Bull. Gr. Angevin Ét. Orn. - LPO Anjou, 1994,
22 (45) : 45-53
Recherches sur la biologie
de l'Outarde canepetière Tetrax tetrax
dans le canton de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire)
en 1993-1994
par Christophe JOLIVET
(illustrations de Philippe PONDAVEN)
(PDF, 1,2 Mo)
Élément spectaculaire de l'avifaune
migratrice nicheuse en Maine-et-Loire, l'Outarde
canepetière est l'une des espèces les plus
menacées de disparition dans notre
département. L'effectif demeure très faible et
l'aire de répartition angevine, après
s'être fortement contractée, ne correspond plus
qu'à une surface de 1 500 ha. Cet article
n'aborde pas les moyens envisageables pour assurer la
sauvegarde de l'espèce mais a pour objectif de faire
le point sur l'évolution de la population angevine de
Canepetières et sur les recherches menées sur
la biologie durant les deux dernières périodes
de reproduction (1993 et 1994).
Les prospections sur le terrain sont le fait de Jean-Claude
BEAUDOIN, Alain BLIN, Mickaël BLOND, Thierry PRINTEMPS,
Thierry ROGER et de l'auteur (JOLIVET
1993 et inédit).
1. Situation géographique
Aux confins de l'Anjou, de la Touraine et du Poitou, le
secteur à outardes se situe, pour l'essentiel de sa
surface, dans le canton de Montreuil-Bellay, le reste se
prolongeant en limite nord des départements voisins
des Deux-Sèvres et de la Vienne (cf. carte 1).
D'une superficie de 1 500 ha, le secteur s'inscrit
dans un rectangle de cinq kilomètres par dix et se
divise en trois sites peu éloignés les uns des
autres et séparés par des limites
géographiques nettes (cf. carte 2) :
la champagne de Méron (650 ha sur la commune de
Montreuil-Bellay), la plaine de Douvy (500 ha sur les
communes d'Épieds, de Pouançay et de
Saint-Léger-de-Montbrillais) et enfin la colline de
Coulon (350 ha sur les communes d'Antoigné et de
Saint-Martin-de-Sanzay). La plaine de Douvy et la champagne
de Méron constituent un véritable
prolongement, en Maine-et-Loire, des vastes plaines
céréalières du Poitou. Avec les espaces
découverts du canton de Doué-la-Fontaine, la
physionomie paysagère de ces deux sites paraît
unique en Anjou. Les vues sont lointaines et les
échelles de vision extrêmement élargies
dans ce paysage de plaine très ouvert d'où la
végétation arborée reste pratiquement
absente. Si l'on considère également les
caractéristiques pédologiques de ces plaines,
aux sols très séchants, peu profonds et riches
en cailloux calcaires, on ne peut s'étonner de la
présence de l'Outarde canepetière, oiseau
à l'origine inféodé aux grands espaces
découverts, steppiques du sud et de l'est de
l'Europe.
Carte 1. Localisation du secteur
détude.
Carte 2. Délimitation des 3 sites
retenus.
2. Évolution récente des
effectifs
Cette analyse s'appuie sur les recensements
réalisés de 1977 à 1994 par le Groupe
Angevin d'Études Ornithologiques/LPO Anjou. Les
résultats en sont présentés dans le
tableau 1 ci-dessous.
Durant la période 1977-1994, l'effectif est
tombé de 50 mâles chanteurs lors du
premier recensement à 20 en 1994. La diminution
atteint ainsi 60 % de l'effectif recensé sur le
terrain en 1977. Cependant, ce déclin paraît
sous-estimé car la colline de Coulon n'était
pas connue initialement et la plaine de Douvy n'avait pas
été prospectée dans son ensemble.
On peut donc raisonnablement estimer l'effectif angevin
à 65-70 mâles chanteurs de
Canepetières en 1977 (BEAUDOIN, com. pers.).
