Note sur l'invasion
de Bec-croisés des sapins Loxia curvirostra
durant l'été et l'automne 1990
dans le département de Maine-et-Loire

par Gilles MOURGAUD

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Le Bec-croisé des sapins, oiseau erratique par excellence, est connu pour effectuer de grands déplacements lors des années de disette. Il est grand consommateur de graines d'épicéas et son cycle biologique dépend étroitement de la fructification de cet arbre, qui n'intervient de façon abondante que tous les deux à cinq ans. Les bec-croisés sont donc amenés à effectuer des déplacements de plus ou moins grande ampleur vers des zones productrices. Ces mouvements qui présentent parfois les caractéristiques de véritables invasions peuvent s'expliquer par la combinaison de la dynamique des populations - qui a pu entraîner localement un fort accroissement des effectifs - et du retour cyclique d'années à mauvaise fructification (DEJONGHE 1984 et 1991).
Ces invasions, originaires du nord et de l'est de l'Europe atteignent périodiquement toute l'Europe occidentale dont l'ouest de la France. Les dernières invasions notables en France remontent à 1982, 1984 et 1985 (VILLERS 1990).
En 1990, une invasion massive de Bec-croisés des sapins est signalée dans tout l'ouest de l'Europe dès le mois de juin.

En juin et juillet, l'espèce apparaît un peu partout en France et l'on peut parler réellement d'invasion en août. Plusieurs milliers d'oiseaux sont alors signalés.
Cette invasion, d'ampleur nettement supérieure à celle de la précédente décennie, dure jusqu'à mi-octobre. 1 560 individus sont dé-nombrés au passage du 27 septembre au 13 octobre à Leffrinckoucke près de Dunkerque (VILLERS 1991).
Ensuite, le mouvement se ralentit nettement et l'hivernage est constaté dans de nombreuses régions.

Cette invasion a donné lieu à de nombreuses observations dans le département. 56 données sont recueillies de juin 1990 à mai 1991.
En début de période, le mouvement est peu ressenti. Seulement 3 données sont collectées de juin à août, avec notamment une troupe de 40 oiseaux le 30 août dans le massif forestier de Nuaillé-Chanteloup.
En septembre, l'espèce est régulièrement observée sur ce même site et près de Tiercé.

- 25/6 : environ 12 en forêt de Chandelais ;
- 17/7 : 1 en vol à la Fardelière près de Tiercé ;
- 30/8 : environ 40 en lisière sud de la forêt de Nuaillé/Chanteloup-les-Bois ;
- 6/9 : 4 dans un bois de pins à la Fardelière/Tiercé ;
- 7/9 : 3 dans les Landes de Gentil/Chanteloup-les-Bois ;
- 10/9 : au moins 1 dans les landes des Allards/Soucelles ;
- 27/9 : au moins 2 à la Fardelière/Tiercé ;
- 14/10 : 4 en vol au lac de Maine/Angers ;
- 30/10 : 1 de passage en vallée de la Tau/Le Mesnil-en-Vallée.

À la mi-octobre, on assiste à l'installation durable de petits groupes sur des sites favorables, riches en conifères.

• Massif forestier de Nuaillé-Chanteloup

- 10/10 : 5 individus (2 mâles adultes, 2 femelles, 2 immatures) viennent s'abreuver dans une flaque d'eau en bordure de l'étang des Noues/Cholet à 10 h 30 ; 3 sont revus à 13 h 30 ;
- du 16/10 au 18/11, de 13 à 15 in-dividus sont observés à plusieurs re-prises dans le même secteur ;
- de novembre au 17/2, quelques individus sont régulièrement vus dans les conifères proches du centre hippique de l'étang des Noues ;
- dans le secteur des Landes de Gen-til/Chanteloup-les-Bois, 4 à 7 oiseaux sont notés tout l'hiver ; le 31/3, 3 fe-melles sont encore notées sur ce site ;
- la dernière observation concerne 3 individus observés le 14/4 près de l'étang de Péronne/Chanteloup-les-Bois.
Ce massif forestier comporte de nombreuses plantations de résineux et l'Epicéa de Sitka Picea sitchensis en est l'espèce dominante.

• Parc de Chaudron -en-Mauges

Le 4/11, 8 individus sont observés. Ce parc est riche en conifères âgés (pins, Épicéas de Sitka) et n'a pas été suffisamment prospecté.

