Propos sur quelques plantes rares et
menacées
des Basses Vallées Angevines
par Marie-Claire MARZIO
Résumé : Après un rappel des
principales associations et espèces patrimoniales
récemment mentionnées, il est fait état
de la découverte de quelques stations comportant des
espèces remarquables comme l'Ophioglosse vulgaire, la
Grande Pimprenelle, la Reine des prés, la Scutellaire
hastée, la Nivéole d'été et des
taxons à þoraison plus précoce tels que
le Populage des marais, la Renoncule à feuilles
d'Ophioglosse et quatre orchidées.
Les groupements végétaux
des Basses Vallées Angevines (BVA) sont
maintenant bien connus, grâce aux travaux de D.
BILLIARD en 1979, B. de FOUCAULT en 1984, et surtout plus
récemment de M. DAUDON, qui a réalisé
des suivis botaniques dans le cadre d'opérations
ACNAT1 et
OGAF-Environnement2. On
lira avec intérêt les comptes rendus de ces
études, surtout ceux de 1993 et 1994, notamment pour
la description géographique, géologique,
climatique de ces milieux que nous ne referons pas ici,
ainsi que celle des alliances végétales.
M. DAUDON établit une liste de plantes qu'elle
qualiÞe de
patrimoniales :
Les unes, abondantes, permettent de
déÞnir les trois principales associations
prairiales des BVA :
þ Gratiole ofÞcinale
Gratiola ofÞcinalis
et nanthe Þstuleuse
Oenanthe Þstulosa pour le
groupement qualiÞé de Gratiolo
ofÞcinalis-Oenanthetum Þstulosae (en
abrégé GOF) ;
þ Séneçon
aquatique Senecio aquaticus et
nanthe intermédiaire Oenanthe
silaifolia pour le Senecio
aquatici-Oenanthetum mediae. (SOM) ;
þ Pigamon jaune
Thalictrum þavum et
Guimauve ofÞcinale Althaea
ofÞcinalis pour les mégaphorbiaies.
Un tableau simpliÞé de ces groupements est
présenté dans cet article
(tableau 1).
Écologiquement ces 3 types de groupements ont
en commun d'être inondés, plus ou moins
longtemps selon la topographie.
Les autres sont dites
« remarquables » car
protégées à l'échelon national
ou régional, telle l'Inule des
þeuves Inula britannica, ou
d'intérêt biogéographique, tel le
Butome en ombelle Butomus
umbellatus. La liste de ces taxons avec leur
fréquence d'observation au cours des mois de mai et
juin en 1992 et 1993 (extraite de son rapport de
janvier 1994) constitue le tableau 2.

Cet auteur établit une carte des zones de fort
intérêt botanique et souligne
«
la répartition en mosaïque
de ces zones au sein des BVA, certaines se situant en dehors
du périmètre prioritaire de protection
lié au Râle des genêts. »
Nous les avons reportées sur la carte en annexe
(p. 70).
Un groupe botanique de la LPO, travaillant sur la liste
rouge des plantes armoricaines, donc soucieux de localiser
les plantes menacées, s'est penché plus
particulièrement sur les taxons à
þoraison plus précoce tels l'Orchis
lâche3
Orchis laxiþora ou le Populage des
marais3 Caltha palustris
inféodés aux alliances des prairies
hygrophiles des plaines atlantiques françaises selon
DE FOUCAULT, et mentionnés seulement dans 1 ou 2
relevés (voir tableau 2).
 
En avril 1994 et 1995, une petite équipe sillonne
les chemins des BVA d'abord guidée par de
précieuses informations d'ornithologues, de
collaborateurs du Conservatoire de Brest, et bien sûr
de M. DAUDON, puis au hasard. Le regard attentif sur les
prairies mais aussi les fossés de drainage, les
talus, etc., elle découvre ainsi quelques parcelles
plus ou moins grandes, très dispersées
géographiquement, généralement bien
délimitées par des haies, d'une
étonnante diversité botanique et riches en ces
espèces devenues rares. L'une est située hors
du périmètre des études citées
plus haut, en amont de Juvardeil, une autre est
située à Cantenay-Épinard, les autres
étant dispersées le long du Loir entre
Briollay et Villevêque-Soucelles (voir carte
p. 70) Il s'agit de 3 prairies à SOM
dominant, et de 2 mégaphorbiaies (voir
tableau 1).
