sur carte IGN2 au 1:25 000 ou au 1:50 000 nous avons fait l'inventaire de ce qui était accessible facilement avec ou sans autorisation des propriétaires qui sont souvent inconnus. Les champignonnières restructurées dans des anciennes carrières ont retenu notre attention car elles représentent des sites idéaux pour l'hibernation des chauves-souris.

Les recherches sur ces sites ont débuté en 1987 et les premiers suivis des 10 principales cavités en 1988 (tableau 2).

 

Tableau 2. &emdash; Recensements dans les 10 principales cavités souterraines occupées en période d'hibernation
durant les hivers 1988-1989 à 1997-1998.
Les hivers 1992-1993 et 1997-1998 sont les hivers de référence lors desquels tous les sites ont été recensés.
R : nombre de recensements effectués ;
E : nombre d'espèces rencontrées ;
r : nombre de recensements où toutes les espèces connues pour le site ont été rencontrées.

2.2. Résultats généraux

Au total, nous avons visité environ 300 cavités et 122 d'entre elles abritent au moins quelques Chiroptères.
En Maine-et-Loire souterrain 12 espèces de Chiroptères ont été identiÞées auxquelles peuvent être ajoutés les Pipistrelles Pipistrellus spp. et les Oreillards Plecotus spp. d'identiÞcation spéciÞque impossible sans manipulations (Þg. 1).

Nombre d’espèces de Chiroptères en Maine-et-Loire

Une seule cavité, l'Hôtel Hervé, regroupe ces 14 taxons. Bien sûr plus le nombre de recensements augmente plus la probabilité de découverte de nouvelles espèces augmente pour un même site. La topographie du lieu d'hibernation comme par exemple de nombreux éboulements devant l'entrée avec Þssures, de nombreuses entrées, une cavité dans un milieu forestier, etc. favorise l'apparition d'espèces accidentelles. Les commentaires par espèce sont basés sur 130 sites souterrains qui se répartissent de la façon suivante : 122 cavités, 7 tunnels de mines et 1 four à chaux.

2.3. Résultats par espèce

Le Grand Rhinolophe Rhinolophus ferrumequinum (Þg. 2) est présent sur 99 sites, la moyenne est de 15 individus avec un record de 503 observés durant l'hiver 1997-1998 dans la cavité du Prieuré (tableau 3). Les effectifs totaux sont stables si l'on compare les six dernières années. Néanmoins les Grands Rhinolophes se promènent aisément entre les sites pendant un même hiver et nous avons remarqué qu'ils sont très vite réveillés ou le sont même déjà lorsque l'on pénètre dans la cavité. Si bien que pour certaines cavités les effectifs sont très þuctuants sur une seule saison d'hibernation.

Grand Rhinolophe par Alain Fossé

Le Petit Rhinolophe Rhinolophus hipposideros est présent sur 59 sites, la moyenne est de 3 individus avec un maximum de 30 observés durant l'hiver 1997-1998 dans les caves de Chanzelles. Les effectifs semblent en légère augmentation.
Le Rhinolophe euryale Rhinolophus euryale : un seul individu observé sur 5 sites depuis 1986 nous permet de dire qu'il y a quelques individus errant en Maine-et-Loire (PAILLEY 1995) ce qui rejoint malheureusement les constatations sur sa raréfaction générale en France. Ce Chiroptère serait particulièrement sensible à l'action des pesticides (FAUGIER 1984).
Le Grand Murin Myotis myotis est présent sur 57 sites, la moyenne est de 7 individus par site. Le maximum observé est de 47 individus durant l'hiver 1992-1993 dans la cavité de la Poinsonnière. Les effectifs semblent en légère régression.
Le Vespertilion de Daubenton Myotis daubentoni est présent sur 31 sites, la moyenne est de 5 individus, le maximum est de 29 observés durant l'hiver 1991-1992 dans la cavité de l'hôtel Hervé. Les effectifs sont en légère augmentation.
Le Vespertilion à oreilles échancrées Myotis emarginatus (Þg. 3) est présent sur 46 sites, la moyenne est de 20 individus avec un maximum de 273 observés durant l'hiver 1997-1998 dans la cavité du Buisson (tableau 4).

