Bull. Gr. Angevin Ét. Orn. - LPO Anjou, 1994,
22 (45) : 71-72
Une Rousserolle effarvatte
très étonnante
par Alain GENTRIC
(PDF, 88 ko)
Le 20 mai 1990, lors d'une session de baguage
s'inscrivant dans le cadre du programme
STOC1
, nous avons capturé un passereau dont
l'identification spécifique non seulement n'a pas
été immédiate, mais s'est
révélée par la suite riche en
surprises. Sa structure générale et son bec
fin en particulier indiquaient manifestement un
Sylvidé, mais aucun autre caractère
n'était saillant, en dehors d'un plumage assez
usé de coloration uniforme brun terne pour la
tête et les parties supérieures, et
blanchâtre pour les parties inférieures.
Étions-nous en présence d'une rousserolle
Acrocephalus sp. ? ou d'une hypolaïs
Hippolais sp. ?
Le site retenu pour le programme STOC se trouve sur la
commune de Corné, mais en dehors de la vallée
de l'Authion. C'est un secteur boisé d'une dizaine
d'hectares isolé au sein d'un bocage assez ouvert
mêlant prairies et cultures. Exploité par
différents propriétaires, il présente
une succession de « micromilieux »
allant du fourré à aubépine et
prunellier au taillis de chêne à sous-bois
clair, et héberge un cortège avifaunistique
typique des boisements jeunes : les
éléments les plus abondants en sont la
Fauvette à tête noire Sylvia
atricapilla, le Merle noir Turdus merula, le
Rougegorge Erithacus rubecula, le Pouillot
véloce Phylloscopus collybita, l'Accenteur
mouchet Prunella modularis et le Troglodyte
Troglodytes troglodytes. En lisière sud, une
prairie dégradée avec ronciers et touffes de
saules isolées permet d'ajouter à cette liste
la Fauvette grisette Sylvia communis et
l'Hypolaïs polyglotte Hippolais polyglotta.
Cette description du milieu est utile pour faire comprendre
la difficulté subjective éprouvée par
les observateurs présents (dont certains plutôt
chevronnés
) à envisager
toutes les hypothèses
nécessaires pour conduire une identification
sûre et précise : ce sylvidé que
nous avions en main, loin de toute zone humide, ne
pouvait pas être une Rousserolle effarvatte
Acrocephalus scirpaceus ! Les seules propositions
formulées alors n'étaient cependant
guère satisfaisantes :
la possibilité d'une Rousserolle
verderolle A. palustris en migration, connue pour ses
exigences moins hygrophiles, était contredite par la
mesure de l'aile pliée qui s'avérait trop
courte (64 mm) pour entrer dans la fourchette de 66
à 74 mm indiquée par SVENSSON
(1984) ;
l'éventualité d'une Hypolaïs
polyglotte suffisamment dépigmentée pour ne
présenter aucune nuance de jaune (forme rare mais
documentée depuis longtemps, voir par exemple
WALLACE 1964) était peu
plausible, en regard en particulier de caractères
morphologiques ne convenant pas à cette
espèce, comme un profil trop arrondi, la taille
relative du bec plutôt moyenne et l'absence de sourcil
net.
Les impératifs de l'opération de baguage en
cours nous ont empêchés de prendre toutes les
mesures souhaitables, en particulier de la formule alaire.
L'oiseau a été photographié sous tous
les angles et relâché aussitôt en bonne
santé.
Les clichés obtenus ont alors été
transmis à Philippe J. DUBOIS (PJD), membre du
Comité d'homologation national, qui pouvait en dehors
de tout contexte angevin fournir une appréciation
plus objective sur l'identité de notre oiseau.
Après avoir confirmé qu'il ne s'agissait ni
d'une Hypolaïs polyglotte ni d'une Rousserolle
verderolle pour les raisons évoquées plus
haut, et rejeté l'hypothèse d'une Rousserolle
isabelle A. agricola (absence de sourcil bien
marqué, de gorge blanche bien tranchée, de
calotte roussâtre), PJD élimine
également la Rousserolle des buissons A.
dumetorum au vu de deux critères :
«
le croupion est roux à
roussâtre, tranchant un peu sur le dos, et le centre
des rémiges tertiaires est plus noirâtre que
les bords (l'aile n'apparaît donc pas
concolore) » (DUBOIS, in litt.).
L'identité de l'oiseau surgit alors en
négatif, une fois toutes les espèces voisines
rejetées : c'est une Rousserolle
effarvatte !
Mais PJD continue : « Pourtant des
critères bien visibles sur tes photos sont
troublants :
1. la pointe des plumes de la nuque et de la calotte est
nettement grisée ce qui donne une coloration
brun-gris à ces parties du corps ;
2. le cercle orbital est bien défini ce qui est le
cas chez une « buissons », plus rarement
chez une effarvatte ;
3. la projection primaire est plutôt longue pour une
effarvatte classique ;
4. les parties inférieures sont très
« blanches », voisines de celles d'une
« buissons ». Ceci est
particulièrement net sur les flancs.
Ces 4 points évoqués
« collent » parfaitement avec ceux d'une
Rousserolle effarvatte orientale de la race fuscus.