La plus intéressante (signalée par A. GENTRIC)
est située en bordure de Sarthe sur des alluvions
issues en partie du Bassin parisien, et est probablement la
plus riche des prairies humides des BVA et sans doute du
Maine-et-Loire, peut-être inestimable
souvenir de ce que fut la diversité
végétale de cette zone. L'inventaire non
exhaustif de cette fraction de bocage inondable, prairies et
fossés inclus a permis de relever
175 espèces de plantes (239 espèces
rencontrées par M. DAUDON en 446 relevés)
parmi lesquelles 4 espèces
d'Orchidacées :
des milliers de pieds de l'Orchis
lâche3 Orchis
laxiþora ;
des centaines de pieds d'Orchis
incarnat3 Dactylorhiza
incarnata ;
une centaine de pieds d'Orchis bouffon
Orchis morio et
d'Orchis
brûlé Orchis ustulata
Comment expliquer une telle concentration, si
localisée, d'Orchidées ? La Nouvelle
Flore de Belgique et du Nord de la France (LAMBINON et
al. 1992) indique pour les 2 premières
«
bas marais, prairies
non amendées, généralement sur sol
plutôt basique
» (ce qui est le cas
en val de Sarthe).
La Grande Pimprenelle
Sanguisorba ofÞcinalis est là
aussi présente, en touffes. De cette belle
Rosacée, de plus en plus rare en val de Loire global,
V. VETVICKA écrit «
elle
était un élément des anciennes prairies
plusieurs fois fauchées dans l'année.
L'usage des engrais artiÞciels a
provoqué le recul rapide de la plante dans les
prairies. »
Tout cela permet donc de penser que ces quelques
hectares ont sans doute échappé aux techniques
agricoles modernes, amendements chimiques ou organiques,
traitements phytosanitaires, et surtout mise en culture.
Il y a donc urgence à sauver cette prairie relique,
qui de plus, abrite des centaines de pieds d'une petite
Ptéridophyte en voie de disparition :
l'Ophioglosse vulgaire3
Ophioglossum vulgatum,
protégée en Bretagne et retenue sur la liste
rouge du Massif armoricain. Entre notre inventaire de 1994
et un suivi en 1995
un remembrement a
été effectué, avec arrachage des haies
et comblement de certains fossés par ailleurs riches
en Populage des marais3
Caltha palustris et en Reine des
prés Filipendula ulmaria. De ces
dernières, BILLIARD écrivait
déjà en 1979, à propos des BVA :
« notons la quasi absence de Caltha
palustris
et presque celle de la
Filipendula
ulmaria. »
Parmi les taxons mentionnés plus haut, l'Orchis
lâche, très raréÞé en
Maine-et-Loire, se trouvait également abondant,
accompagné de la Grande Pimprenelle, dans une
prairie proche du Loir, couvert d'un SOM assez bas,
permettant d'imaginer là aussi un faible amendement
chimique. Cette prairie fut choisie comme but de sortie
botanique grand public, ainsi qu'une mégaphorbiaie
voisine, qui contenait en avril de nombreux pieds de
Populage et de Reine des Prés.
Revisitée en mai, cette dernière apparut
criblée de véritables cratères
où le sol était mis à nu et d'où
le Populage avait dû être
méticuleusement enlevé pied à pied
à la bêche
Quelle déception !
Quelles interrogations ! Cette plante est
considérée comme vénéneuse
à l'état frais car elle renferme une certaine
quantité d'alcaloïdes, telle la
protoanémonine, toxique dont le taux le plus
élevé est atteint au moment de la pleine
þoraison. Un agriculteur-éleveur l'aurait-il
arraché avant la fauche de peur d'empoisonner ses
bêtes ?
ignorant sans doute que
« la toxicité disparaît au
séchage, par transformation de la
protoanémonine en anémonine qui ne
présente aucune toxicité »
(JEAN-BLAIN 1973).
C'est une vigoureuse Renonculacée à þeur
jaune, dépourvue de calice vert, et à feuilles
luisantes, de grande taille et en forme de rein. Elle
annonce le printemps, c'est une plante vivace, et encore
abondante dans l'Anjou oriental proche, mais nous ne l'avons
jamais observée du côté armoricain des
BVA. Outre les fossés entourant la première
prairie décrite, le Populage,
accompagné de la Reine des prés se
trouve en abondance dans une autre mégaphorbiaie
près de Briollay. On peut donc raisonnablement penser
que cette plante a été progressivement
éradiquée des BVA par les agriculteurs, mais
qu'elle était autrefois commune au moins dans le val
de Loir et le val de Sarthe.
La partie des BVA située sur les alluvions plus
acides, apportées du Massif armoricain par la
Mayenne, abrite près de Cantenay-Épinard, une
autre petite réserve botanique puisque 15 au moins
des patrimoniales y ont été recensées,
dont 4 protégées en Pays de la Loire. Ici pas
d'Orchidées, mais quelques belles touffes de
Grande Pimprenelle et de Reine des
prés. Or ce champ est, depuis quelques
années, pâturé par des chevaux, qui en
assurent donc l'amendement naturel !