Du tableau 1, il ressort une disparition presque
complète des colonies de Canepetières du
secteur de Doué-la-Fontaine, phénomène
rapide puisque, dès 1983, aucun mâle chanteur
n'y est plus repéré (in BEAUDOIN
et al. 1991 : 25). Le relatif
éloignement de ce secteur par rapport à la
population d'Outardes canepetières du
Poitou-Charentes peut expliquer qu'une transformation du
milieu agricole, telle une «
diminution des
cultures fourragères et
céréalières au profit de
pépinières, de fleurs d'ornement et du
maïs. » (BEAUDOIN
1985), n'ait pas favorisé la reproduction de
cette population déjà très
fragilisée et qu'elle ait
accéléré sa disparition (cultures
induisant une fréquentation humaine accrue du
site
). Depuis 1977, il s'est donc produit une
contraction vers le sud-est de l'aire de distribution des
Canepetières en Anjou. La réapparition de
l'espèce en 1994 correspond à la
présence d'un mâle chanteur sur une
jachère dans le secteur de Doué (GUYOMARC'H,
com. pers.). En l'état actuel des connaissances,
même s'il s'agit d'une note d'espoir,
considérons cette observation comme
anecdotique.
Le secteur de Montreuil-Bellay accueille depuis 1983 la
totalité ou presque de l'effectif. Lui aussi
connaît un déclin prononcé : la
champagne de Méron et la plaine de Douvy comptent
37 mâles chanteurs en 1977 et en 1982. Toutefois,
la méconnaissance du dernier site a probablement
induit une sous-estimation de son effectif en 1977. Par
conséquent, nous pouvons estimer le nombre initial de
mâles sur les terres de champagne à une
cinquantaine. Or, en 1994, le décompte en fait
apparaître vingt ! La régression du nombre
de mâles s'est même aggravée depuis
1982 : la vitesse de diminution des effectifs a
triplé, passant d'une baisse du nombre de mâles
chanteurs d'environ 10 % de 1977 à 1982 à
36 % de 1982 à 1987 et à 35 % de
1987 à 1992. Néanmoins, il convient de
distinguer les trois sites.
2.1. Champagne de
Méron
Bastion actuel de l'espèce en Maine-et-Loire, la
champagne de Méron concentre 16 mâles
chanteurs. L'évolution de l'effectif sur ce site
paraît marquée par deux
phénomènes opposés : d'abord un
fort déclin de 1977 à 1987 (d'environ les deux
tiers) puis une remontée progressive,
confirmée en 1993 et 1994. Il est difficile
d'apporter des explications satisfaisantes à la
diminution constatée de 1977 à 1987. Selon
BEAUDOIN (1985), la superficie
utilisée par les Canepetières paraît
s'être réduite d'environ 200 ha, soit un
peu plus de 20 % de la surface apparemment
occupée en 1977. Cette contraction résulte de
l'abandon des cantons situés au sud de la N 147
et dans l'ancien camp militaire américain. La
disparition de l'élevage ovin depuis 1979, principale
forme de mise en valeur de la partie non
industrialisée de ce camp désaffecté,
constitue très probablement la cause fondamentale de
la disparition des cantons de Canepetières : la
végétation plus haute et dense transforme
complètement la physionomie du camp. Cet abandon du
pâturage ovin et le développement
simultané d'activités industrielles et de
loisir depuis les années quatre-vingt peuvent
expliquer cette désertion de l'ancien camp militaire,
où se cantonnaient pourtant cinq mâles en
1977 !
2.2. Plaine de Douvy
En 1982, la plaine de Douvy révèle des
densités d'outardes exceptionnelles eu égard
à sa localisation en limite nord-ouest de
répartition de l'espèce. Néanmoins, en
1987, le déclin paraît considérable
puisque l'effectif a diminué de 45 % par rapport
au recensement précédent. En 1992,
l'espèce y semble même au bord de l'extinction
car deux mâles seulement sont repérés,
mais distants de plus de trois kilomètres ! La
remontée observée en 1993 se confirme en 1994
(4 mâles sur la partie occidentale de la plaine).
Les causes de diminution de l'effectif jusqu'à 1992
sont mal cernées. La disparition très
marquée de l'élevage a probablement
joué un rôle important en réduisant le
caractère favorable du site pour l'installation des
places de chant des mâles et la nidification des
femelles. Ces surfaces soustraites à l'élevage
ont été converties en tournesol, peu favorable
à la Canepetière. La plaine de Douvy
présente également deux particularités
d'occupation du sol par rapport à la champagne de
Méron : les petits pois et les melons. Ces deux
cultures, en fort développement depuis 1990, exigent
des interventions humaines très fréquentes
(semis, traitements chimiques, récolte
) qui
peuvent constituer une source de dérangement
très accentué pour l'oiseau (BOUTIN, com.
pers.). Il est donc possible que le déclin
très rapide des Canepetières, observé
entre 1987 et 1992, soit dû - au moins en partie -
à l'extension de ces nouvelles cultures qui induisent
une vitesse très élevée de
transformation des zones traditionnellement occupées
par l'espèce.
