Bull. Gr. Angevin Ét. Orn. - LPO Anjou, 1994, 22 (45) : 45-53

Recherches sur la biologie
de l'Outarde canepetière Tetrax tetrax
dans le canton de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire)
en 1993-1994

par Christophe JOLIVET
(illustrations de Philippe PONDAVEN)

(PDF, 1,2 Mo)

Outarde canepetière Tetrax tetrax par Philippe PONDAVEN

Élément spectaculaire de l'avifaune migratrice nicheuse en Maine-et-Loire, l'Outarde canepetière est l'une des espèces les plus menacées de disparition dans notre département. L'effectif demeure très faible et l'aire de répartition angevine, après s'être fortement contractée, ne correspond plus qu'à une surface de 1 500 ha. Cet article n'aborde pas les moyens envisageables pour assurer la sauvegarde de l'espèce mais a pour objectif de faire le point sur l'évolution de la population angevine de Canepetières et sur les recherches menées sur la biologie durant les deux dernières périodes de reproduction (1993 et 1994).
Les prospections sur le terrain sont le fait de Jean-Claude BEAUDOIN, Alain BLIN, Mickaël BLOND, Thierry PRINTEMPS, Thierry ROGER et de l'auteur (JOLIVET 1993 et inédit).

1. Situation géographique

Aux confins de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou, le secteur à outardes se situe, pour l'essentiel de sa surface, dans le canton de Montreuil-Bellay, le reste se prolongeant en limite nord des départements voisins des Deux-Sèvres et de la Vienne (cf. carte 1). D'une superficie de 1 500 ha, le secteur s'inscrit dans un rectangle de cinq kilomètres par dix et se divise en trois sites peu éloignés les uns des autres et séparés par des limites géographiques nettes (cf. carte 2) : la champagne de Méron (650 ha sur la commune de Montreuil-Bellay), la plaine de Douvy (500 ha sur les communes d'Épieds, de Pouançay et de Saint-Léger-de-Montbrillais) et enfin la colline de Coulon (350 ha sur les communes d'Antoigné et de Saint-Martin-de-Sanzay). La plaine de Douvy et la champagne de Méron constituent un véritable prolongement, en Maine-et-Loire, des vastes plaines céréalières du Poitou. Avec les espaces découverts du canton de Doué-la-Fontaine, la physionomie paysagère de ces deux sites paraît unique en Anjou. Les vues sont lointaines et les échelles de vision extrêmement élargies dans ce paysage de plaine très ouvert d'où la végétation arborée reste pratiquement absente. Si l'on considère également les caractéristiques pédologiques de ces plaines, aux sols très séchants, peu profonds et riches en cailloux calcaires, on ne peut s'étonner de la présence de l'Outarde canepetière, oiseau à l'origine inféodé aux grands espaces découverts, steppiques du sud et de l'est de l'Europe.


Carte 1. Localisation du secteur d’étude.

Carte 1. Localisation du département de Maine-et-Loire.

Carte 1. Localisation du secteur d’étude.


Carte 2. Délimitation des 3 sites retenus.

Cliquez sur la carte 2 (délimitation des 3 sites retenus) pour l’agrandir dans une autre fenêtre

2. Évolution récente des effectifs

Cette analyse s'appuie sur les recensements réalisés de 1977 à 1994 par le Groupe Angevin d'Études Ornithologiques/LPO Anjou. Les résultats en sont présentés dans le tableau 1 ci-dessous.
Durant la période 1977-1994, l'effectif est tombé de 50 mâles chanteurs lors du premier recensement à 20 en 1994. La diminution atteint ainsi 60 % de l'effectif recensé sur le terrain en 1977. Cependant, ce déclin paraît sous-estimé car la colline de Coulon n'était pas connue initialement et la plaine de Douvy n'avait pas été prospectée dans son ensemble.
On peut donc raisonnablement estimer l'effectif angevin à 65-70 mâles chanteurs de Canepetières en 1977 (BEAUDOIN, com. pers.).
Du tableau 1, il ressort une disparition presque complète des colonies de Canepetières du secteur de Doué-la-Fontaine, phénomène rapide puisque, dès 1983, aucun mâle chanteur n'y est plus repéré (in BEAUDOIN et al. 1991 : 25). Le relatif éloignement de ce secteur par rapport à la population d'Outardes canepetières du Poitou-Charentes peut expliquer qu'une transformation du milieu agricole, telle une « …diminution des cultures fourragères et céréalières au profit de pépinières, de fleurs d'ornement et du maïs. » (BEAUDOIN 1985), n'ait pas favorisé la reproduction de cette population déjà très fragilisée et qu'elle ait accéléré sa disparition (cultures induisant une fréquentation humaine accrue du site…). Depuis 1977, il s'est donc produit une contraction vers le sud-est de l'aire de distribution des Canepetières en Anjou. La réapparition de l'espèce en 1994 correspond à la présence d'un mâle chanteur sur une jachère dans le secteur de Doué (GUYOMARC'H, com. pers.). En l'état actuel des connaissances, même s'il s'agit d'une note d'espoir, considérons cette observation comme anecdotique.