Il arrive dès la Þn d'octobre et ne repart qu'en mars et semble peu se déplacer pendant l'hibernation. Le suivi des populations montre que les individus, d'observation facile, sont presque toujours suspendus aux voûtes dans la partie sombre des cavités et nous permet d'appréhender l'augmentation des effectifs. Ceux-ci ont doublé sur les cinq dernières années ce qui correspond à l'évolution constatée dans la région Centre (BRAULT 1994). Nos deux régions accueillent plus de 70 % de la population hivernante française.

Vespertilions à oreilles échancrées par Michel Gruet

Le Vespertilion à Moustaches Myotis mystacinus est présent sur 104 sites la moyenne est de 5 individus avec un maximum de 54 observés durant l'hiver 1993-1994 dans la cavité de Chanzelles. C'est l'espèce la mieux répartie en hibernation mais ses effectifs sont en légère diminution.
Les Vespertilions de Natterer Myotis nattereri, de Bechstein Myotis bechsteini, la Sérotine Eptesicus serotinus, la Noctule Nyctalus noctula, la Barbastelle Barbastella barbastellus, les Pipistrelles Pipistrellus spp. et les Oreillards Plecotus spp. sont des espèces accidentelles en période d'hibernation dans les cavités. Elles supportent bien le froid et ne rejoignent le milieu souterrain qu'exceptionnellement en utilisant préférentiellement les anfractuosités des entrées.
Si lors d'un recensement hivernal quelques individus peuvent être observés, il n'est pas sûr du tout de les observer à nouveau l'hiver suivant.
Nous indiquerons donc dans les commentaires suivants le nombre de sites où ces espèces ont pu être observées et l'effectif maximal sachant que pour chacune la moyenne observée n'excède pas 2 individus.
Le Vespertilion de Natterer est présent sur 37 sites et le maximum observé est de 11 individus durant l'hiver 1993-1994 dans la cavité de la Seigneurie.
Le Vespertilion de Bechstein est présent sur 28 sites et le maximum observé est de 11 individus durant l'hiver 1997-1998 dans la cavité de Chanzelles.
La Sérotine commune est présente sur 20 sites et le maximum observé est de 7 individus durant l'hiver 1992-1993 dans la cavité de la Demaisonnerie.
La Noctule (Þg. 4) est présente sur 2 sites et le maximum observé est de 4 individus durant l'hiver 1993-1994 dans la cavité de la Demaisonnerie.

Noctules sp. par Olivier Loir

Le genre Pipistrellus est présent sur 15 sites et le maximum observé est de 9 individus durant l'hiver 1987-1988 dans le tunnel de Châteaupanne. Nous ne parlons pas d'espèces car il est difÞcile de déterminer avec certitude ce genre sans manipulation des individus &emdash; ce que réprouve notre code de déontologie.
Le genre Plecotus est présent sur 30 sites et le maximum observé est de 10 individus durant l'hiver 1993-1994 dans la cavité de Chanzelles. La détermination des deux espèces sur les critères extérieurs ne permet pas une identiÞcation certaine des oreillards, même si 90 % d'entre eux semblent être des Oreillards gris Plecotus austriacus.
La Barbastelle est présente sur 27 sites et le maximum observé est de 5 individus durant l'hiver 1993-1994 dans les caves de la Bouchardière.

3. Les Chiroptères sous les ponts de Maine-et-Loire

Les ponts constituent des sites de choix pour les Chiroptères arboricoles et cavernicoles ; ils offrent des conditions microclimatiques particulières mais il faut qu'ils présentent des Þssures ou des anfractuosités sous la voûte pour que l'animal puisse s'y abriter. Ces lieux servent de sites d'estivage pour les mâles et plus rarement de gîtes de parturition pour les femelles.
Certaines espèces choisissent de préférence d'habiter sous les ponts : le Vespertilion de Daubenton et dans une moindre mesure le Vespertilion de Natterer.
Nous présentons ici les résultats de prospections menées en Maine-et-Loire qui permettent de mieux cerner la distribution de ces deux espèces et de déÞnir une topologie des ponts les plus favorables à l'installation des Chiroptères.