• Parc du lycée agricole du Fresne/Sainte-Gemmes-sur-Loire

Une troupe de 11 oiseaux séjourne dans le parc du 25/10 au 15/12. Des mouvements sont constatés entre ce parc et celui du Château Brillant, distant de moins de 1 km. L'espèce est le plus souvent vue sur les Pins laricios Pinus nigra laricio.
En janvier, 2 couples sont présents. Des offrandes sont observées à plusieurs reprises entre mâle et femelle. Le 23/1, un mâle est vu transportant une plume. Il faut rappeler que l'espèce niche très tôt, parfois au cœur de l'hiver, dès lors que les ressources alimentaires sont suffisantes.
À partir du 25/1, un seul couple est présent. Le dernier contact concerne un mâle chanteur le 19/2.

• Autres sites

Durant cette période, 12 individus sont vus en vol le 15/11 au-dessus de la clinique Saint-Martin à Angers. Le 8/12, des cris sont entendus près de l'étang de Chevigné.

• Forêt de Chambiers

L'essentiel des données provient du secteur de la Table au Roy (croisement D 197 et D 59) au sud de Durtal. 19 oiseaux y sont vus le 12/1.

En février et mars, les effectifs oscillent entre 5 et 13 individus. Des chants et des offrandes sont notés à plusieurs reprises.
En avril, 7 individus sont vus le 4. Ensuite, l'espèce est contactée 1 500 m au sud, près de l'Étoile Saint-Gilles avec 1 couple le 10/4 et 1 individu le 11/4 en vol.
L'espèce est rencontrée sur les Pins sylvestres Pinus sylvestris et Pins noirs P. nigra.

• Forêt de Pont-Ménard

En février, moins de 10 le 17. En mars, 1 ou 2 individus du 14 au 31/3 avec l'observation de 2 sujets houspillant un Autour des palombes Accipiter gentilis le 14/3 dans le bois au Moine.

• Forêt de Chandelais

Une donnée de 15 individus le 15/11.

• Forêt de La Breille-les-Pins

En mars, 4 individus le 10. Ce site fournit la donnée la plus tardive avec 1 couple le 11/5.

• Forêt de Milly

Deux données de novembre avec 4 le 1/11 et 6 en vol le 11/11.

Au vu de ces données, l'hivernage pourrait concerner une cinquantaine de bec-croisés. Cet effectif est cependant sans doute largement sous-estimé tant le département de Maine-et-Loire compte de massifs forestiers et de parcs boisés ; mais il est bien difficile de tout prospecter.
La nidification n'a pas été mise en évidence mais a pu très bien passer inaperçue. Il faut signaler qu'à la suite de précédentes invasions, l'espèce a niché dans les départements limitrophes, en 1987 dans la Mayenne (DESMOTS et HELSKENS 1991 : 154) et en 1988 dans la Sarthe (LAPOUS 1991 : 154).

Récemment, l'espèce fut notée à la fin d'octobre 1989 en forêt de Leppo et le 5/4/87 en forêt de Pont-Ménard (Bull. Gr. Angevin Ét. Orn. n° 44 : 40 et n° 42 : 44).
Le précédent mouvement important remonte à 1983-1984 et donna lieu à 21 données recueillies du 8/6/83 au 19/5/84 (Bull. Gr. Angevin Ét. Orn. n° 38 : 51).
Auparavant, deux autres invasions furent signalées :
- en 1972-1973 où de nombreuses troupes furent observées à Angers et ses environs : de 2 à 25 oiseaux du 17/11 au 8/3 au parc du lycée du Fresne et 18 le 2/12 au parc de la Garenne (Bull. Gr. Angevin Ét. Orn. n° 11 : 46-47) ;
- en 1962 et surtout en 1963 où l'espèce fut fréquemment remarquée dans la région d'Angers et sur un site du Baugeois (BEAUDOIN 1963, ÉRARD 1964).

Bibliographie

BEAUDOIN, J.-C., 1963. - Notes sur l'avifaune de Maine-et-Loire. Oiseaux de France, 13 (39) : 27-53.

DEJONGHE, J.-F., 1984. - Les Oiseaux de montagne. Le Point Vétérinaire. Maisons-Alfort.

DEJONGHE, J.-F., 1991. - Bec-croisé des sapins in YEATMAN-BERTHELOT, D. - Atlas des oiseaux de France en hiver. S.O.F. Paris : 40-41.

DESMOTS, D., HELSKENS, B., 1991. - Les Oiseaux de la Mayenne. Mayenne-Nature-Environnement. Éditions Rives Reines. Laval.

ÉRARD, C., 1964. - L'invasion de Becs-croisés Loxia curvirostra en France en 1963. Alauda 32 (2) : 105-128.

LAPOUS, E., 1991. - Bec-croisé des sapins in Les Oiseaux nicheurs de la Sarthe. Gr. Sarthois Orn. Le Mans : 154.
VILLERS, P., 1990. - Le coin des branchés. L'Oiseau magazine, n° 21 : 50-51.

VILLERS, P., 1991. - Le coin des branchés. L'Oiseau magazine, n° 22 : 50-51.