Tableau 1. Nombre de mâles chanteurs de 1977 à 1994.

Le secteur de Montreuil-Bellay accueille depuis 1983 la totalité ou presque de l'effectif. Lui aussi connaît un déclin prononcé : la champagne de Méron et la plaine de Douvy comptent 37 mâles chanteurs en 1977 et en 1982. Toutefois, la méconnaissance du dernier site a probablement induit une sous-estimation de son effectif en 1977. Par conséquent, nous pouvons estimer le nombre initial de mâles sur les terres de champagne à une cinquantaine. Or, en 1994, le décompte en fait apparaître vingt ! La régression du nombre de mâles s'est même aggravée depuis 1982 : la vitesse de diminution des effectifs a triplé, passant d'une baisse du nombre de mâles chanteurs d'environ 10 % de 1977 à 1982 à 36 % de 1982 à 1987 et à 35 % de 1987 à 1992. Néanmoins, il convient de distinguer les trois sites.

2.1. Champagne de Méron

Bastion actuel de l'espèce en Maine-et-Loire, la champagne de Méron concentre 16 mâles chanteurs. L'évolution de l'effectif sur ce site paraît marquée par deux phénomènes opposés : d'abord un fort déclin de 1977 à 1987 (d'environ les deux tiers) puis une remontée progressive, confirmée en 1993 et 1994. Il est difficile d'apporter des explications satisfaisantes à la diminution constatée de 1977 à 1987. Selon BEAUDOIN (1985), la superficie utilisée par les Canepetières paraît s'être réduite d'environ 200 ha, soit un peu plus de 20 % de la surface apparemment occupée en 1977. Cette contraction résulte de l'abandon des cantons situés au sud de la N 147 et dans l'ancien camp militaire américain. La disparition de l'élevage ovin depuis 1979, principale forme de mise en valeur de la partie non industrialisée de ce camp désaffecté, constitue très probablement la cause fondamentale de la disparition des cantons de Canepetières : la végétation plus haute et dense transforme complètement la physionomie du camp. Cet abandon du pâturage ovin et le développement simultané d'activités industrielles et de loisir depuis les années quatre-vingt peuvent expliquer cette désertion de l'ancien camp militaire, où se cantonnaient pourtant cinq mâles en 1977 !

2.2. Plaine de Douvy

En 1982, la plaine de Douvy révèle des densités d'outardes exceptionnelles eu égard à sa localisation en limite nord-ouest de répartition de l'espèce. Néanmoins, en 1987, le déclin paraît considérable puisque l'effectif a diminué de 45 % par rapport au recensement précédent. En 1992, l'espèce y semble même au bord de l'extinction car deux mâles seulement sont repérés, mais distants de plus de trois kilomètres ! La remontée observée en 1993 se confirme en 1994 (4 mâles sur la partie occidentale de la plaine). Les causes de diminution de l'effectif jusqu'à 1992 sont mal cernées. La disparition très marquée de l'élevage a probablement joué un rôle important en réduisant le caractère favorable du site pour l'installation des places de chant des mâles et la nidification des femelles. Ces surfaces soustraites à l'élevage ont été converties en tournesol, peu favorable à la Canepetière. La plaine de Douvy présente également deux particularités d'occupation du sol par rapport à la champagne de Méron : les petits pois et les melons. Ces deux cultures, en fort développement depuis 1990, exigent des interventions humaines très fréquentes (semis, traitements chimiques, récolte…) qui peuvent constituer une source de dérangement très accentué pour l'oiseau (BOUTIN, com. pers.). Il est donc possible que le déclin très rapide des Canepetières, observé entre 1987 et 1992, soit dû - au moins en partie - à l'extension de ces nouvelles cultures qui induisent une vitesse très élevée de transformation des zones traditionnellement occupées par l'espèce.