3.1. Méthodologie

Nous nous sommes basés sur les travaux de ROLANDEZ & PONT (1986) en région Rhône-Alpes et de MALAFOSSE (1988) en Creuse. Nous avons utilisé les mêmes critères qu'eux.
Avant de travailler sur le terrain, nous recherchons sur les cartes IGN 1:50 000 ou 1:25 000 les ponts cartographiés. L'équipement consiste en une torche, des cuissardes, une paire de jumelles, un bloc-notes et un mètre. Chaque pont qui offre une possibilité de gîte fait l'objet d'une Þche descriptive. Les ouvrages sont classés en fonction de leur structure (dallé, voûté) et de leur hauteur. Les Chiroptères sont observés à la lampe et identiÞés selon les critères de détermination du Guide des Mammifères d'Europe de SCHILLING et al. (1986). Nous n'avons certainement pas recensé tous les Chiroptères présents lors de nos passages ; certains d'entre eux pénètrent dans des Þssures trop profondes pour pouvoir les observer.

3.2. Résultats

Entre août 1989 et octobre 1992 nous avons prospecté 1 203 ponts en Maine-et-Loire c'est-à-dire tous ceux ne nécessitant ni matériel d'escalade, ni bateau (ponts enjambant la Loire) soit plus de 92 % de la totalité.
174 ponts &emdash; 14,5 % &emdash; se sont révélés favorables, ils possédaient au moins une cache pour un Chiroptère mais seulement 69 d'entre eux &emdash; 5,7 % &emdash; hébergent des chauves-souris.
Nous avons rencontré 6 espèces de Chiroptères sur les 18 présentes sur notre département alors qu'il est à noter qu'en France, ce sont 14 espèces sur 29 qui fréquentent plus ou moins régulièrement ce type de gîte. Le Vespertilion de Daubenton est l'espèce qui affectionne tout particulièrement ce milieu (tableau 5).

3.3 Discussion

Les ponts idéaux en Maine-et-Loire sont des ouvrages anciens voûtés ou dallés d'une hauteur de 1 à 2 m offrant des fentes de 1 à 3 cm de largeur avec une profondeur de 15 cm. Ces résultats conÞrment notre première publication sur le sujet (PAILLEY 1992b). Ces ponts jouent un grand rôle dans la distribution des Vespertilions de Daubenton et de Natterer. Nous avons vériÞé l'occupation hivernale de quelques-uns d'entre eux et nous avons retrouvé ces deux espèces tout comme CHAMARAT (1990) en Limousin et MASSON & SAGOT (1985, 1987) en Aquitaine.

4. Les prédateurs de Chiroptères et leur impact

4.1. La Chouette effraie Tyto alba, principal prédateur

4.1.1. Méthodologie

AÞn que la récolte des pelotes s'adapte au mieux à nos desseins, nous avons préalablement quadrillé notre département avec des mailles de la taille d'un quart de carte au 1:25 000 (rectangle de 10 km sur 6,8 km). Le travail sur le terrain fut de rechercher un lot de pelotes par maille. L'étude s'est déroulée de 1982 à 1989 (PAILLEY & PAILLEY 1991).
Plusieurs clés de détermination nous ont permis d'identiÞer les restes osseux de Chiroptères : BRITTON & MELLA (1982), MENU & POPELARD (1987), NOBLET & BERTHOUD (1981). Nous avons envoyé des échantillons à monsieur POPELARD pour vériÞcation.

4.1.2. Résultats

158 lots de pelotes de réjection ont été récoltés et analysés et nous ont révélé 54 686 proies. 80 Chiroptères (0,15 % des proies) ont été retrouvés dans 26 lots (16,5 % des lots) (tableau 6).

Tableau 6. &emdash; Espèces de Chiroptères proies de Tyto alba en Maine-et-Loire.

Les chauves-souris sont la plupart du temps qualiÞées de proies accidentelles (LÉGER 1987, PAILLEY & PAILLEY 1996, BERSUDER & KAYSER 1988, UTTENDORFER 1952), leur pourcentage n'excédant pas 0,1 %.