2.3. Colline de Coulon
Oscillant entre 4 et 6 mâles chanteurs,
l'effectif de Canepetières de la colline de Coulon
est demeuré stable de 1978 à 1993, mais aucun
mâle n'a été repéré en
1994. En l'état actuel des connaissances, aucune
hypothèse ne peut être avancée pour
expliquer cet abandon subit. À titre d'indication, un
oiseau en plumage femelle a quand même
été repéré le 19 mai,
près d'une jachère et d'une culture de
luzerne.
3. Biologie de reproduction
3.1. Distribution spatiale des
mâles
La distribution spatiale des mâles nuptiaux ne sera
analysée que pour les années 1993 et 1994
(nombres d'oiseaux identiques) et pour un seul site :
la champagne de Méron, où les densités
apparaissent remarquables (2,5 mâles sur
100 ha).
D'emblée, remarquons l'absence quasi totale de
mâles chanteurs sur le camp militaire
désaffecté. Les observations montrent qu'un ou
deux oiseaux, en place sur des parcelles agricoles,
effectuent des incursions dans cette friche herbacée,
sans que cela se rapporte à un territoire en tant que
tel. Il peut s'agir d'une partie du territoire pour les
mâles concernés. Sur l'espace voué aux
activités agricoles, les mâles d'outardes se
localisent essentiellement sur les jachères et les
jeunes semis de tournesol, aux endroits où la
végétation demeure peu élevée.
Les jachères représentent des lieux
privilégiés de parade pour les mâles,
qui y trouvent à la fois des emplacements de chant
dégagés, des couverts herbacés
protecteurs, de la nourriture abondante
Les
jachères à couverts végétaux
spontanés conviennent particulièrement bien
à l'installation des mâles chanteurs, en raison
de la diversité intraparcellaire de la
végétation (alternance de zones rases et de
zones denses).
L'analyse de la carte 3 met en exergue la
stabilité des mâles entre les deux
années 1993 et 1994, sur la champagne de
Méron. Il est préférable de ne retenir
que ces deux années pour juger de la stabilité
des oiseaux parce le nombre de mâles est
identique : en fait, les territoires se localisent
essentiellement sur des jachères à couvert
végétal spontané qui ont
été reconduites de 1993 en 1994. Il est
probable que le gel de parcelles agricoles durant plusieurs
années consécutives confère à la
champagne de Méron un intérêt
particulier : les jachères non rotationnelles
correspondent à des éléments fixes du
paysage, au même titre que les chemins herbeux et la
friche herbacée de l'ancien camp américain.
Sur la partie occidentale de la plaine de Douvy, qui
accueille maintenant quatre mâles nuptiaux, les
constatations paraissent similaires.
Carte 3. Localisation des
mâles chanteurs dOutarde canepetière en
1993 et 1994 sur la champagne de méron.
L'étude approfondie de 1993 met en avant la forte
proportion - 60 % - de distances inférieures ou
égales à 300 m entre les mâles. En
1994, les mêmes chiffres peuvent être
avancés : il est possible qu'une proportion
élevée de jachères fixes, lieux
d'installation préférentielle des mâles,
sur un territoire d'une superficie moyenne (650 ha)
contribue à rendre ces distances interindividuelles
moins importantes qu'ailleurs. Néanmoins, sur la
champagne de Méron, les mâles d'outardes ont
toujours été rapprochés les uns des
autres, comme le signalait déjà BEAUDOIN
(1979) en comparant ce site avec la plaine des
Douces/Doué-la-Fontaine. Quoi qu'il en soit, chaque
mâle de la colonie de Méron se trouve en
contact visuel ou auditif avec au moins un
congénère, ce qui, pour cette espèce au
comportement social très développé,
stimule l'intensité des parades et donc le
comportement reproducteur. Il n'est pas rare sur la partie
orientale de la champagne de Méron, d'entendre quatre
mâles se répondre
simultanément !