2.3. Colline de Coulon

Oscillant entre 4 et 6 mâles chanteurs, l'effectif de Canepetières de la colline de Coulon est demeuré stable de 1978 à 1993, mais aucun mâle n'a été repéré en 1994. En l'état actuel des connaissances, aucune hypothèse ne peut être avancée pour expliquer cet abandon subit. À titre d'indication, un oiseau en plumage femelle a quand même été repéré le 19 mai, près d'une jachère et d'une culture de luzerne.

3. Biologie de reproduction

3.1. Distribution spatiale des mâles

La distribution spatiale des mâles nuptiaux ne sera analysée que pour les années 1993 et 1994 (nombres d'oiseaux identiques) et pour un seul site : la champagne de Méron, où les densités apparaissent remarquables (2,5 mâles sur 100 ha).
D'emblée, remarquons l'absence quasi totale de mâles chanteurs sur le camp militaire désaffecté. Les observations montrent qu'un ou deux oiseaux, en place sur des parcelles agricoles, effectuent des incursions dans cette friche herbacée, sans que cela se rapporte à un territoire en tant que tel. Il peut s'agir d'une partie du territoire pour les mâles concernés. Sur l'espace voué aux activités agricoles, les mâles d'outardes se localisent essentiellement sur les jachères et les jeunes semis de tournesol, aux endroits où la végétation demeure peu élevée. Les jachères représentent des lieux privilégiés de parade pour les mâles, qui y trouvent à la fois des emplacements de chant dégagés, des couverts herbacés protecteurs, de la nourriture abondante… Les jachères à couverts végétaux spontanés conviennent particulièrement bien à l'installation des mâles chanteurs, en raison de la diversité intraparcellaire de la végétation (alternance de zones rases et de zones denses).
L'analyse de la carte 3 met en exergue la stabilité des mâles entre les deux années 1993 et 1994, sur la champagne de Méron. Il est préférable de ne retenir que ces deux années pour juger de la stabilité des oiseaux parce le nombre de mâles est identique : en fait, les territoires se localisent essentiellement sur des jachères à couvert végétal spontané qui ont été reconduites de 1993 en 1994. Il est probable que le gel de parcelles agricoles durant plusieurs années consécutives confère à la champagne de Méron un intérêt particulier : les jachères non rotationnelles correspondent à des éléments fixes du paysage, au même titre que les chemins herbeux et la friche herbacée de l'ancien camp américain. Sur la partie occidentale de la plaine de Douvy, qui accueille maintenant quatre mâles nuptiaux, les constatations paraissent similaires.

Carte 3. Localisation des mâles chanteurs d’Outarde canepetière en 1993 et 1994 sur la champagne de méron.

Cliquez sur la carte 3 (localisation des mâles chanteurs sur Méron) pour l’agrandir

L'étude approfondie de 1993 met en avant la forte proportion - 60 % - de distances inférieures ou égales à 300 m entre les mâles. En 1994, les mêmes chiffres peuvent être avancés : il est possible qu'une proportion élevée de jachères fixes, lieux d'installation préférentielle des mâles, sur un territoire d'une superficie moyenne (650 ha) contribue à rendre ces distances interindividuelles moins importantes qu'ailleurs. Néanmoins, sur la champagne de Méron, les mâles d'outardes ont toujours été rapprochés les uns des autres, comme le signalait déjà BEAUDOIN (1979) en comparant ce site avec la plaine des Douces/Doué-la-Fontaine. Quoi qu'il en soit, chaque mâle de la colonie de Méron se trouve en contact visuel ou auditif avec au moins un congénère, ce qui, pour cette espèce au comportement social très développé, stimule l'intensité des parades et donc le comportement reproducteur. Il n'est pas rare sur la partie orientale de la champagne de Méron, d'entendre quatre mâles se répondre simultanément !