En revanche, des analyses plus Þnes ont montré que le rapace peut jeter son dévolu sur une colonie de Chiroptères (BAUER 1956, RUPRECHT 1979, PAILLEY & PAILLEY 1996).

Si la cohabitation avec l'Effraie dans les églises ou les bâtiments publics se passe souvent mal (PAILLEY & PAILLEY 1996), il existe des cas qui démontrent le contraire. À Challain-la-Potherie, dans la tour du château, qui comporte quatre poivrières, vivent ensemble la Chouette effraie, le Choucas des tours Corvus monedula, le Pigeon biset Columba livia et l'Oreillard gris. Les quatre espèces utilisent le site comme lieu de reproduction et l'analyse des pelotes n'a montré aucun cas de prédation.

4.2. Autres prédateurs

En Maine-et-Loire, nous avons constaté un seul cas de prédation par le Lérot Eliomys quercinus : seule la tête du Chiroptère avait été consommée, le reste du corps du Vespertilion à moustaches restait dans l'anfractuosité. En effet le Lérot fréquente les mêmes lieux d'hibernation.

Nous avons également trouvé un cas de prédation de la Chouette hulotte Strix aluco sur le Vespertilion de Bechstein : seul le corps avait été mangé, la tête reposait sous le perchoir du rapace.
Pour ce qui est du Chat domestique Felis catus : plusieurs cas de chauves-souris mortes ou blessées ont été signalés mais nous n'avons pas répertorié les espèces victimes.
D'autres prédateurs des Chiroptères sont connus : la Fouine Martes foina (LIBOIS & WAECHTER 1991), le Faucon pèlerin Falco peregrinus (ALLIOT & GIMEL 1996)…

5. La découverte de cadavres

Aucune méthodologie n'est appliquée : nous les ramassons dans les sites de reproduction ou d'estivage ou sur les bords de route. Ils nous donnent des indications sur la présence des espèces sur le site et renforcent nos observations. Les résultats sont éloquents puisqu'ils nous ont permis de déterminer 15 espèces (SCHOBER & GRIMMBERGER 1991). Il ne nous manque que les deux espèces les plus rares : le Rhinolophe euryale et la Pipistrelle de Nathusius. Sur les 54 cadavres récoltés 17 sont des victimes de la circulation routière.

6. Menaces et facteurs limitants

6.1. Destruction des sites

L'aménagement des greniers supprime des gîtes d'estivage et de reproduction pour les espèces menacées.
La rénovation des ponts supprime toute anfractuosité susceptible d'abriter des Chiroptères : en Maine-et-Loire, 3 des 7 ponts classés en ZNIEFF de type I3 en 1995 ont été remaçonnés sans aucune concertation avec la DIREN4.
La condamnation des entrées de mines, pour raison de sécurité, par la DRIRE5, interdit toute utilisation par les Chiroptères lorsqu'elle est réalisée par éboulement ou comblement.
En Anjou on comble les cavités pour faire des terrains à bâtir. Les particuliers construisent de nombreux murs dans les sites souterrains aÞn d'en interdire l'accès et de réaliser des petites caves de réserve pour leurs denrées puis ils y installent l'électricité tant et si bien que ces sites ne conviennent plus aux espèces cavernicoles. Déjà GRUET et BEAUCORNU signalaient ces problèmes ainsi que l'aménagement des caves par les champignonnistes. Actuellement la tendance s'inverse : nous assistons à l'abandon de la culture des champignons sous terre.
L'illumination des bâtiments du patrimoine perturbe les sorties nocturnes de chauves-souris ; BLANT (1992) a démontré la perturbation sur le Grand Rhinolophe et l'abandon du site de reproduction.
L'emploi de pesticides pour la protection des charpentes peut tuer directement les Chiroptères (SWIFT & RACEY 1983) qui habitent des combles ainsi traités. Les produits phytosanitaires déversés sur les cultures contaminent leurs proies et contaminent plus intensément ces prédateurs : leur descendance peut être stérile ou nulle par effet létal sur les portées.
Les produits mis en cause dans ces diverses situations sont à base de lindane (du groupe des organochlorés), de biphényls polychlorés (ROUÉ 1998).