3.2. Femelles et immatures
Les mâles nuptiaux constituent un indicateur fiable
de la population d'outardes. Cependant, la couvaison et
l'élevage des jeunes sont assurés par la
femelle seule. Pour cette espèce, il convient de
parler d'oiseaux en plumage femelle, catégorie
regroupant les femelles véritables et les mâles
de moins de deux ans, que l'il humain ne sait pas
distinguer sur le terrain. Nous reprendrons pour cet article
les résultats de l'étude de 1993, en raison
des prospections soutenues qui avaient été
effectuées sur le secteur. D'une manière
générale, le nombre de contacts avec des
oiseaux en plumage femelle reste très faible sur la
plaine de Douvy et la colline de Coulon, alors que la
champagne de Méron exerce une plus forte attraction
sur cette catégorie d'oiseaux (0,37 contacts par
heure de prospection contre respectivement 0,09 et 0,03 sur
les deux autres sites). L'importance de la densité
des mâles chanteurs sur ce site contribue très
probablement à concentrer autour d'eux les
mâles immatures et les femelles.
3.3. Nidification
Pour la nidification proprement dite, nous allons nous
référer d'abord aux données existantes,
puis nous présenterons les résultats des
recherches menées en 1993 et 1994.
Les informations récentes concernant la nidification
de l'espèce en Maine-et-Loire datent de
juin 1984 (BEAUDOIN et
al. 1986 : 24) où un nid contenant trois
ufs est découvert au début du mois sur
la champagne de Méron et où deux femelles,
accompagnées chacune de deux jeunes de moins d'une
semaine, sont observées le 17 sur la plaine de Douvy.
En 1989, deux adultes, accompagnés chacun de trois
jeunes, sont également notés le 5 août
sur le secteur (BEAUDOIN et al.
1992 : 16).
Le suivi de 1993 a permis d'obtenir quatre données de
reproduction : une femelle et deux jeunes de taille
comprise entre le tiers et la moitié de l'adulte sont
observés le 1er juillet sur un chaume
d'orge d'hiver, à proximité d'une
jachère à couvert végétal
spontané de 5 ha. Trois nids sont
également découverts les 13 et
16 juillet : deux dans un couvert spontané
non entretenu de la champagne de Méron (l'un
contenait quatre ufs, qui seront éclos le
23 juillet, l'autre des bris de coquilles avec des
restes de membranes), le troisième, dans le
même type de parcelle sur la plaine de Douvy, se
composait de débris de coquilles et d'un uf
clair.
En 1994, des prospections plus poussées ont
été réalisées à partir de
l'expérience acquise l'année
précédente et ont fourni quatre données
de reproduction certaine. Le 22 juin, dans une
jachère à couvert végétal
spontané formée d'une mosaïque de taches
de Chiendent Agropyron sp., de chardons et de zones
nues, est découvert un nid, dissimulé dans une
touffe de Chiendent, à 20 m du bord de la
parcelle. C'était déjà dans celle-ci
qu'avaient été installés deux nids en
1993 !
Si nous nous référons à la
quantité de bris de coquilles et à la
fraîcheur des membranes, il est raisonnable d'estimer
que les ufs, au nombre de trois ou quatre, ont
éclos vers le 20 juin. Le 24 juin, la
femelle s'envole en émettant une alarme très
forte, mais aucun jeune n'est observé.
La seconde preuve de nidification concerne un autre nid,
découvert le 25 juin sur la plaine de Douvy,
dans une jachère à couvert
végétal composé également de
Chiendent ! Cette observation met d'ailleurs en relief
l'extrême difficulté à découvrir
des nids d'outarde : le 24 juin au soir, une
prospection méticuleuse n'a donné aucun
résultat (ni envol de femelle, ni découverte
de bris de coquilles, pourtant bien visibles dans l'herbe en
raison de la couleur blanche des membranes). Le 25 juin
au matin, le nid est découvert avec des ufs
éclos - sans doute quatre - présentant encore
des veinules rouges sur les membranes ! En raison de la
forme des bris de coquilles, il ne peut s'agir que d'une
éclosion, survenue dans la nuit ou tôt le
matin. Cette découverte reste surprenante dans la
mesure où, la veille au soir, aucun indice n'a
été décelé. Pourtant,
l'observateur est passé à moins de 1,20 m
de l'emplacement du nid, sur lequel devait se trouver la
femelle !
Les deux autres preuves de nidification concernent la
champagne de Méron : en premier lieu, deux
oiseaux en plumage femelle s'envolent le 23 juin d'un
couvert spontané, en alarmant très fortement.
La prospection qui suit reste vaine. Ce secteur, proche du
village de la Motte-Bourbon, correspond à un haut
lieu de la concentration de mâles chanteurs (trois
dans le secteur). La dernière preuve de nidification
se rapporte à une famille observée le
23 juin par un exploitant agricole, lors du broyage
d'une jachère située au nord du site :
une femelle accompagnée d'un jeune de moins de
5 jours s'échappe et se réfugie dans une
jachère proche.