3.2. Femelles et immatures

Les mâles nuptiaux constituent un indicateur fiable de la population d'outardes. Cependant, la couvaison et l'élevage des jeunes sont assurés par la femelle seule. Pour cette espèce, il convient de parler d'oiseaux en plumage femelle, catégorie regroupant les femelles véritables et les mâles de moins de deux ans, que l'œil humain ne sait pas distinguer sur le terrain. Nous reprendrons pour cet article les résultats de l'étude de 1993, en raison des prospections soutenues qui avaient été effectuées sur le secteur. D'une manière générale, le nombre de contacts avec des oiseaux en plumage femelle reste très faible sur la plaine de Douvy et la colline de Coulon, alors que la champagne de Méron exerce une plus forte attraction sur cette catégorie d'oiseaux (0,37 contacts par heure de prospection contre respectivement 0,09 et 0,03 sur les deux autres sites). L'importance de la densité des mâles chanteurs sur ce site contribue très probablement à concentrer autour d'eux les mâles immatures et les femelles.

3.3. Nidification

Pour la nidification proprement dite, nous allons nous référer d'abord aux données existantes, puis nous présenterons les résultats des recherches menées en 1993 et 1994.
Les informations récentes concernant la nidification de l'espèce en Maine-et-Loire datent de juin 1984 (BEAUDOIN et al. 1986 : 24) où un nid contenant trois œufs est découvert au début du mois sur la champagne de Méron et où deux femelles, accompagnées chacune de deux jeunes de moins d'une semaine, sont observées le 17 sur la plaine de Douvy. En 1989, deux adultes, accompagnés chacun de trois jeunes, sont également notés le 5 août sur le secteur (BEAUDOIN et al. 1992 : 16).
Le suivi de 1993 a permis d'obtenir quatre données de reproduction : une femelle et deux jeunes de taille comprise entre le tiers et la moitié de l'adulte sont observés le 1er juillet sur un chaume d'orge d'hiver, à proximité d'une jachère à couvert végétal spontané de 5 ha. Trois nids sont également découverts les 13 et 16 juillet : deux dans un couvert spontané non entretenu de la champagne de Méron (l'un contenait quatre œufs, qui seront éclos le 23 juillet, l'autre des bris de coquilles avec des restes de membranes), le troisième, dans le même type de parcelle sur la plaine de Douvy, se composait de débris de coquilles et d'un œuf clair.
En 1994, des prospections plus poussées ont été réalisées à partir de l'expérience acquise l'année précédente et ont fourni quatre données de reproduction certaine. Le 22 juin, dans une jachère à couvert végétal spontané formée d'une mosaïque de taches de Chiendent Agropyron sp., de chardons et de zones nues, est découvert un nid, dissimulé dans une touffe de Chiendent, à 20 m du bord de la parcelle. C'était déjà dans celle-ci qu'avaient été installés deux nids en 1993 !
Si nous nous référons à la quantité de bris de coquilles et à la fraîcheur des membranes, il est raisonnable d'estimer que les œufs, au nombre de trois ou quatre, ont éclos vers le 20 juin. Le 24 juin, la femelle s'envole en émettant une alarme très forte, mais aucun jeune n'est observé.