En bordure, quelques pieds d'Ophioglosse
résistent encore au passage à proximité
des tracteurs. EnÞn une belle station de
Scutellaire hastée3
Scutellaria hastifolia, protégée
également en Pays de la Loire, occupe le talus d'un
fossé voisin. Cette belle Lamiacée, aux
graciles grappes de þeurs ici de couleur bleue, a
été vue en plusieurs endroits, par plaques,
dans la zone s'étendant à l'ouest de
l'île Saint-Aubin, en populations stables depuis
3 ans, mais menacées par une fauche trop
précoce des bermes. Nous l'avions déjà
trouvée en 1993, sous sa forme rose près
d'Écouþant, où elle s'étend
encore, mais est menacée par un pâturage
précoce. Dans ses Quatre Flores de France
FOURNIER indique «
qu'elle jalonne les
voies de migrations des oiseaux
»
rendant sa présence naturelle dans le couloir pour
oiseaux migrateurs que constituent les BVA.
D'autres espèces intéressantes,
patrimoniales (Butome en ombelle, Berle, Renoncule
à feuilles d'Ophioglosse) ou non
(Ratoncule) sont observées en stations
mobiles, car elles proÞtent pour s'installer de toute
brèche faite par l'homme (champ retourné,
chemins défoncés par les tracteurs ou le
passage du bétail), assurant donc leur
pérennité. Ainsi, à Noyant, avons nous
pu admirer, sur une culture de maïs retournée en
1993, plantée de peupliers en 1994, des centaines de
pieds de Jonc þeuri ou Butome en
ombelle3 Butomus umbellatus,
spectaculaire Liliale rose, accompagnés de Grande
Berle Sium latifolium, superbe
Ombellifère mesurant près de 1,50 m. Ces
2 espèces furent détruites en pleine
þoraison par le nettoyage de la jeune peupleraie en
juin 1995 !
La Ratoncule naine3, ou
Queue-de-souris, selon les auteurs, curieuse
Renonculacée, dont les carpelles sont disposés
en épi long et grêle comme « la queue
d'une souris » (d'ou son nom Myosurus
minimus du grec myo,
« souris » ou
« rat », et oura,
« queue ») est souvent observée
dans les ornières ou les champs dénudés
humides notamment dans le val du Loir. Elle abondait dans
une ancienne culture retournée de maïs, lors de
la sortie botanique d'avril.
La Renoncule à feuilles
d'Ophioglosse3, extrêmement rare, et
protégée à l'échelon national,
installée dans une saignée boueuse
tracée par un tracteur près de Soucelles en
1993, a dû essaimer 300 m plus loin sur une autre
aire de sol dénudé, étouffée par
des Pigamons jaunes après avoir
néanmoins germé.
Dans la même prairie s'est installée une autre
plante protégée aussi à
l'échelon national, la Nivéole
d'été3 Leucojum
aestivum. C'est une espèce des milieux
humides (prairies, fossés, bords des
rivières), bulbeuse, haute de 30 à 60 cm,
dont l'inþorescence s'épanouit de mars à
mai. Les þeurs sont groupées par deux à
huit en cyme unilatérale au sommet d'une tige
dressée, comprimée, avec deux arêtes
marquées. Ce serait un taxon nouveau pour l'Anjou
(DANTON et BAFFRAY 1995).
N'ayant pas encore exploré toute leur surface,
nous pensons que les BVA ne nous ont pas encore livré
toutes leurs richesses. Mais d'ores et déjà,
nous estimons que c'est une zone remarquable pour ses
oiseaux mais aussi digne d'intérêt pour sa
végétation. Avec M. DAUDON, nous pouvons
dire : «
les prairies alluviales
concentrent là des espèces
végétales raréÞées
ailleurs en France et représentent ainsi une sorte de
conservatoire in situ des groupements et
espèces remarquables inféodés aux
prairies alluviales. » Elles
méritent que se poursuivent et s'intensiÞent
tous les efforts déjà engagés pour
protéger ces milieux, y compris lorsque c'est
nécessaire en dehors du périmètre
lié au Râle des Genêts, aÞn que ne
disparaissent pas de ces prairies humides les belles
espèces bulbeuses (Orchidées) ou
vivaces (Reine des prés, Grande Pimprenelle,
Populage des marais
), qui les habitent
encore très localement avec une surprenante
abondance.
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VETVICKA V.&emdash; Plantes du bord de l'eau
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2 Opération
groupée d'aménagement foncier
|