Ces recherches mettent en avant la prédominance des
jachères en tant que lieu d'accueil du nid ou des
familles d'outardes. Les terres retirées de la
production agricole jouent un rôle indéniable
pour ces oiseaux, ne serait-ce qu'en raison de leur
caractère non productif et de leur mosaïque de
végétation. Toutefois, nous devons
préciser que les terres exploitées n'ont pas
été prospectées : ceci introduit
un biais dans la recherche et ne permet pas de
connaître le véritable rôle des
jachères dans la nidification des outardes. Sur les
sites angevins, il ne fait aucun doute que cette affectation
des parcelles, traduction sur le terrain de la
réforme de la politique agricole commune (PAC),
constitue pour l'espèce une opportunité de
nidification. En effet, les femelles de Canepetières
semblent trouver dans les couverts spontanés trois
conditions qui satisfont leurs exigences : la
tranquillité absolue (en début de saison de
reproduction), une végétation protectrice et
la proximité des mâles chanteurs.
En outre, les potentialités trophiques sur les
parcelles à repousses spontanées peuvent
constituer l'un des éléments du choix de
l'emplacement du nid, en raison de la diversité et de
l'abondance de la flore et de l'entomofaune. De
surcroît, la mosaïque intraparcellaire de
végétation peut favoriser la survie des jeunes
oiseaux, dans la mesure où les zones denses -
à valeur de refuge - apparaissent
disséminées dans toute la parcelle.
Cette localisation a priori
préférentielle des femelles nicheuses dans les
jachères à couvert spontané peut
toutefois constituer un risque élevé de
destruction du nid lors de l'entretien de la parcelle. En
1993 nous avons observé que les dates d'entretien des
terres gelées correspondaient à la
période de couvaison de l'espèce, dont la
ponte débute en moyenne dans la période du
25 mai au 1er juin ! Eu
égard à l'itinéraire technique des
jachères modifiant complètement la physionomie
de la parcelle au cours de la période de
reproduction, un nid, placé dans un couvert
végétal soumis ultérieurement à
un entretien mécanique, se trouve par
conséquent inéluctablement perdu : soit
par destruction directe des ufs ou des jeunes, soit,
si le nid reste intact, par mise à découvert
de la ponte, très vite repérée par des
prédateurs aériens (Corvidés en
particulier).
4. Rassemblements postnuptiaux
Il convient de distinguer ici les rassemblements
postnuptiaux complets (femelles, jeunes et mâles) des
regroupements partiels qui concernent les mâles
à partir du 20 juin. En effet, après la
période de chant, les mâles nuptiaux se
concentrent sur quelques parcelles au couvert
végétal élevé, afin d'accomplir
leur mue postnuptiale. À ce titre, les zones
préférentiellement fréquentées
correspondent à des jachères
spontanées, constituées d'une mosaïque de
végétation. Ainsi, le 16 juillet 1993,
les ornithologues provoquent l'envol de quatre mâles,
d'une jachère non entretenue de la champagne de
Méron. En 1994, des recherches plus fines mettent en
évidence, au sein des parcelles
fréquentées, des traces de mue :
rémiges primaires, plumes du dos et du ventre sont
récoltées le 25 juin sur une
jachère accueillant trois mâles ! Ceux-ci
se trouvaient à de faibles distances les uns des
autres (moins de 25 m) et occupaient chacun sur le sol
nu une légère dépression,
creusée par eux et bordée de plumes. Toutes
les jachères occupées pendant cette
période par des mâles en mue se
caractérisent par une tranquillité quasi
absolue.
En ce qui concerne l'importance des regroupements
prémigratoires, nous disposons de quelques
données : le 20 septembre 1989, un
décompte révèle la présence de
62 oiseaux : 32 près de Douvy, 21
près de Trézé, 7 près de
Méron et 2 à proximité de Coulon
(BEAUDOIN et al.