La seconde preuve de nidification concerne un autre nid, découvert le 25 juin sur la plaine de Douvy, dans une jachère à couvert végétal composé également de Chiendent ! Cette observation met d'ailleurs en relief l'extrême difficulté à découvrir des nids d'outarde : le 24 juin au soir, une prospection méticuleuse n'a donné aucun résultat (ni envol de femelle, ni découverte de bris de coquilles, pourtant bien visibles dans l'herbe en raison de la couleur blanche des membranes). Le 25 juin au matin, le nid est découvert avec des œufs éclos - sans doute quatre - présentant encore des veinules rouges sur les membranes ! En raison de la forme des bris de coquilles, il ne peut s'agir que d'une éclosion, survenue dans la nuit ou tôt le matin. Cette découverte reste surprenante dans la mesure où, la veille au soir, aucun indice n'a été décelé. Pourtant, l'observateur est passé à moins de 1,20 m de l'emplacement du nid, sur lequel devait se trouver la femelle !
Les deux autres preuves de nidification concernent la champagne de Méron : en premier lieu, deux oiseaux en plumage femelle s'envolent le 23 juin d'un couvert spontané, en alarmant très fortement. La prospection qui suit reste vaine. Ce secteur, proche du village de la Motte-Bourbon, correspond à un haut lieu de la concentration de mâles chanteurs (trois dans le secteur). La dernière preuve de nidification se rapporte à une famille observée le 23 juin par un exploitant agricole, lors du broyage d'une jachère située au nord du site : une femelle accompagnée d'un jeune de moins de 5 jours s'échappe et se réfugie dans une jachère proche.
Ces recherches mettent en avant la prédominance des jachères en tant que lieu d'accueil du nid ou des familles d'outardes. Les terres retirées de la production agricole jouent un rôle indéniable pour ces oiseaux, ne serait-ce qu'en raison de leur caractère non productif et de leur mosaïque de végétation. Toutefois, nous devons préciser que les terres exploitées n'ont pas été prospectées : ceci introduit un biais dans la recherche et ne permet pas de connaître le véritable rôle des jachères dans la nidification des outardes. Sur les sites angevins, il ne fait aucun doute que cette affectation des parcelles, traduction sur le terrain de la réforme de la politique agricole commune (PAC), constitue pour l'espèce une opportunité de nidification. En effet, les femelles de Canepetières semblent trouver dans les couverts spontanés trois conditions qui satisfont leurs exigences : la tranquillité absolue (en début de saison de reproduction), une végétation protectrice et la proximité des mâles chanteurs.
En outre, les potentialités trophiques sur les parcelles à repousses spontanées peuvent constituer l'un des éléments du choix de l'emplacement du nid, en raison de la diversité et de l'abondance de la flore et de l'entomofaune. De surcroît, la mosaïque intraparcellaire de végétation peut favoriser la survie des jeunes oiseaux, dans la mesure où les zones denses - à valeur de refuge - apparaissent disséminées dans toute la parcelle.
Cette localisation a priori préférentielle des femelles nicheuses dans les jachères à couvert spontané peut toutefois constituer un risque élevé de destruction du nid lors de l'entretien de la parcelle. En 1993 nous avons observé que les dates d'entretien des terres gelées correspondaient à la période de couvaison de l'espèce, dont la ponte débute en moyenne dans la période du 25 mai au 1er juin ! Eu égard à l'itinéraire technique des jachères modifiant complètement la physionomie de la parcelle au cours de la période de reproduction, un nid, placé dans un couvert végétal soumis ultérieurement à un entretien mécanique, se trouve par conséquent inéluctablement perdu : soit par destruction directe des œufs ou des jeunes, soit, si le nid reste intact, par mise à découvert de la ponte, très vite repérée par des prédateurs aériens (Corvidés en particulier).