6.2. ModiÞcations du paysage

Le retournement des prairies, l'arasement des haies, l'assèchement des marais et des zones humides, la canalisation des cours d'eau et l'élimination de la ripisylve, la transformation de la forêt en plantation monospéciÞque de résineux réduisent considé-rablement la biomasse d'invertébrés comme les insectes proies des Chiroptères (ROUÉ 1998).
La coupe des arbres creux ou morts dans les actions de nettoyage « écologique », leur suppression systématique dans les parcs, au bord des routes et des rivières réduisent d'autant les capacités d'accueil pour les Chiroptères.
Toutes ces interventions conduisent à la disparition d'une partie des espèces de Chiroptères les plus exigeantes sur le choix de leurs gîtes et/ou de leur nourriture.

6.3. Destruction directe

La destruction volontaire des Chiroptères et malheureusement une partie des interventions chez les particuliers ou dans les collectivités font suite à un échec pour éliminer les individus. Les moyens les plus divers &emdash; balais, coup de torchon, fumée, poison, etc. &emdash; sont utilisés.
Nous citerons un cas de destruction volontaire de plus d'une trentaine de Chiroptères en hibernation dans une cavité : chacun des animaux avait été immolé par le feu.

7. Conclusion

7.1. Perspectives de recherche

Jusqu'à aujourd'hui, nous avons utilisé le moyen de prospection le plus ancien : contact visuel avec l'animal sans même l'intrusion de Þlets de capture. Or le progrès technique &emdash; détecteur d'ultrasons &emdash; nous offre la possibilité d'accéder à de nouvelles connaissances telles les rythmes d'activité, de chasse… et « font de cette technique un outil très précieux, qui permet des inventaires rapides sans dérangement des animaux et une hiérarchisation des milieux les plus fréquentés par les chauves-souris en chasse. Elle permet également la recherche des gîtes de mise bas, en suivant les transits d'animaux au crépuscule et à l'aube. Malheureusement toutes les espèces ne sont pas identiÞables (différenciation impossible entre Grand et Petit Murins, Oreillards brun et gris, Murins de Daubenton et de Bechstein dans certains cas). L'identiÞcation jusqu'à l'espèce est possible pour 85 % des individus contactés. Les méthodes classiques (capture au Þlet et recherche de sites) restent donc complémentaires » (BARATAUD et al. 1997).
Les recherches sur les sites de reproduction devront, en particulier, être effectués systématiquement sur les églises : une trentaine seulement ont été prospectées sur les quatre cents environ que compte l'Anjou. Il est très rare qu'elles ne soient pas utilisées d'une manière ou d'une autre par les Chiroptères.
La recherche de nouvelles espèces est possible sur notre département :
• Le Minioptère Miniopterus schreibersi observé une fois en Sarthe (POURREAU, comm. pers.) ;
• Le Petit Murin Myotis blythi observé par BEAUCORNU en 1965 à Saint-Georges-du-Bois. L'auteur de la découverte écrivait : « Il ne faut pas croire cependant que cette espèce soit assez commune dans l'Ouest, près de 40 000 Myotis myotis vivants nous sont passés entre les mains pour un seul Myotis blythi ! » (BEAUCORNU 1969).
• Une nouvelle espèce de Pipistrelle : en effet sous la même dénomination Pipistrellus pipistrellus se cachent deux espèces jumelles identiÞables par leurs vocalisations (JONES & VAN PARIJS 1993), leurs génomes (BARRAT et al. 1997), leurs comportements (BARLOW & JONES 1997) et leur écologie (BARLOW 1997, PARK et al. 1997) qui diffèrent. Mais il faut attendre leurs baptêmes avant de se lancer à leur recherche et leur reconnaissance.
• La Noctule de Leisler Nyctalus leisleri est présente dans les régions limitrophes.
• La Grande Noctule Nyctalus lasiopterus, cette grande migratrice, a été trouvée en France quatre fois dans ce siècle dont une fois en Bretagne (1987) et une fois en Charente-Poitou (1998).
Des études scientiÞques sur l'utilisation des cavités, la fréquence des déplacements en hiver, la superÞcie des territoires de chasse, le régime alimentaire, etc. sont à planiÞer.
Actuellement nous avons réalisé deux études : l'une sur l'heure de sortie de la Pipistrelle commune (PAILLEY 1992a) et l'autre sur la position des Chiroptères en hibernation (PAILLEY & GUINARD 1990).