1993 : 16). En 1993, 33 oiseaux se
nourrissent le 2 septembre sur des repousses de pois,
sur la plaine de Douvy. Le 19 septembre, sont
dénombrés, au même endroit,
48 oiseaux très farouches, parmi lesquels il
paraît impossible de distinguer mâles, femelles
et jeunes. Le suivi 1994 ne peut pas fournir de
renseignements plus complets puisque les outardes, au nombre
de 24 le 2 septembre, n'ont plus été
observées par la suite, en dépit de
prospections fréquentes et soutenues. Il est probable
que la cueillette des melons, plus tardive (jusqu'au
8 septembre), a dérangé les outardes,
dans la mesure où ces cultures ont progressé
en 1994 vers les secteurs traditionnels de rassemblement
postnuptial. La comparaison interannuelle des effectifs
d'outardes lors des rassemblements postnuptiaux permet
d'appréhender la dynamique de population de
l'espèce en Anjou. Certes, la marge d'incertitude est
importante, eu égard aux nombreuses inconnues
subsistant à l'heure actuelle : toutes les
outardes du secteur de Montreuil-Bellay se rassemblent-elles
au même endroit ? Les jeunes ne partent-ils pas
plus tôt en migration ? La fréquentation
humaine des sites (travaux agricoles, pression
cynégétique) ne désagrège-t-elle
pas les groupes et n'accélère-t-elle pas leur
départ ?
Par ailleurs, l'époque de départ des Outardes
canepetières est plus ou moins bien connue en
Anjou : un groupe de 29 oiseaux est observé
le 9 octobre 1988, sur la champagne de Méron
(BEAUDOIN et al.
1992 : 16). La date la plus tardive d'observation
est le 23 octobre 1984 où cinq oiseaux sont
encore présents sur la champagne (BEAUDOIN
et al. 1987 : 32). La date la plus
précoce pourrait se situer juste après le
2 septembre 1994.
Conclusion
En définitive, depuis 1977, les effectifs
d'Outardes canepetières ont fortement chuté en
Maine-et-Loire et l'aire de répartition angevine de
l'espèce s'est contractée vers le sud-est,
pour ne plus représenter actuellement que
1 500 ha dans le canton de Montreuil-Bellay.
Toutefois, depuis 1992-1993, un accroissement des effectifs
est observé sur la champagne de Méron et la
partie occidentale de la plaine de Douvy. Ce
phénomène peut correspondre à
l'apparition des jachères sur une surface très
importante du secteur d'étude (350 ha sur ces
deux sites, soit 40 % !). Simultanément,
les mêmes places de chant sont occupées par les
mâles depuis 1992 : il paraît donc probable
que les jachères induisent une certaine stabilisation
de la population d'outardes, tant du point de vue de
l'effectif que de la structuration des colonies. En ce qui
concerne la nidification, cinq nids ont été
découverts dans des jachères spontanées
en deux ans. Il n'est pas possible d'affirmer que les
femelles s'installent uniquement en jachères.
Toutefois, le caractère attractif, pour la
nidification, des parcelles retirées de la production
agricole, apparaît ici très clairement.
Malgré cela, les entretiens, aux dates
précoces auxquelles ils sont actuellement
pratiqués, conduisent à une augmentation des
risques de destruction des couvées et des jeunes
nichées. Ces interventions agricoles sur les
parcelles peuvent amener à une production de jeunes
trop faible pour que se maintienne à long terme la
population d'outardes.
Actuellement, des contacts soutenus avec quelques
exploitants agricoles sont aujourd'hui maintenus afin de
tenter de mettre en place une mesure agri-environnementale
qui, ici, serait spécifique à l'outarde :
le retrait à long terme de la production agricole
(pendant 20 ans) de certaines parcelles, qui seraient
alors conduites dans l'objectif de satisfaire les exigences
éco-éthologiques de l'espèce (couverts
végétaux spontanés et semés,
absence d'entretien dans la parcelle du 15 avril au
31 juillet
).
Bibliographie
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(43) : 3-32.
BEAUDOIN, J.-C., FOSSÉ, A.,
GENTRIC, A., JACQUEMIN, J.-L., LE MAO, J.-P., LERAY, V.,
MOURGAUD, G., 1993.- Compte-rendu ornithologique de la
saison postnuptiale 1989 à la nidification 1990 en
Maine-et-Loire. Bull. Gr. Angevin Ét. Orn., 21
(44) : 3-41.
JOLIVET, C., 1993.-
Développement des jachères et
préservation de l'avifaune terrestre en zone
d'agriculture intensive : le cas du maintien de
l'Outarde canepetière (Tetrax tetrax, L. 1758)
dans le canton de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire).
Mémoire de Maîtrise de Sciences et Techniques
AMVR. Université de Rennes 1, LPO Anjou, Chambre
d'Agriculture de Maine-et-Loire. 173 p. + annexes.
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