4. Rassemblements postnuptiaux

Il convient de distinguer ici les rassemblements postnuptiaux complets (femelles, jeunes et mâles) des regroupements partiels qui concernent les mâles à partir du 20 juin. En effet, après la période de chant, les mâles nuptiaux se concentrent sur quelques parcelles au couvert végétal élevé, afin d'accomplir leur mue postnuptiale. À ce titre, les zones préférentiellement fréquentées correspondent à des jachères spontanées, constituées d'une mosaïque de végétation. Ainsi, le 16 juillet 1993, les ornithologues provoquent l'envol de quatre mâles, d'une jachère non entretenue de la champagne de Méron. En 1994, des recherches plus fines mettent en évidence, au sein des parcelles fréquentées, des traces de mue : rémiges primaires, plumes du dos et du ventre sont récoltées le 25 juin sur une jachère accueillant trois mâles ! Ceux-ci se trouvaient à de faibles distances les uns des autres (moins de 25 m) et occupaient chacun sur le sol nu une légère dépression, creusée par eux et bordée de plumes. Toutes les jachères occupées pendant cette période par des mâles en mue se caractérisent par une tranquillité quasi absolue.
En ce qui concerne l'importance des regroupements prémigratoires, nous disposons de quelques données : le 20 septembre 1989, un décompte révèle la présence de 62 oiseaux : 32 près de Douvy, 21 près de Trézé, 7 près de Méron et 2 à proximité de Coulon (BEAUDOIN et al. 1993 : 16). En 1993, 33 oiseaux se nourrissent le 2 septembre sur des repousses de pois, sur la plaine de Douvy. Le 19 septembre, sont dénombrés, au même endroit, 48 oiseaux très farouches, parmi lesquels il paraît impossible de distinguer mâles, femelles et jeunes. Le suivi 1994 ne peut pas fournir de renseignements plus complets puisque les outardes, au nombre de 24 le 2 septembre, n'ont plus été observées par la suite, en dépit de prospections fréquentes et soutenues. Il est probable que la cueillette des melons, plus tardive (jusqu'au 8 septembre), a dérangé les outardes, dans la mesure où ces cultures ont progressé en 1994 vers les secteurs traditionnels de rassemblement postnuptial. La comparaison interannuelle des effectifs d'outardes lors des rassemblements postnuptiaux permet d'appréhender la dynamique de population de l'espèce en Anjou. Certes, la marge d'incertitude est importante, eu égard aux nombreuses inconnues subsistant à l'heure actuelle : toutes les outardes du secteur de Montreuil-Bellay se rassemblent-elles au même endroit ? Les jeunes ne partent-ils pas plus tôt en migration ? La fréquentation humaine des sites (travaux agricoles, pression cynégétique) ne désagrège-t-elle pas les groupes et n'accélère-t-elle pas leur départ ?…
Par ailleurs, l'époque de départ des Outardes canepetières est plus ou moins bien connue en Anjou : un groupe de 29 oiseaux est observé le 9 octobre 1988, sur la champagne de Méron (BEAUDOIN et al. 1992 : 16). La date la plus tardive d'observation est le 23 octobre 1984 où cinq oiseaux sont encore présents sur la champagne (BEAUDOIN et al. 1987 : 32). La date la plus précoce pourrait se situer juste après le 2 septembre 1994.

Conclusion

En définitive, depuis 1977, les effectifs d'Outardes canepetières ont fortement chuté en Maine-et-Loire et l'aire de répartition angevine de l'espèce s'est contractée vers le sud-est, pour ne plus représenter actuellement que 1 500 ha dans le canton de Montreuil-Bellay. Toutefois, depuis 1992-1993, un accroissement des effectifs est observé sur la champagne de Méron et la partie occidentale de la plaine de Douvy. Ce phénomène peut correspondre à l'apparition des jachères sur une surface très importante du secteur d'étude (350 ha sur ces deux sites, soit 40 % !). Simultanément, les mêmes places de chant sont occupées par les mâles depuis 1992 : il paraît donc probable que les jachères induisent une certaine stabilisation de la population d'outardes, tant du point de vue de l'effectif que de la structuration des colonies. En ce qui concerne la nidification, cinq nids ont été découverts dans des jachères spontanées en deux ans. Il n'est pas possible d'affirmer que les femelles s'installent uniquement en jachères. Toutefois, le caractère attractif, pour la nidification, des parcelles retirées de la production agricole, apparaît ici très clairement. Malgré cela, les entretiens, aux dates précoces auxquelles ils sont actuellement pratiqués, conduisent à une augmentation des risques de destruction des couvées et des jeunes nichées. Ces interventions agricoles sur les parcelles peuvent amener à une production de jeunes trop faible pour que se maintienne à long terme la population d'outardes.
Actuellement, des contacts soutenus avec quelques exploitants agricoles sont aujourd'hui maintenus afin de tenter de mettre en place une mesure agri-environnementale qui, ici, serait spécifique à l'outarde : le retrait à long terme de la production agricole (pendant 20 ans) de certaines parcelles, qui seraient alors conduites dans l'objectif de satisfaire les exigences éco-éthologiques de l'espèce (couverts végétaux spontanés et semés, absence d'entretien dans la parcelle du 15 avril au 31 juillet…).

Bibliographie

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JOLIVET, C., 1993.- Développement des jachères et préservation de l'avifaune terrestre en zone d'agriculture intensive : le cas du maintien de l'Outarde canepetière (Tetrax tetrax, L. 1758) dans le canton de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire). Mémoire de Maîtrise de Sciences et Techniques AMVR. Université de Rennes 1, LPO Anjou, Chambre d'Agriculture de Maine-et-Loire. 173 p. + annexes.

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