7.2. Mesures de protection à mettre en œuvre et/ou à développer

7.2.1. Pour la protection des ponts

Notre travail en Maine-et-Loire a permis de classer les 7 ponts, abritant au moins 6 Chiroptères, en ZNIEFF de type I en 1995 mais comme nous l'avons déjà indiqué 3 de ces ponts ont été entièrement remaçonnés.
Aussi nous avons commencé à intervenir auprès des services de la DDE6 et des différents services communaux pour leur rappeler les termes de la loi du 10 juillet 1976 qui fait des Chiroptères des espèces protégées ainsi que leurs gîtes : par exemple en exigeant la conservation des fentes ou la pose de briques mécaniques en tant que site de substitution. C'est une action à poursuivre.
Déjà la Fédération limousine pour l'étude et la protection de la nature a édité une plaquette intitulée « Rénover les ponts et protéger les chauves-souris »7.
En Loire-Atlantique, l'entreprise Cofiroute a fait appel à l'Association d'étude et de protection des Mammifères des Pays de la Loire « Erminea » pour aménager un nichoir à Chiroptères sous un pont autoroutier8.

7.2.2. Pour la protection générale des sites

Les premières mesures de protection en Maine-et-Loire ont été la mise en ZNIEFF de 40 sites dont 7 ponts.
Cinq cavités ont été retenues au niveau national pour les sites « Natura 2000 » et un plan de mesures se met en place pour « gérer » ces 5 cavités.
Les actions « SOS chauves-souris » sont de l'ordre d'une centaine, surtout pour des problèmes de cohabitation avec les humains utilisateurs des locaux (maisons, piscines, hôpitaux, châteaux, musées, hôtels…). Nous renseignons les personnes au téléphone et quand besoin est nous nous déplaçons sur place et ce bénévolement (PAILLEY 1986).
Quelques conférences sur les Chiroptères ont déjà été effectuées sur le département mais mériteraient d'être intensiÞées.
La réalisation d'une plaquette régionale d'information permettrait de vulgariser pour un large public les connaissances « basiques » sur les Chiroptères aÞn de faire disparaître encore trop d'a priori négatifs sur ces petits Mammifères.
Pour la « Nuit européenne de la Chauve-souris » il serait souhaitable de mieux en informer le public et de multiplier les lieux d'animation.
Un partenariat avec les instances suivantes mériterait d'être développé : la DDE, l'ONF, le parc naturel régional Loire-Anjou-Touraine, les municipalités, les Monuments historiques, les pompiers, les services vétérinaires…


Remerciements

Nous remercions toutes les personnes qui ont bien voulu nous accompagner et qui nous accompagneront encore sous terre et tout particulièrement : I. BROCHARD, A. BRODIE &emdash; qui nous a quittés &emdash;, J.&endash;Fr. CORNUAILLE, Br. GAUDEMER, Y. GUENESCHAU, O. LOIR, L.-M. PRÉAU, J. THARRAULT, B. TILLY.
Merci également à Jean-Do VRIGNAULT pour la réalisation du fond de carte du département.