Pour moi, cela fait peu de doute que l'oiseau capturé
le 20 mai 1990 appartient à cette
race
»
Bigre ! Voilà qui explique - et excuse ! -
le trouble des observateurs angevins et leur
incapacité à poser de suite le bon
diagnostic
mais les propose aussi pour une
« première » française,
cette sous-espèce n'ayant jamais été
mentionnée auparavant !
Et de fait, cette identification subspécifique a
été homologuée par le Comité
d'homologation national (DUBOIS et
le CHN, 1992) qui est resté néanmoins plus
prudent, parlant d'un oiseau
« présentant les
caractéristiques de la race fuscus »
(J.&endash;Y. FRÉMONT, secrétaire du CHN, com.
pers.).
Rappelons que l'aire de répartition de la Rousserolle
effarvatte orientale s'étend à l'est de la mer
Caspienne et comprend aussi le Caucase, la Turquie
orientale, Chypre et le Moyen-Orient. Elle est très
nettement disjointe de l'aire de répartition de la
sous-espèce type scirpaceus, sauf
peut-être en Anatolie centrale et occidentale
où la situation n'est pas encore éclaircie.
Les deux sous-espèces hivernent en Afrique au sud du
Sahara, leurs quartiers d'hiver se chevauchant largement en
Afrique centrale, et la voie de migration de l'Effarvatte
orientale est également empruntée par les
populations sud-orientales de la race type à partir
du Moyen-Orient (CRAMP 1992).
Les genres Acrocephalus et Hippolais sont
connus pour receler les problèmes d'identification
spécifique et subspécifique les plus ardus de
toute l'avifaune du Paléarctique occidental. Dans un
article récent consacré aux trois
espèces voisines de rousserolles, HARRAP
(1989) rappelle que l'Effarvatte orientale a un aspect
général plus proche des Rousserolles
verderolle et des buissons que de la Rousserolle effarvatte
type ; mais il insiste sur les difficultés
d'identification de ces trois espèces,
déclarant même qu' « une
minorité de Rousserolles verderolle et des buissons
sont si semblables à la Rousserolle effarvatte
qu'elles ne sont pas séparables
»
(trad. pers.). Pour cet auteur britannique, projection
primaire, formule alaire, coloration du plumage et des
parties nues ne sauraient, prises séparément,
être des critères absolus, les variations
individuelles entraînant un tel chevauchement entre
les espèces. En particulier, à propos de
l'aspect des rémiges tertiaires, il met en garde
contre une simplification abusive : «
les
tertiaires peuvent être pareillement sombres chez les
trois espèces, finement liserées de la
même couleur que le reste des parties
supérieures. [
] Les Rousserolles des
buissons sont souvent assez uniformes, mais il n'est pas
rare qu'elles présentent aux tertiaires des centres
sombres et, peut-être moins fréquemment, des
liserés pâles bien
délimités » (trad. pers.).
Même si certains jugeront HARRAP d'une prudence
excessive dans ses affirmations, il n'en reste pas moins que
ces espèces et sous-espèces de rousserolles
sont vraiment très proches. À ce jour,
l'Effarvatte orientale n'a encore fait l'objet d'aucune
mention authentifiée dans les îles
Britanniques, pourtant grandes pourvoyeuses de
raretés en tous genres
Faut-il y voir une
preuve supplémentaire de la difficulté de sa
détermination ?
En guise de conclusion
(provisoire ?)
La phénologie de la migration prénuptiale
de la Rousserolle effarvatte en Europe occidentale est bien
connue, son arrivée sur ses quartiers de reproduction
s'étalant de début avril à début
juin. Pour notre part, depuis cet épisode, notre
expérience s'est enrichie des deux observations
suivantes qui illustrent bien le fait qu'en halte
migratoire, l'Effarvatte peut se rencontrer dans des milieux
pour le moins atypiques :
la présence le 26 avril 1993
d'une Effarvatte dans un maquis de cistes sur les pentes
écrasées de soleil du Parc national de
Monfraguë (Espagne) et chantant en plein midi de
concert avec Fauvettes mélanocéphales
Sylvia melano-cephala, passerinettes S.
cantillans et Cochevis de Thékla Galerida
theklae !
la présence le 23 mai 1993 d'un
chanteur de Rousserolle effarvatte, caché dans un
buisson
à nouveau sur le site
« STOC » de Corné !
Observation plutôt rassurante, d'un certain point de
vue
Il n'empêche que l'Effarvatte pâlichonne de 1990
était et restera bien troublante !
Bibliographie
CRAMP, S. (Ed.), 1992.- The
Birds of the Western Palearctic. Vol. VI. Oxford
university Press.
DUBOIS, Ph., et le C.H.N., 1992.-
Les observations d'espèces soumises à
homologation nationale en France en 1991. Alauda,
60 : 199-221.
HARRAP, S., 1989.- The difficulties
of Reed, Marsh and Blyth's Reed Warbler identification.
Birding World, 2 (9) : 318-324.
SVENSSON, L., 1984.-
Identification Guide to European Passerines. Third
edition. British Trust for Ornithology.
WALLACE, D. I. M., 1964.- Field
identification of Hippolais warblers. British Birds,
57 : 282-301.
1 Suivi temporel
d'oiseaux communs, programme national géré par
le Centre de recherche sur la biologie des populations
d'oiseaux (CRBPO) et visant à établir les
niveaux d'abondance et les tendances démographiques
des espèces les plus communes (retour).
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