Bibliographie

ALLIOT B., GIMEL O., 1996. &emdash; Prédation du Faucon pèlerin Falco peregrinus sur des chauves-souris. Grand-Duc, 48 : 30.
BARATAUD M., CHAMARAT N., MALAFOSSE J.-P., 1997. &emdash; Les chauves-souris en Limousin, biologie et répartition : bilan de 12 années d'étude. Coll. Découverte de la nature en Limousin, FLENA et GML, Limoges, 54 p.
BARLOW K. E. 1997. &emdash; The diets of two phonic types of the bat Pipistrellus pipistrellus in Britain. J. Zool.. London, 243 (11) : 597-609.
BARLOW K. E., JONES G., 1997. &emdash; Differences in songþight calls and social calls between two phonic types of the vespertilionid bat Pipistrellus pipistrellus. J. Zool. London, 241 : 315-324.
BARRAT E. M., DEAVILLE R., BURLAND T. M., BRUFORD M. W., JONES G., RACEY P. A., WAYNE R. K., 1997. &emdash; DNA answers the call of pipistrelle bat species. Nature, 387 : 138-139.
BAUER K., 1956. &emdash; Schleiereule Tyto alba als Fledermausjäger. J. F. Orn., 97 : 335-340.
BEAUCORNU J.-Cl., 1965. &emdash; Captures de Myotis blythi oxygnathus (Monticelli, 1885) en Anjou et en Touraine ; conÞrmation de sa présence en Corse. Mammalia, 29 : 54-60.
BEAUCORNU J.-Cl., 1969. &emdash; Données nouvelles ou récentes sur la faune des micromammifères de l'Ouest. Bull. Soc. Sc. Nat. Ouest France, 66 : 1-19.
BERSUDER D., KAYSER Y., 1988. &emdash; La prédation des Chiroptères par la Chouette effraie Tyto alba en Alsace et dans les contrées limitrophes. Ciconia, 12 (3) : 135-152.
BLANT M., 1992. &emdash; Guide pour la protection des chauves-souris lors de la rénovation des bâtiments. Cahier de l'environnement n° 169. OfÞce fédéral de l'environnement, Berne, 30 p.
BRAULT J.-P., 1994. &emdash; Les populations de Myotis emarginatus en région Centre. Actes des Ves rencontres nationales Chauves-souris, 1993. SFEPM : 112-118.
BRITTON-MELLA M. C., 1982. &emdash; Les Chauves-souris du bas Languedoc : clés de détermination et leur application à la reconnaissance des restes osseux des Chiroptères dans les pelotes de réjection de Rapaces. Trav. Lab. Écol. Vertébrés, Montpellier, 41 p.
CHAMARAT N., 1990. &emdash; Occupation des ponts par les chauves-souris. Mesures de protection en Limousin. Epops, 2 : 27-33.
FAYARD A., SAINT-GIRONS M.-Ch., DUGUY R. (coord.), 1984. &emdash; Atlas des Mammifères sauvages de France. Éd. Société française pour l'étude et la protection des Mammifères, Paris, 300 p.
FAUGIER C., 1984. &emdash; Le Rhinolophe euryale in FAYARD A., SAINT-GIRONS M.-Ch., DUGUY R. (coord.). &emdash; Atlas des Mammifères sauvages de France. Éd. Société française pour l'étude et la protection des Mammifères, Paris : 64-65.
JONES G, VAN PARIJS S. M., 1993. &emdash; Bimodal echolocation in pipistrelle bats : are cryptic species present? Proc. R. Soc. London B 251 : 119-125.
LÉGER F., 1987. &emdash; Chiroptères dans les pelotes d'Effraye en Lorraine. Arvicola 4 (1) : 5.
LIBOIS R., WAECHTER A., 1991. &emdash; La Fouine Martes foina, Erxleben 1777. Enc. Carnivores de France n° 10, SFEPM, 53 p.
MALAFOSSE J.-P., 1988. &emdash; Caractéristique d'occupation des ponts par les Chiroptères dans le nord-est creusois. Annales Biologique du Centre, 3 : 121-126.
MASSON D., SAGOT F., 1985. &emdash; Groupe de travail Chiroptères. Synthèse des observations réalisées entre mars 1984 et février 1985. Lutreola, 2 : 13-27.
MASSON D., SAGOT F., 1987. &emdash; Synthèse des observations sur les Chiroptères du sud-ouest de la France : mars 1985 à février 1986. Lutreola, 3 : 25-42.
MENU H., POPELARD J.-B., 1987. &emdash; Utilisation des caractères dentaires pour la détermination des Vespertilioninés de l'Ouest européen. Le Rhinolophe, 4, 88 p.
NOBLET J.-Fr., BERTHOUD G.,1981. &emdash; Comment reconnaître les Chauves-souris de France. SFEPM, Grenoble, 35 p.
PAILLEY P., 1986. &emdash; Sauvetage d'une colonie de Noctules Nyctalus noctula à Angers. Bull. Erminea, 2 : 8.
PAILLEY P., 1992a. &emdash; Heure de sortie de la Pipistrelle commune Pipistrellus pipistrellus à Angers-49. Bull. synthèse Mauges-Nature, 3 : 117-119.
PAILLEY P., 1992b. &emdash; Les Chiroptères sous les ponts du Maine-et-Loire : premiers résultats. Bull. Erminea, 14 : 7-11.
PAILLEY P., 1995. &emdash; Le Rhinolophe euryale Rhinolophus euryale (Blasius 1853). Espèce très rare dans le Grand Ouest de la France. Bull. Soc. Et. Sci. de l'Anjou, n° spécial 15 : 143-144.
PAILLEY P., GUINARD M., 1990. &emdash; Premiers résultats sur l'hibernation des Chiroptères dans le Maine-et-Loire. Bull. Erminea, 11 : 4-8.
PAILLEY M., PAILLEY P., 1991. &emdash; Atlas des Mammifères sauvages du Maine-et-Loire. Bull. synthèse Mauges-Nature, 2 : 112 p.
PAILLEY M., PAILLEY P., 1996. &emdash; Les Chiroptères dans le régime alimentaire de la Chouette effraie Tyto alba en Maine-et-Loire. Crex 1 : 41-43.
PARK K. J., ALTRINGHAM J. D., JONES G., 1997. &emdash; Assortative roosting in the two phonic types of Pipistrellus pipistrellus during the mating season. Proc. Roy. Soc. Lond. B 264 (1381) : 623-628.
ROLANDEZ J.-L., PONT B., 1986. &emdash; Occupation des ponts par les Chiroptères : premiers résultats de prospection. Bièvre, 8 (1) : 17-24.
ROUÉ S. G. (coord.), 1998. &emdash; État des connaissances, plan de restauration sur les Chiroptères. Ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement, DIREN de Franche-Comté, sous la direction de la CPEPESC Franche Comté et de la SFEPM, 24 p.
RUPRECHT A. L., 1979. &emdash; Bats (Chiroptera) as constituents of the food of Barn owls Tyto alba in Poland. Ibis, 121 : 489-494.
SCHILLING D., SINGER D., DILLER H., 1986. &emdash; Guide des Mammifères d'Europe. Delachaux & Niestlé, Neuchâtel, 280 p.
SCHOBER W., GRIMMBERGER E., 1991. &emdash; Guide des chauves-souris d'Europe : biologie, identiÞcation, protection. Delachaux & Niestlé, Neuchâtel, 225 p.
SWIFT S. M., RACEY P. A., 1983. &emdash; The residual effects of timber treatments on Bats. Second european symposium on Bat research. Bonn, 21-25 sept. 1983.
UTTENDORFER O., 1952. &emdash; Die Ernährung der Greifvögel und Eulen. Verlag Eugen Ulmer, Stuttgart, 230 p.


1 Société française d'étude et de protection des Mammifères.

2 Institut géographique national.

3 il s'agit là des espaces les plus remarquables soit parce qu'ils sont exceptionnels et qu'y sont présentes des espèces rares ou menacées, soit parce qu'ils sont représentatifs de la diversité des écosystèmes. (ZNIEFF = zone natrurelle d'intérêt faunistique et þoristique).

4 Direction régionale de l'environnement.

5 Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement.

6 Direction départementale de l'équipement.

7 FLEPNA, maison de la nature, 11, rue Jauvion, 87000 Limoges.

8 L'autoroute, le pont et le Murin de Daubenton, Erminea, 11, rue du Maréchal-Foch, 44240 La Chapelle-sur-Erdre.

 

Sommaire du Crex n° 4, 1999